La servante écarlate | Nolite te salopardes exterminorum

La servante écarlate Margaret Atwood
Impressions.

La servante écarlate est un roman écrit par Margaret Atwood. Publié au Canada en 1985, il fût traduit en français en 1987 chez Robert Laffont. Cette effroyable dystopie a depuis fait l’objet d’une adaptation en série télé (Bruce Miller) en cours de production avec trois saisons à son actif et d’une adaptation cinématographique plus ancienne par Volker Schlöndorff en 1990. Revenons sur ce livre devenu culte dans notre réalité post #metoo.

Comment faire pour survivre quand ton monde s’est écroulé sur lui-même ? Quand on t’a arraché ton enfant et ton mari ? Quand ton espace intellectuel, relationnel et physique s’est étriqué ? Quand tu es à la merci de gens persuadés d’avoir raison qui ont essayé de te laver le cerveau pour te convaincre du bien fondé de ce qu’ils t’infligent ? Quand chaque mois tu subis un viol institutionnalisé sous l’euphémisme de Cérémonie?

C’est à ce moment-là qu’ils ont suspendu la Constitution. Ils disaient que ce serait temporaire. Il n’y a même pas eu d’émeutes dans la rue. Les gens restaient chez eux le soir, à regarder la télévision, à chercher à s’orienter. Il n’y avait même pas un ennemi sur lequel mettre le doigt.

La république de Gilead a annihilé l’individu, soumis la femme et enfermé chacun dans un rôle dont il ne peut sortir. Durant les 500 pages du roman on ne quitte pas les pensées de cette femme sans nom qui raconte son quotidien, son passé et comment on en est arrivé là. A cette situation insoutenable.

Hier, c’était le 4 Juillet, c’était autrefois la Fête de l’Indépendance, avant qu’on ne l’ait abolie. Le 1er septembre sera la Fête du Travail, elle existe encore. Avant, cela n’avait rien à voir avec les accouchements.

Il est évidemment très compliqué de se détacher de la série télé quand on lit ce roman. C’est inévitable. Heureux celleux qui le liront sans rien en connaitre, mais cela existe-t-il encore ? Je ne vais donc pas essayer de vous faire croire que je suis capable de chroniquer cette lecture comme si je n’avais pas vu la série. Au contraire.

Il faut savoir que le format audiovisuel est très différent de l’écrit. D’une façon ou d’une autre il nous force à nous mettre à la troisième personne. Cela peut-être compensé par des plans serrés, une voix off à la première personne. Ce ne fut pas le cas de The Handmaid’s Tale et grand bien leur en a pris d’ailleurs, cela leur a permis de nous raconter l’histoire différemment, de s’intéresser à d’autres personnages.

Elle ne m’adresse pas la parole ; sauf si elle ne peut l’éviter. Je suis pour elle un reproche et une nécessité.

Le livre en est l’exact opposé. La servante écarlate est résolument à la première personne. On est Defred. On chemine dans ses pensées, ses gestes, ce qu’elle subit, ce qu’elle espère. On est son acceptation et sa révolte. On est elle acceptant n’importe quoi pourvu que cela la fasse sortir de l’ennui. On est elle découvrant les mots gravés à l’intérieur d’une armoire par sa prédécesseuse. On est elle se rendant au Mur pour voir les pendus. On est Defred et c’est insoutenable.

Tous les soirs en allant me coucher, je me dis : Demain, je me réveillerai dans ma maison à moi, et tout sera comme avant.

Ce n’est pas arrivé ce matin non plus.

La photographie de The Handmaid’s Tale est particulièrement soignée. L’écriture de La servante écarlate est particulièrement stylisée, sur un ton résigné qui nous immerge davantage dans la psyché de sa narratrice. Elle aime à utiliser des comparaisons imagées. Comme :

[…] elle est comme un chat qui se coule sur la page que l’on essaie de lire.

ou

Je parcours le chemin de gravier qui divise la pelouse de derrière, proprement, comme un raie de cheveux.

