La conquête de Plassans | Petit traité de harcèlement moral

la conquête de plassans

Je me suis à nouveau introduite dans le salon (vert cette fois) de Félicité Rougon pour cancaner avec le docteur Pasquier et Monsieur de Condamin. Je me suis confessée auprès de l’abbé Bourrette et ai assisté à l’inauguration  de l’Oeuvre de la Vierge en compagnie du tout Plassans. J’ai observé les jardins depuis les fenêtres aux rideaux blancs de l’abbé Faujas.  Je suis retournée à Plassans pour voir ce que la ville et ses habitants étaient devenus après l’insurrection ratée de La Fortune des Rougon. Je n’ai pas été déçue du voyage…

Déliquescence d’une famille et corruption des prêtres

La famille Mouret, François, Marthe et leurs trois enfants, vit une vie rangée dans leur maison de Plassans. Jusqu’au jour où l’abbé Faujas débarque avec sa mère pour louer une chambre de la maison. Faujas est là pour des raisons politiques. Plassans et ses alentours ayant tendance à pencher du côté républicain de la force alors que Napoléon (sorte de Palpatine du XIXème siècle) est au pouvoir, il a été envoyé pour faire basculer la ville du côté obscure et faire élire un homme dévoué à l’Empire aux prochaines élections.  Le jardin des Mouret, au centre des deux camps, servira de terrain neutre pour rapprocher les opposants.

Mais on va surtout et avant tout assister au dépouillement en règle de Mouret : ses enfants, sa femme, son argent, sa maison, son jardin et jusqu’à sa santé mentale. Tout va lui filer petit à petit entre les doigts, vidant sa vie de sa substance.

Il m’a donné froid aux os, dit Rose en redescendant. Avez-vous remarqué ses yeux ? Et quelle saleté ! Il y a bien deux mois qu’il n’a posé une plume sur le bureau. Moi qui m’imaginais qu’il écrivait là-dedans ! … Quand on pense que la maison est si gaie, et qu’il s’amuse à faire le mort, tout seul !

La conquête de Plassans sert aussi Zola dans sa critique de la religion, en tout cas de l’Eglise et ses représentants et dans une moindre mesure ses ouailles.

On rencontrera pas mal de prêtres dans le roman. Sauf que jamais ils ne parlent de leur dévotion ou de Dieu. Tout n’est qu’ambition, intérêt personnel et politique. Les deux seuls qui sont à sauver sont l’abbé Compan, qui mourra tout seul comme un perdu car il n’est pas de bon ton de frayer avec lui, et l’abbé Bourrette qui laissera son humanité prendre le dessus de ses ambitions ce qui lui vaudra d’être mis au placard. Il se moque aussi de la bigoterie des femmes de la bonne société qui s’amourachent des prêtres et s’empressent de cadeaux et d’actions charitables non par sincère dévotion mais par calcul.

Il déblatéra contre les prêtres : c’étaient tous des cachottiers ; ils étaient dans un tas de manigances, auxquelles le diable ne reconnaîtrait rien ; ils affectaient une pruderie ridicule, à ce point que personne n’avait jamais vu un prêtre se débarbouiller.

François et Marthe Mouret, personnages tragicomiques

François Mouret est à la fois un personnage tragique et comique à l’évolution complexe. Il est tout d’abord drôle parce qu’un peu ridicule. On ne le trouvera pas sympathique pour autant. On le détestera ensuite mais pas longtemps car vient la pitié et la tristesse pour cet homme dont la vie s’éteint peu à peu pendant qu’il sombre dans la dépression. Et puis de venir une forme de colère avec un fort sentiment d’injustice. Se retrouver avec toute la ville sur le dos, qui le croit fou, ce qu’il finira par devenir réellement. Et pour finir, un bref moment de réjouissance coupable lorsque le brasier flambe. C’est dingue tout de même qu’un seul personnage soit capable de susciter autant de sentiments contradictoires à la lecture.

-Qu’est-ce que cela peut vous faire que ce Mouret soit fou ?
-A moi ? chère amie, absolument rien, répondit-il, étonné.
-Eh bien ! alors, laissez-le fou, puisque tout le monde vous dit qu’il est fou… Je ne sais pas quelle rage vous avez d’être d’un autre avis que votre femme. Cela ne vous apportera pas bonheur, mon cher… Ayez donc l’esprit, à Plassans, de n’être pas spirituel.

Ainsi donc, La conquête de Plassans est aussi le roman de la folie.  En plus de celle de Mouret, il y a la folie de Marthe qui tombe dans une dévotion maladive qui n’est en fait que le reflet de ses sentiments amoureux pour Faujas, qui n’en a que faire et la méprise (le type est d’une misogynie épouvantable), ses accès de folie furieuse et d’auto-mutilation. Mais à l’inverse de son mari, qui de sain d’esprit devient un vrai fou, de folle et redevient lucide lors d’un dialogue étonnant entre elle et Faujas et déterminée lors de sa visite aux Tulettes.

