Feed | Blog power

Impressions.

Un virus éradiquant le cancer et le rhume a aussi pour conséquence de ranimer les morts, les transformant en zombies affamés de chair fraîche. A l’époque où les faits se sont passés (il y a une vingtaine d’années au moment où commence l’histoire), les médias traditionnels ont minimisés les choses, laissant les blogueurs dévoiler la vérité sur le Jour des Morts. Depuis, ce sont les blogueurs qui font l’information…

Aujourd’hui, plus personne n’a de rhume ou de cancer. Le seul problème, ce sont les morts-vivants.

Georgia et Shaun vivent pour le scoop qui amènera leur blog au top des classements. Georgia se fait la porte-parole de la vérité brute. Shaun, quant à lui, fait partie de ces blogueurs têtes-brûlées qui parcourent les territoires laissés aux zombies en quête d’adrénaline et d’images choc qui augmenteront l’audimat de son blog. Ils vivent continuellement dans la représentation, dans la course aux statistiques, c’est assez effrayant. A noter quand même qu’ils sont moins loin dans leur trip que leurs parents adoptifs, eux aussi, « blogueurs influents ».

Nous sommes l’opium du peuple du nouveau millénaire :nous vous informons, nous vous distrayons, et nous vous donnons même la possibilité de vous évader quand la vérité devient trop dure à supporter.

Le duo est invité à suivre la campagne de Peter Ryman, candidat à la présidence des Etats-Unis. Les voilà bientôt entraînés dans un complot énorme, mettant en danger leur vie mais … à même de faire passer leur blog en tête de tous les classements.
Feed est l’exemple typique du bouquin à suspens qu’on ne peut pas lâcher. L’histoire est prenante, le rythme est enlevé : on ne s’ennuie pas une minute. Avec le défaut que comporte souvent ce genre de livre : une absence formidable de style et une description de l’action très cinématographique (j’attends d’ailleurs l’annonce de l’adaptation au cinéma). C’est également écrit à la première personne, sans doute pour renforcer le côté plongée dans la réalité brute, mais personnellement j’ai trouvé ça complètement surfait. Voire même j’ai vécu ça comme une trahison (j’y reviendrai plus tard).
 Du divertissement donc, me dites-vous. Oui parfaitement.
Cela dit, j’oserai ranger ce livre dans la catégorie divertissement intelligent. Bien que tirant sur les grosses ficelles de la théorie du complot et un certain manichéisme (les politiciens véreux vs. Peter Ryman sénateur sans peur et sans reproche ; les blogueurs qui disent la vérité vs. les journalistes qui mentent tout le temps), ce livre se veut être une relecture intéressante de la politique et de la fonction des médias à l’heure actuelle. Oui ça se passe dans le futur, mais c’est un futur proche, proche de nous, qui accentue certains traits existants dans notre civilisation.
Par exemple. Ces gens vivent dans la peur. La peur du zombie, la peur de la contamination. Du coup ils se barricadent dans des zones dont le degré de sécurité est défini par un chiffre et dont les accès sont régis par un système de licences. Dès que vous voulez entrer quelque part, on vous fait un test sanguin. Tout le monde est armé (la NRA serait ra-vie). Les maisons sont blindées, les grands rassemblements sont rares (fini les matchs de base-ball et les concerts). Le monde tourne autour de la sécurité. Sécurité par-ci. Sécurité par-là. Réglementation par-ci, réglementation par-là. Et puis encore un peu plus de sécurité. A l’heure où « la sécurité » est en pleine ligne de mire des politiques et des médias, voilà qui est intéressant.

Vous ne vous arrêtez jamais, vous n’hésitez pas et vous ne montrez aucune pitié pour les individus qui pourraient vous ralentir. Ce sont les directives de l’armée ; pour ma part, si je croise un jour quelqu’un qui obéit à ces directives, je me sentirai obliger de l’abattre, ne serait-ce que pour améliorer le patrimoine héréditaire de l’espère humaine. Si vous pouvez aider quelqu’un à rester en vie, vous le faites. Nous sommes tout ce qui nous reste.

Ce que j’ai bien aimé aussi c’est l’importance donnée à Internet. Pas tant aux blogueurs en particulier parce que je ne me reconnais absolument pas dans le type de blogueur que décrit Mira Grant. Mais l’importance d’Internet, accentuée encore ici par rapport à la réalité : les gens y font tout vu qu’ils évitent de sortir de chez eux : ils s’y informent, il s’y divertissent, il y font leurs courses, ils y débattent. Tout ce qu’on y fait à l’heure actuelle, à un degré moindre car on peut -encore- sortir de chez nous.
Tout ça offre un background qui tient très bien la route et se veut réaliste : l’autrice donne des descriptions précises du fonctionnement de cet univers postapocalyptique. Par exemple en expliquant dans les détails les différents degrés d’efficacité des tests sanguins avec leurs différences de prix. On peut ainsi aisément imaginer Monsieur et Madame Toutlemonde faire appel à des comparateurs de prix sur le net, poser le pour le contre entre le prix et la qualité, certaines options. Comme on le fait nous pour tel ou tel gadget technologique.
J’ai bien aimé aussi l’intégration du zombie dans la culture dans le roman. Souvent dans les films, les livres, les bd sur les zombies, les zombies s’appellent des zombies mais on ne dit pas pourquoi les gens les appellent comme ça. On ne fait aucune référence au zombie dans la culture d’AVANT leur arrivée. Mira Grant par contre va jouer avec ça. Faisant de Romero une sorte de star ( plein d’enfants nés post Jour des Morts s’appellent George ou Georgia ou Georgette) (oui les pauvres, mais bon ils ont d’autres tracas) et de son film une sorte de manuel de survie, elle intègre la culture zombie dans son roman. C’est à la fois drôle et plutôt réaliste : si jamais on devait vraiment avoir une invasion zombies, il y a fort à parier qu’on parlerait encore plus de Walking Dead et consorts. Par contre elle ne fait mention que de Romero, à mon souvenir. En tout cas il est sûr que Walking Dead n’y est pas. Pourtant à l’heure actuelle, la notoriétés de WD a certainement dépassé celle d’un film sorti en 1968. Sans doute est-ce une forme d’hommage à ce film qui même s’il n’est pas le premier commis sur le sujet, est celui qui a fait entrer le zombie dans la culture populaire. Ou alors peut-être est-ce une histoire de droits … Le film de Romero étant libre de droits depuis … sa sortie à cause d’une grosse gaffe de distribution (voir ici pour la petite histoire), pas de risque de procès.

