L’assommoir | La simple vie de Gervaise Macquart

L'Assommoir émile zola

J’ai assisté à une bataille rangée à coups de battoir à linge au lavoir de la rue Neuve de la Goutte d’Or. Je me suis enfilé des shots d’eau-de-vie à l’Assommoir du père Colombe. Je me suis perdue dans le Louvre. J’ai participé au travail des repasseuses dans la boutique de Gervaise et chipé des bonbons dans les bocaux de celle de Virginie. Suivez-moi pour une plongée obscure dans le milieu ouvrier parisien du 19ème siècle…

Remise en contexte

L’Assommoir est le septième opus de la saga des Rougon-Macquart. Il fit un tel scandale qu’il se propulsa en tête du hit-parade littéraire lors de sa sortie en volume début 1877, après une houleuse publication en feuilleton. Il avait bien compris, ce sacripant de Zola, que c’est en choquant qu’on vend !

Plus sérieusement, ce qu’a voulu faire Zola c’est dénoncer la misère du milieu ouvrier dans sa vérité toute nue et ça n’a pas beaucoup plu. Il s’est beaucoup documenté pour réaliser ce travail mais il a lui-même vécu dans une grande pauvreté dans ses débuts parisiens.

C’est ainsi qu’il va entreprendre de dépeindre la vie de Gervaise Macquart, fille de Joséphine Gavaudan et Antoine Macquart. Antoine Macquart, c’est le type avec un énorme poil dans la main que l’on voit à l’oeuvre dans La fortune des Rougon et plus tard on le voit rentier, taquinant son frère et sa femme dans La conquête de Plassans.

Tout commence avec une fessée

Au début de L’Assommoir, Gervaise est à Paris dans une petite chambre minable avec ses deux enfants, Etienne et Claude, à attendre Lantier qui est parti faire la bringue avec ses potes. Mais Gervaise a du cœur à l’ouvrage alors elle se rend au lavoir pour laver le linge familial après s’être disputée avec Lantier, rentré au petit matin. Le truc c’est qu’il profite qu’elle est au lavoir pour se tirer avec sa nouvelle copine et laisser les morveux aller prévenir leur mère. En plein lavoir. S’en suit une scène hallucinante dont seul Zola a le secret où Gervaise en vient à fesser Virginie, la sœur de la nouvelle copine de Lantier qui se moquait de son malheur. Avec un battoir à linge.

A son tour, elle saisit un seau, le vida sur la jeune femme. Alors, une bataille formidable s’engagea. Elles couraient toutes deux le long des baquets, s’emparant des seaux pleins, revenant se les jeter à la tête. Et chaque déluge était accompagné d’un éclat de voix. Gervaise elle-même répondait à présent.
« Tiens, saleté ! … Voilà pour ta crasse. Débarbouille-toi une fois dans ta vie.
– Oui, oui, je vas te dessaler, grande morue !
– Encore un ! … Rince-toi les dents, fais ta toilette pour ton quart de ce soir, au coin de la rue Belhomme. »

Plus tard Gervaise se marie avec Coupeau, un ouvrier travailleur qui ne boit pas (ce qui est une qualité très recherchée en ce temps-là). Ils ont ensemble une petite fille, Nana (oui c’est la même que le titre du 9ème tome). Ça fonctionne plutôt bien pour eux au début mais vous vous doutez bien que si Zola en fait les protagonistes de son récit, ce n’est pas pour leur offrir une happy end.

Déterminisme de l’hérédité et du milieu social

Les malheurs vont tomber, l’alcoolisme, les dettes et la misère, dans un déterminisme à faire peur. Car ce que Zola semble vouloir nous dire c’est qu’il est impossible pour Gervaise de s’extraire de son hérédité et de son milieu social. Il utilise toujours le même procédé pour nous montrer ce déterminisme mais je n’en ai pas vraiment parlé dans mes précédentes chroniques, je vais donc développer.

En fait, quand vous lisez un Zola, vous savez toujours ce qu’il va se passer avant que cela se produise. L’auteur prend un malin plaisir à nous mettre la puce à l’oreille parfois jusqu’à des centaines de pages à l’avance. Voyons voir ensemble, au travers de 2 exemples, l’un à court terme, l’autre étalé sur toute la durée du livre.

Lors d’une scène Gervaise va rejoindre Coupeau au travail. Coupeau est zingueur il travaille donc sur les toits, avec les risques que cela comporte. Un drame va se produire et on le sait à la minute où Zola commence à décrire les actions de Coupeau : sa très grande confiance en lui en homme habitué à se balader sur les toits, la jambe qui pend dans le vide, l’apprenti distrait, la discussion avec Madame Boche, mais surtout ! Surtout, la vieille à sa fenêtre :

Ils haussaient la voix, parce qu’une voiture passait dans la rue de la Nation, large, déserte : leurs paroles, lancées à toute volée, avaient seulement fait mettre à sa fenêtre une petite vieille ; et cette vieille restait là, accoudée, se donnant la distraction d’une grosse émotion, à regarder cet homme, sur la toiture d’en face, comme si elle espérait le voir tomber d’une minute à l’autre.