Antoine et Félicité, personnages secondaires truculents

Encore une fois les personnages sont le fer de lance du roman zolien. Ce qui m’amène à vous proposer un petit mot sur deux personnages secondaires que j’aime beaucoup :

  • Antoine Macquart, le ricaneur. Il a toujours le mot pour rire et se moquer de tout et de tout le monde. Il vit aux crochets des Rougon qui sont condamnés à l’entretenir vu son rôle peu reluisant dans leur ascension sociale. Vivant à deux pas de l’asile d’aliénés des Tulettes, il surveille du coin de l’œil la Tante Dide qui y est enfermée. J’adore comment il titille Félicité, comment il va permettre à Mouret de s’enfuir de l’asile et comment il sera dépité de constater que cette action n’aura pas l’effet escompté sur les Rougon (qu’il cherche à enquiquiner).
  • Félicité Rougon, l’intelligence perverse. Au centre de La Fortune des Rougon, elle est ici plus en retrait. Mais ne vous y trompez pas : c’est elle qui tire les ficelles. Elle se met tout le monde dans la poche grâce à son salon vert, fomente et se tient judicieusement à l’écart de ce qui pourrait nuire à sa réputation. J’ai adoré lorsqu’elle a renvoyé Faujas en lui disant grosso modo de revenir dans son salon quand il serait mieux vu en ville et lorsqu’elle l’envoie encore balader quand il laisse son mépris pour son prochain reprendre le dessus une fois la ville conquise.  J’adore sa ténacité, sa mesquinerie, sa sociopathie calculée. En fait j’adore la détester.

Ecoutez, mon cher, lui répondit-elle au bout d’un silence, vous manquez de tact ; cela vous perdra. Faites la culbute, si ça vous amuse. Moi, en somme, je m’en lave les mains. Je vous ai aidé, non pas pour vos beaux yeux, mais pour être agréable à nos amis de Paris. On m’écrivait de vous piloter, je vous pilotais… Seulement, retenez bien ceci : je ne souffrirai pas que vous veniez faire le maître chez moi. Que le petit Péqueur, que le bonhomme Rastoil tremblent à la vue de votre soutane, cela est bon. Nous autres, nous n’avons pas peur, nous entendons rester les maîtres. Mon mari a conquis Plassans avant vous, et nous garderons Plassans, je vous en préviens.

Certains autres personnages ne sont pas en reste :  Rose la bonne de la famille, les Trouche qui s’imposent à la famille et vont s’empresser de compléter la spoliation des biens des Mouret, la mère de Faujas qui sert son fils jusqu’au bout. Les personnages de La conquête de Plassans sont particulièrement réjouissants de méchanceté et d’ambitions, sublimés par des dialogues délirants et formidablement réussis.

La conquête de Plassans nous offre une véritable plongée dans l’horreur psychologique. Ce qui a profondément marqué ma relecture est le sort peu enviable du couple Mouret. Cette lente déliquescence familiale qui ressemble à une descente aux enfers, tous les passages de harcèlements et de manipulations que ce soit de la part de Mouret envers sa femme en début de roman, de Faujas envers Marthe, de Marthe et Rose envers Mouret, de la ville entière envers Mouret. Cet enchaînement tend à mener des vies vers l’effondrement et la folie. Ça fait froid dans le dos, c’est puissant. On ne peut refermer son livre sans perdre foi en l’humanité.

Informations éditoriales

Publié pour la première fois en 1874. 508 pages pour l’édition Le livre de Poche Classiques. Couverture : James Tissot, Portrait d’un prêtre. La présente édition est complétée d’un dossier et de plusieurs nouvelles écrites par Zola.

Pour aller plus loin

Mon billet d’intention de relire les Rougon-Macquart.
Mes impressions : La fortune des RougonLa curéeLe ventre de ParisLa conquête de PlassansLa faute de l’abbé MouretSon excellence Eugène RougonL’AssommoirUne page d’amourNanaPot-bouilleAu bonheur des damesLa joie de vivreGerminalL’oeuvreLa TerreLe rêveLa bête humaineL’argent. La débâcle. Le docteur Pascal.
Lecture commune avec Alys. Son billet.
D’autres avis : Le salon des précieuses,

13 commentaires sur « La conquête de Plassans | Petit traité de harcèlement moral »

  1. Le personnage de Félicité est assez extraordinaire, je trouve. Quand on envisage l’ensemble des Rougon-Macquart, il me semble qu’elle est une allégorie du Pouvoir, sous toutes ses formes : politisue, mais aussi privé. Elle incarne une sorte de toile d’araignée qui se tisse roman après roman pour se hisser au sommet de son petit monde.

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