La petite déesse | L’Inde du futur en 7 nouvelles

Impressions.

Je dois vous avouer un truc. Ian McDonald me fait peur.  Enfin, ses livres, pas lui : aux Utopiales de l’an dernier, il était on ne peut plus gentil et super enthousiaste que des blogueurs lui décernent un prix littéraire. Je l’avais déjà senti à la lecture du dossier qui lui était consacré dans le Bifrost. Et puis patatra, il y eut La maison des derviches pour me conforter dans mon opinion.

En plus, je le sentais arriver que La petite déesse allait être nominé pour le Prix Planète SF de cette année… Ben voilà. Là je me suis dit que mes collègues de jury n’étaient vraiment pas sympa de m’infliger -ENCORE- Ian McDonald pour mon rattrapage d’été.

En fait, je vous le donne en mille … J’ai été complètement conquise. Alors certes j’ai mis deux semaines à lire la bête (qui n’est pas bien grassouillette : 362 pages, mais je reviens de loin). Mais, comme un plat indien (pas trop épicé, s’il vous plait), ce recueil se savoure (comprendre : j’ai d’énormes problèmes de concentration et donc je lis très lentement dès que la lecture devient plus exigeante).
La petite déesse (qui est le titre d’une des nouvelles) est un recueil de sept nouvelles se passant dans une Inde futuriste, dans le même univers que le roman multiplement encensé Le Fleuve des dieux. Je n’ai pas lu ce roman : 600 pages de Ian McDonald, vous pensez bien, on me l’aurait offert que je l’aurais caché dans le fond de ma PàL. Mais je ne pense pas me tromper en disant que La petite déesse ferait une excellente entrée en matière avant de s’attaquer au mastodonte. Enfin en tout cas, cette lecture m’a donné ENVIE de lire Le fleuve des dieux (je vous rappelle que je reviens de loin). Le format nouvelle permet d’aborder les différentes thématiques qui animent cette Inde futuriste de façon plus douce, petit bout par petit bout, tout en proposant sept textes qui sont hyper cohérents entre eux, bien que ne mettant pas en scène les mêmes personnages.
Sans aller jusqu’à parler de fixup, on sent une certaine continuité, une progression même, qui nous fait passer des robots téléguidés au post-humanisme de masse, en l’espace de sept textes. Le tout en nous proposant des histoires prenantes, des personnages attachants et intrigants ainsi qu’une description fascinante de l’Inde du 21ème siècle.
Brillant, il n’y a pas d’autre mot. J’adore vraiment le fait qu’un recueil soit un ensemble cohérent et pas seulement différents textes collés un peu artificiellement ensemble.

Delhi n’était plus la capitale d’une grande nation, mais une imposture géographique.
[Vishnu au cirque des chats]

Voyons ces nouvelles de plus près :
Sanjiv et Robot-wallah. Où l’on raconte le quotidien d’adolescents qui mènent  des robots destinés à faire la guerre, comme s’ils jouaient à un jeu vidéo.  Histoires tragiques de jeunesses volées.
Kyle fait la connaissance du fleuve. Qui conte l’amitié improbable d’un petit américain expatrié en Inde car son père travaille à la reconstruction du pays après la guerre et d’un autochtone. La nouvelle est tout en contraste : les différences sociales et culturelles entre l’enfant étranger et l’enfant indien, l’opposition entre le quartier protégé  dans lequel évolue Kyle et l’Inde véritable d’où vient l’enfant indien. Opposition entre la réalité et le virtuel, les deux enfants étant souvent plongés dans un jeu immersif en ligne avec leur « lighthoek ».
L’assassin-poussière est l’histoire d’une vendetta. Une guerre oppose deux familles très anciennes qui s’entre-tuent joyeusement, à tel point qu’il ne reste plus que Padminî et Sâlim, seuls rescapés de deux familles rivales  Mais la vengeance est un plat qui se mange froid et Padminî est l’instrument de celle de son père. On découvre les robots-singes qui servent de garde du corps, ainsi que le troisième sexe, ces personnes qui ont décidé de ne plus être ni homme ni femme.