Cette vieille va rester là pendant toute la scène, assistant à la discussion entre Madame Boche et Gervaise lors de laquelle cette dernière dit ses craintes de voir son mari tomber, etc etc. Jusqu’à ce que le mari tombe en effet, et la vieille de refermer sa fenêtre, satisfaite. Ce n’est PAS DU TOUT subtil. Et pourtant ça marche. Le truc c’est que nous lecteur on regarde ça en voyeur, comme la vieille à sa fenêtre. Il y a deux façons alors de se sentir à ce moment-là : soit une certaine impatience et une cruauté sadique, soit une angoisse grandissante et un vain espoir. Mais dans tous les cas, une chose est sûre c’est qu’on sait dès le départ que Coupeau va tomber de son toit.

Un autre exemple est la relation que Gervaise entretient avec le croque-mort de la maison de la Goutte d’Or, le père Bazouge, un ivrogne notoire. A leur première rencontre, il a des paroles prémonitoires qui terrifient Gervaise :

« Ça ne vous empêchera pas d’y passer, ma petite… Vous serez peut-être bien contente d’y passer un jour… Oui, j’en connais des femmes, qui diraient merci, si on les emportait. »

Plusieurs fois dans le récit, le père Bazouge va réapparaître, comme un oiseau de mauvaise augure. Il deviendra même le voisin d’appartement de Gervaise et Coupeau, venant personnifier le rapprochement de la mort pour le couple.

Le déterminisme se cache aussi (comme le nez au milieu de la figure) dans le rapport à l’alcool qui évolue tout au long du récit. Gervaise en a peur. Pour rappel, sa mère la biberonnait à l’anisette quand elle était petite. Elle s’en tient éloignée mais en même temps autour d’elle, il est partout : l’alambic de L’Assommoir, le bar où les ouvriers viennent se saouler les jours de paie (et les autres jours aussi), son homme (j’ai 2 scènes hallucinantes en tête mais je les tairai ici, allez lire le livre, zut à la fin :p) et mais elle non plus n’y échappe pas.

Un autre sujet abordé très frontalement par Zola dans L’Assommoir est la violence faite aux femmes. Commençons « gentiment » par le harcèlement sexuel qui est monnaie courante, des pincements de fesses ou de cuisses par là, des commentaires salaces et de la drague lourde sont au programme et auraient fait de jolis tweets à taguer #metoo #balancetonporc. Mais Zola va encore plus loin, en abordant la violence conjugale, de manière frappante, si vous me pardonnez le jeu de mots.

Il décrit ainsi en long en large et en travers le martyr de la mère Bijard qui finit par mourir sous les coups de son mari. A ce moment-là on se dit, merde le mec il va se faire arrêter, on va le dénoncer. Ha que nenni, tout le monde trouve ça très triste et pas très moral mais personne ne fait rien. Alors, il continue de plus belle en se mettant à taper sur sa fille, la sainte petite Lalie qui connait un destin à vous fendre le cœur. Ça m’a complètement bouleversée, c’est vraiment à pleurer de tristesse et de rage.

Il lui tint à peu près ce langage

Tout cela Zola nous le raconte avec l’argot du peuple, comme si vraiment on était dans la tête des personnages. Ce qui lui a été aussi reproché. On lit ainsi un livre d’une haute tenue intellectuelle mais usant de mots parfaitement imagés, parfois orduriers. C’est tout à fait réjouissant et très parlant, même si on ne comprend pas forcément tout ce qui est dit. D’ailleurs, je vous conseille de ne pas forcément lire les notes de bas de page, histoire de vous immerger davantage. Un exemple, pour le plaisir des yeux :

Même, sans ambitionner des bijoux, elle ne pouvait vraiment pas rester un guenillon, elle était lasse de se retaper avec de la gratte des ateliers de la rue du Caire, elle avait surtout assez de sa casquette, ce caloquet sur lequel des fleurs chipées chez Titreville faisait un effet de gringuenaudes* pendues comme des sonnettes au derrière d’un pauvre homme.

*des crottes 😀

Je pourrais continuer longtemps comme ça, tant ce livre est riche. Je n’ai même pas parlé des personnages secondaires les abominables Lorilleux ou l’amoureux transi Goujet. Je n’ai pas évoqué d’autres scènes formidables comme celle de la visite au Louvre. Ni parlé plus avant du caractère de Gervaise et de sa dégringolade lente et inéluctable. Mais cela vous donne une bonne raison de lire le livre.

L’Assommoir ne tire pas son succès de nulle part. Choquant à sa sortie, il reste aujourd’hui le plus lu des romans de Zola avec Germinal, car il est exemplaire du travail de l’auteur. On dit souvent, à la blague, que L’Assommoir est assommant. Oui c’est vrai mais pas parce qu’il est chiant mais parce qu’il dénonce des choses très lourdes en n’épargnant personne et surtout pas le lecteur.

