J.G. Ballard, nouvelles complètes 1956/1962 | Ballardons-nous épisode 1

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Impressions.

Je me suis plongée avec délectation dans ce premier volume de l’intégrale des nouvelles de Ballard : pas moins de 28 nouvelles en 695 pages. Autant vous dire que vu l’auteur, c’est dense, dense, dense. Essayons de lui faire honneur.

Intégrale en 3 volumes

Entre 2008 et 2010, les éditions Tristram ont eu l’excellente idée de publier l’intégralité des nouvelles de Ballard en trois volumineux ouvrages. Je vous parle ici du premier, qui traite des nouvelles publiées au début de la carrière de l’auteur, entre 1956 et 1962. Les nouvelles sont agencées par ordre chronologique de publication en langue anglaise. Le volume est accompagné d’une trop courte préface de Ballard himself dans laquelle il explique son amour pour les nouvelles et sa vision de la science-fiction. Qui a souvent fait dire à ses lecteurs que ça n’en était pas. Ce qui a sans doute permis à Ballard d’avoir une certaine aura dans le monde de la littérature mainstream.

A la fin du volume, une table des matières, à laquelle je me suis fréquemment reportée car  chaque texte y est associé à son traducteur et au recueil dans lequel il a été publié initialement (avec quelques inédits !).  J’aurais juste bien aimé avoir les titres originaux des nouvelles également.

Reste à voir comment je vais arriver à vous parler de cette aventure en 28 nouvelles. Je peine à trouver le moyen de lui rendre justice tant la densité et l’originalité sont au rendez-vous. A défaut je vais quand même essayer de vous donner envie de découvrir l’un des piliers de la « new wave » britannique, élevé depuis au rang de classique.

Bienvenue à Vermilion Sands

D’entrée de jeu, Ballard m’a étonnée avec Prima Belladonna, première nouvelle, issue du recueil Vermilion Sands. Vermilion Sands, cette station balnéaire imaginaire que l’auteur qualifiait de « banlieue exotique » de son esprit. Il y est question de plantes qui font de la musique. Toutes les nouvelles issues de ce recueil proposent des dispositifs artistiques étonnants : après les plantes musicales, les statues soniques (Le sourire de Vénus et Les statues qui chantent), les maisons psychotropiques qui changent en fonction du vécu de leurs habitants (les mille rêves de Stellavista), les machines à produire des vers (Numéro 5, les étoiles). Il semble que le monsieur rencontre une certaine fascination pour créer des dispositifs artistiques inédits et qu’il soit très branché sur tout ce qui est musique et sons (des nouvelles sur le sujet : Le débruiteur, La plage 12).

D’après la brochure, la maison avait été construite huit ans auparavant pour servir de retraite de week-end à un gros producteur de télévision. Elle avait un pedigree important : deux starlettes de cinéma, un psychiatre, un styliste automobile et un compositeur ultrasonique, feu Dmitri Schochmann, célèbre fou qui avait invité une vingtaine d’amis à sa suicide-partie. Personne n’étant venu, il s’était résigné à ajourner sa tentative. Avec l’empreinte de valeurs aussi sûres gravée dans ses circuits, la maison aurait dû se vendre en moins d’une semaine, même à Vermilion Sands. Or, elle était sur le marché depuis plusieurs mois, sinon des années, ce qui semblait indiquer que ses occupants précédentes n’y avaient pas été particulièrement heureux.

Les mille rêves de Stellavista

Das experiment

Assez rapidement, je me suis rendue compte qu’il aimait jouer les expérimentateurs avec ses personnages : et si je plaçais ce couple typique des années 50 dans une boucle temporelle devant leur télé  (L’échappement) ? Et si cet employé modèle mais un peu crispant possédait dans un tiroir une réplique vivante et miniature de quartier où il vit et travaille (Le dernier monde de M. Goddard)?

C’est-à-dire que Ballard est aussi fasciné par la psychiatrie et les expériences psychologiquesTrou d’homme n°69, Zone de terreur, L’homme saturé, 13 pour le centaure, L’homme du 99ème étage (ouip, ça fait beaucoup, et je suis à peu près sûre de ne pas être exhaustive). Ou encore Les fous, dans laquelle il prend la psychiatrie à contre-pied en inventant un monde où il serait interdit de traiter les psychotiques, les dépressifs ou toute personne souffrant d’une maladie mentale.

« En réalité, ce que je veux dire, c’est que maintenant Lang, Gorrell et Avery sont, pour le meilleur ou pour le pire, coincés face à eux-mêmes. Ils n’ont aucune possibilité de se dérober, ne serait-ce qu’une minute ou deux, encore moins huit heures durant. Jusqu’à quel point est-on capable de se supporter ? Ces huit heures par jour, peut-être nous sont-elles nécessaires pour supporter le choc d’être ce que nous sommes. Souvenez-vous d’une chose : nous ne serons pas, ni vous ni moi, constamment à leurs côtés, à les gaver de tests et de films. Que va-t-il se passer si jamais ils commencent à en avoir soupé d’eux-mêmes ?