Un beau parti. La sélection des embryons cause quelques soucis à l’Inde. Il y a quatre hommes pour une femme dans le pays.  Jâsbir, qui est un beau parti, veut tout mettre en oeuvre pour trouver la femme parfaite qui voudra se marier avec lui.  La technologie montante des aeais (intelligences artificielles) permet à son ami de lui fabriquer une I.A. qui sera en charge de faire de lui un homme à marier : non content de lui apprendre la salsa et lui faire épiler les sourcils, il lui dictera aussi les mots et les gestes qu’il doit avoir en face de sa prétendante. Il y a dans cette nouvelle un basculement dans l’avancée technologique que l’on suit depuis trois nouvelles : des instruments purs que sont les robots-singes et les robots guerriers, on sent ici que les aeais peuvent devenir davantage que des outils au service de l’homme.

« Les sourcils , monsieur. Vous ne trouverez jamais d’épouse avec vos sourcils de sâdhu poilu.  » Pour info : un sâdhu.

La petite déesse. J’avais déjà lu cette nouvelle dans le Bifrost consacré à Ian McDonald. Elle m’avait bien plu mais j’avais senti que je passais à côté de plein de subtilités. A sa place parmi les autres, elle prend tout son sens. Il s’agit du destin étonnant d’une petite fille promue au rang de déesse. Mais elle ne sera déesse que tant qu’elle ne saigne pas une seule goutte de sang. Le moment arrive plus tôt que prévu (et pas de la façon initialement prévue non plus) et après avoir été admirée, idolâtrée, la voilà quasi jetée sur le pavé. La fin est très belle. La présence des aeais se fait inévitable.
L’épouse du djinn.  Eshâ est danseuse. A.J. Rao est une aeai de niveau 2.9, autant dire aussi intelligent qu’un humain, voire même plus puisqu’une aeai a de part son statut dématérialisé et informatisé le don d’ubiquité (faut avouer que ça donne un avantage certain).  Ils tombent amoureux. Entre la particularité d’une histoire d’amour entre un être humain et une intelligence artificielle (la nouvelle est mille fois mieux que le film Transcendance) et les lois d’Hamilton destinées à rendre hors-la-loi des aeais de niveau de plus de 2.8 (pas de bol), on n’a pas le temps de s’ennuyer.
Vishnu et le cirque des chats est la nouvelle la plus vertigineuse du recueil. Vishnu est un brahmâne. Il fait partie de cette caste réduite et très admirée des enfants modifiés génétiquement : ils sont issus d’une sélection génétique rigoureuse avant même leur conception : leurs qualités, leur absence de problèmes de santé, leur intelligence supérieure et leur longévité qui a cette particularité de les faire vieillir deux fois moins vite que le reste de la population. Ils sont l’avenir de l’Inde.  Cette nouvelle est un auto-portrait fascinant de Vishnu, mais aussi un portrait sans concession de l’Inde et de ce qu’elle devient au fil de la très longue vie de cet homme.

 

16 commentaires sur « La petite déesse | L’Inde du futur en 7 nouvelles »

  1. Je trouve aussi que c'est une bonne entrée en matière pour le Fleuve des Dieux mais ne te colle tout de même pas trop la pression pour le lire (même si le roman est génial), ce serait dommage de passer à côté pour cause de surmenage 😉

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  2. Je ne saurai que te conseiller Roi du matin, reine du jour qui est à la fois très accessible et prenant. Sans doute beaucoup plus que le Fleuve des dieux. Pas de raison d'avoir peur de McDonald.

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  3. « Sans aller jusqu'à parler de fixup, on sent une certaine continuité, une progression même, qui nous fait passer des robots téléguidés au post-humanisme de masse, en l'espace de sept textes. »
    🙂 😀 :p (tu lis le Fleuve des Dieux, et vite)(etpuiscesttout)

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