Sans les films de Romero, la plupart des gens se seraient retrouvés complètement impuissants face aux zombies.

Revenons un instant à l’écriture à la première personne. Si vous n’avez pas lu le livre, je vous conseille de reprendre votre lecture en dessous de l’image deux paragraphes plus loin parce que ça va spoiler, pas moyen de faire autrement pour expliquer ce que j’ai ressenti. De toute façon, pas d’inquiétude, je suis un peu à cheval sur certains principes concernant l’écriture d’un roman à la première personne, il y a fort à parier que cela ne vous gênera pas.

*SPOILER ON*

Bref donc. Je suis très difficile avec l’écriture à la première personne. Le plus souvent je trouve ça inutile, comme par exemple dans L’assassin royal. Pour moi un livre bien écrit à la première personne doit apporter quelque chose de plus que s’il avait été écrit à la troisième personne. Par exemple, un livre écrit sous forme de journal intime, ou de lettres. Ou alors être écrit au présent comme si on était dans la tête de la personne. Ou alors être de connivence avec le lecteur, comme dans le film American Beauty ( oui d’accord ‘est un film mais je n’avais pas d’exemple de livre pour ce cas) où on sait dès le début que le type qui parle est mort et qu’il nous raconte comment il en est venu à mourir.
Mira Grant combine deux défauts majeurs : elle fait parler son personnage au passé ET elle le fait mourir avant la fin du livre. Ça ne va pas du tout. Si cette personne est morte, comment peut-elle raconter son histoire au passé ? Si cela avait été au présent, d’accord, on est dans sa tête avec elle et au moment où elle meurt, ben pouf, on doit changer de tête pour savoir ce qui se passe ensuite. Peut-être s’agit-il d’un problème de traduction, je ne sais pas, peut-être que le bouquin était écrit au présent et que le temps de la narration a été changé à la traduction, mais ça ne change rien au fait que je me suis sentie complètement trahie. S’il y a bien un personnage pour lequel je ne me suis jamais inquiétée c’est bien Georgia. Vu que c’est elle qui raconte, au passé, je me suis dit qu’elle ne pouvait pas mourir. Et puis tout d’un coup, c’est le drame. J’ai trouvé ça vil. Ça semblait être fait exprès pour endormir notre méfiance pour faire comme si c’était le-retournement-de-situation-auquel-on-ne-s’attend-pas. Et ça j’ai pas aimé du tout.

*SPOILER OFF*

 

 

En commençant Feed, je ne savais pas du tout qu’il était le premier tome d’une trilogie : « newsflesh trilogy ». D’un côté j’ai eu de la chance car pour le même prix j’aurais pu commencer par le deuxième, ce qui m’aurait valu un internement en hôpital psychiatrique (on est obsessionnel ou on ne l’est pas, hein). D’un autre côté, il est probable que si je l’avais su, je ne l’aurais pas lu. J’ai en effet un bon paquet de séries et de cycles entamés et n’avais pas trop envie d’en rajouter une nouvelle à mon actif. Tant pis c’est trop tard, maintenant. Les trois tomes sont sortis en anglais, avec des couvertures que j’aime beaucoup même si plutôt minimalistes (c’est cool qu’ils gardent les mêmes en français). La sortie du second tome, Deadline, en français, est prévue pour le mois de février.

POUR ALLER PLUS LOIN

 

Publié pour la première fois en 2010.
2012 pour la traduction française chez Bragelonne.
Traduit de l’anglais (USA) par  Benoît Domis.

Mira Grant est un pseudonyme de Seanan McGuire.

450 pages.

AILLEURS

23 commentaires sur « Feed | Blog power »

  1. Je passe toujours (malgré tous les beaux billets). les zombies ne sont pas trop mes amis…

    La narration à la première personne je suis assez cliente (fréquenter le personnage d’assez près est souvent intéressant, permet de mieux le cerner et l'auteur arrive parfois à lui donner une belle profondeur psychologique à ce personnage là et puis après il peut comme Anne Rice raconter la même histoire mais du point de vue d'un autre personnage (comme avec Lestat)).

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  2. Oui d'accord, sauf qu'on peut faire tout ça en parlant à la première personne aussi :p Le cas d'Anne Rice m'a l'air d'être typiquement un cas d'écriture à la première personne que je pourrais trouver intéressant ^^ N'est-ce pas aussi le cas dans Le prestige ? Je sais que l'histoire est racontée selon plusieurs points de vue différents mais je ne me souviens plus si c'était à la première personne.

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