Informations éditoriales

Publié pour la première fois en 1877. 567 pages pour l’édition Le Livre de Poche Classiques. Couverture : Blanchisseuses portant du linge (détail) par Edgar Degas. La présente édition est complétée d’une introduction (à lire APRES lecture), d’une préface d’Emile Zola et divers textes et documents en fin d’ouvrage.

Pour aller plus loin

Mon billet d’intention de relire les Rougon-Macquart.
Mes impressions : La fortune des RougonLa curéeLe ventre de ParisLa conquête de PlassansLa faute de l’abbé MouretSon excellence Eugène RougonL’AssommoirUne page d’amourNanaPot-bouilleAu bonheur des damesLa joie de vivreGerminalL’oeuvreLa TerreLe rêveLa bête humaineL’argent. La débâcle. Le docteur Pascal.
Lecture commune avec Alys. Son billet.
D’autres avis : Mon coin lecture.

28 commentaires sur « L’assommoir | La simple vie de Gervaise Macquart »

  1. La scène de la fessée est épique, un grand moment de littérature qui m’a marquée, comme la plupart des Rougon-Macquart que j’ai lus. Un formidable roman que L’Assommoir, mes premiers émois de lectrice, et merci d’avoir précisé son côté « assommant », c’est tellement ça ! 😀

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  2. Cela m’a évoqué de tres lointains souvenirs, des bons et il faudrait que je reprenne cette saga. Pour l’instant je suis dans une histoire plus récente quelque part au nord de l’Irak. Un autre voyage que celui que tu as proposé. ..

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  3. C’est très juste ce que tu dis sur les « appels » de Zola qui te prévient à l’avance (mais je te l’ai déjà dit par mail ^^). Tu mets bien en exergue tout ce que ce bouquin a de riche et de visuel et les nombreux sujets qu’il aborde.
    Comment ai-je pu oublier la visite du Louvre. Lol.

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    1. Rhoo en plus tu en avais parlé dans les mails.
      J’ai déjà lu ton billet mais j’irai commenter demain, là je suis naze je vais aller me coucher XD (oui il est pas 20h XD Call me Mamy Lilly)

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  4. Mais oui, fichier, diantre, que diable,(re)lisons-le!

    (Après une telle invitation, je n’oserais pas refuser)
    (De toute façon, j’ai déjà un pied dans l’engrenage Zola)
    (S’il m’arrive de nager dans le bonheur, vite un Zola pour remettre les pendules de la déprime à l’heure. J’exagère un peu peux-être? Mmpft si peu en fait)

    (J’arrête avec mes parenthèses)

    Merci

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  5. Un livre à interdire aux enfants, elle a l’air bien trop violente cette bagarre au lavoir ! =O
    Très belle chronique en tout cas, même si je suis un peu déçu de tous ces passages que tu nous caches, vu que je ne pense quand même pas le lire. =P

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  6. Ah ! Je connais d’autres personnes qui se sont actuellement embarqués dans la relecture complète des Rougon-Macquart. Je ne me prêterais pour ma part pas au jeu ^^. Je lis très lentement et ne voudrais donc pas consacrer autant de temps à Zola.
    Par contre, cela fait quelques mois que l’idée de relire du Zola me taraude. Je n’ai jamais lu l’Assommoir. Tout comme Germinal d’ailleurs ^^. J’ai lu des bouquins de second plan chez Zola, mais qui m’avaient bien plus étant adolescent. Il faudrait que j’y replonge. Ton article accentue mon envie !

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    1. J’ai chroniqué chaque tome jusqu’à celui-ci et vraisemblablement chroniquerai les suivants, si tu as besoin d’infos pour faire ton choix, le moment venu ^^

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    1. Faut que tu arrêtes de t’excuser à chaque fois, tu lis ce que tu veux :’)
      Ça me fait très plaisir que tu apprécies la lecture de mes billets 🙂

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  7. HAN La chronique quoi!!
    De bout en bout tu m’as donné (à nouveau) envie de me replonger dans Zola.
    Le positif, c’est que je n’ai pas trop perdu de ma lecture de Nana. C’était mon premier… vers 95 (je crois, à vérifier. J’ai essayé de le commencer une ou deux fois avant de vraiment l’apprécier).
    J’ai ensuite enchaîné avec Nana, avant de reprendre la série par le début.
    Et là, j’avoue que je me dis qu’il faudrait peut-être que je recommence au début (me suis arrêtée au milieu de l’Abbé Mouret….)

    Enfin bref, ça va être le dilemme dans ma tête, mais il faudrait que je reprenne ça!
    Zola est mon auteur classique favori je pense….

    Merci pour ta chronique, ton partage et les souvenirs que ça ramènent.

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    1. *_*
      Faut avouer que je comprends que l’abbé Mouret ait eu raison de toi, jusqu’ici c’est le seul que j’ai trouvé -partiellement il y avait tout de même des choses formidables dedans- pénible à lire.

      Ça serait super chouette que tu t’y remettes !

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