Trou d’homme n°69

Si vous connaissez un petit peu mes thèmes de prédilection, vous vous doutez bien que là où j’ai pris mon pied c’est quand je me suis rendue compte qu’il y avait aussi un petit paquet de nouvelles dystopiques/postapocalyptiques. La ville concentrationnaire et Billénium pour traiter de surpopulation par exemple. J’ai aussi beaucoup aimé Fin fond, une nouvelle crépusculaire où l’Atlantique est devenue une mare dans laquelle crève la dernière roussette de la planète, tout cela à cause de la connerie humaine. Ou encore La cage de sable dans laquelle les hommes ont importé massivement du sable martien sur Terre (je vous laisse découvrir pourquoi), important par la même occasion un virus s’attaquant à la végétation terrestre. Ou encore : Les Tours de guet, qui traite de surveillance ou bien Chronopolis, qui dépeint un monde dans lequel les montres et la mesure exacte du temps ont été interdites.

Tempus, temporis

D’ailleurs, le temps est également un thème de prédilection de Ballard. On le trouve à tous les coins de nouvelles. Un classique paradoxe temporel de l’écrivain dans Un assassin très comme il faut. Dans Les voix du temps, un virus a pour effet d’augmenter progressivement le temps de sommeil de l’individu atteint, diminuant d’autant le temps de veille, jusqu’à ce que la personne ne se réveille plus. On le retrouve aussi dans Les terrains d’attente, une des seules nouvelles ne se passant pas sur Terre. On parle du temps cosmologique, de l’isolement prolongé d’un type tout seul sur sa planète et obsédé par des monolithes (tiens, tiens) chelous aux inscriptions chelous ayant de toute évidence une origine extraterrestre.

« Entre-temps, nous attendons ici, au seuil du temps et de l’espace, célébrant l’identité et la parenté des particules à l’intérieur de notre corps avec celle du soleil et des étoiles dans nos brèves rencontres avec les vastes périodes des galaxies, les temps unificateur total du cosmos…

Les Terrains d’attente

Donc Ballard, c’est bien. Je ne sais pas si cela peut plaire à tout le monde car il y a vraiment quelque chose de très particulier dans ses histoires mais dans tous les cas, n’hésitez pas à tenter le coup à l’occasion, même sans passer par l’intégrale qui reste un achat conséquent.  il existe des recueils, à commencer par Vermilion Sands par lequel mon libraire m’avait conseillé de commencer (les libraires c’est comme les psy, leurs propos sont faits pour être détournés).

Informations éditoriales

Publié aux éditions Tristram en 2009. Contient 28 nouvelles publiées initialement entre 1956 et 1962. Edition établie sous la direction de Bernard Sigaud.  Traduit de l’anglais par: Guy Abadia, Laure Casseau, Michel Demuth, Alain Dorémieux, Pierre-Paule Durastanti, Gisèle Garson & Pierre Versins, Robert Louit, Lionel Massun, Pierre K. Rey, Arlette Rosenblum, Bernard Sigaud, Frank Straschitz. Couverture par T. Dubreil (graphisme) et Paul Murphy (photographie). 696 pages.

Pour aller plus loin

Le Bifrost 59ème du nom propose un dossier costaud sur J.G. Ballard, qu’il faut absolument que je relise à la lumière de cette fabuleuse lecture.
D’autres avis : Nebal est un con, ActuSF, 233°C, ou signalez-vous en commentaire.

challenge pavé de l'été 2018

24 commentaires sur « J.G. Ballard, nouvelles complètes 1956/1962 | Ballardons-nous épisode 1 »

  1. J’avais bien aimé son livre d’or, par contre dans mon souvenir ça ne respirait pas la joie de vivre… mais faudra que je lise d’autres textes de lui quand même !

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    1. Non en effet, la plupart de ses nouvelles sont assez angoissantes et ne se finissent pas forcément bien. Mais si tu as bien aimé le livre d’or ça vaut le coup d’en lire d’autres.

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  2. Les rares fois où j’ai croisé des livres de Ballard, ça a toujours été des pavés (ou en tout cas c’est l’impression que j’ai eu ^^), et du coup j’ai reculer… Je ne désespère pas de tomber sur un ouvrage moins conséquent un jour, et d’enfin me lancer, d’autant plus après ton billet.
    Sinon, c’est moi ou il y a beaucoup de chiffres dans les titres de ses nouvelles ? =O

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    1. Vermilion Sands me semble d’une épaisseur tout à fait raisonnable et une très bonne manière de découvrir la bizarrerie de l’auteur.
      Oui il semble qu’il aime les chiffres dans ses titres XD. Cela dit il y a 28 nouvelles et après comptage j’en ai cité 24 apparemment (O_O me suis vraiment pas rendue compte, sinon j’aurais fait un effort pour citer les 4 manquantes) et il semble que toutes celles avec un chiffre ont été citées.

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  3. Son Livre d’Or était en effet très bon comme le signale Vert, et le recueil « Vermilion Sands » était en tout point excellent. Donc oui Ballard, ça ne peut pas plaire à tout le monde, c’est parfois un brin exigeant, mais c’est intellectuellement stimulant et c’est au final de la grande littérature.

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    1. J’espère que cela te plaira 🙂
      Je n’ai pas l’impression non qu’il soit dans ce qu’on appelle la nouvelle à chute, en tout cas je n’ai pas de souvenir percutant en tête.

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  4. Je note!
    Je l’avais déjà vu à la librairie il y a mille ans… j’avais déjà été tentée par « Crash » ou « Millenium people » (qui est dans ma wish), mais je n’ai pas encore concrétisé cette découverte!
    Ton article incite à la découverte! c’est très bien 😉 merci!

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