La télévision a besoin de héros. D’héroïnes. L’histoire de Defred dans le roman est beaucoup plus banale que celle de la June de la série. Elle est celle d’une soumission pour survivre, d’insubordination qui se cache pour survivre. Elle est celle de n’importe quelle femme à qui il arriverait la même chose, même si on n’ose pas l’admettre.

Je suis une réfugiée du passé, et comme les autres réfugiés, je passe en revue les coutumes et les façons d’être que j’ai quittées ou que j’ai été forcée de laisser derrière moi, et tout semble aussi bizarre, vu d’ici, et j’en reste tout autant obsédée.

La servante écarlate pose cette question : qu’est-on prête à faire pour survivre ? Que n’ais-je jamais à prendre une décision pareille. Cela est arrivé, cela arrive et cela arrivera à d’autres. C’est à elles qu’il faut penser.

Je ne veux pas souffrir, je ne veux pas être une danseuse, les pieds ballants, la tête, un rectangle de tissu blanc, je ne veux pas être une poupée pendue au Mur, je ne veux pas être un ange sans ailes. Je veux continuer à vivre, peu importe comment. Je cède mon corps librement, à l’usage des autres. Ils peuvent faire de moi ce qu’ils veulent. Je suis abjecte.

Je ne fais pas souvent d’injonction culturelle mais tout le monde devrait lire ce livre. La servante écarlate est un reproche et une nécessité. Il est douloureux, violent. Il est un avertissement. Il dit que la liberté n’est jamais acquise. Il rappelle que ce qui s’est produit par le passé ou ce qui est arrivé ailleurs, à d’autres peut survenir ici et maintenant, à toi.

Informations éditoriales

La servante écarlate est un roman écrit par Margaret Atwood. Publié en français chez Robbert Laffont en 1987. 1985 pour la première publication en langue anglaise. Traduit par Sylviane Rué. Titre original : The Handmaid’s tale. 523 pages.

Pour aller plus loin

Un tome 2 de ce qui était initialement un one-shot sort le 10 octobre 2019.
Un long article qui explique « nolite te salopardes extrerminorum ».
D’autres avis : Les lectures du Maki, Nevertwhere, Cat(s) Books & Rock ‘n’ Roll,

19 commentaires sur « La servante écarlate | Nolite te salopardes exterminorum »

  1. Une lecture prévue surtout que je n’ai pas voulu voirla série. Ça restera dans ma veine dystopie actuelle et récurrente, d’ailleurs. Pas léger mais tellement nécessaire pour comprendre où l’on peut aller si…

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  2. Je comprend tout à fait pourquoi tu invites tout le monde à lire ce livre, mais je ne suis pas d’accord avec toi à ce sujet. Si il tient un propos très important, ce n’est pas un roman particulièrement accessible je trouve… Du coup cela peut décourager facilement. Par contre Vox propose une idée similaire et beaucoup plus accessible.

    J’ai beaucoup aimé le roman et quant à la série, j’ai trouvé la saison 1 sympa et complétant bien le roman. Par contre j’ai lâché en cours de route de la saison 2, je trouvais que ça virait violence gratuite, je vais me relancer dedans néanmoins.

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    1. Je n’ai pas parlé d’accessibilité du roman, ce n’est pas pour ça que je souhaite que tout le monde le lise mais parce que c’est un roman important. De plus mis à part pour les trigger warning que ce roman contient, auxquels je fais assez largement mention dans ma chronique pour que les personnes qui ne veulent pas lire ce genre de roman passent leur chemin, je ne trouve pas que ce roman soit difficile d’accès. Il se lit très facilement, y compris pour des gens qui ne connaissent rien à la SF à mon avis. C’est superbement écrit mais ce n’est pas abscons et on est pris d’une grande empathie pour le personnage principal.

      Quant à Vox, je ne l’ai pas lu, mais je me suis un peu renseignée à son sujet et il avait l’air d’être un sous-produit de La servante écarlate (je peux carrément me tromper cependant).

      Je comprends pour la série, c’est parfois carrément insoutenable. Je n’ai pas entendu beaucoup de bien de la saison 3 non plus mais je la regarderai cependant jusqu’au bout cette série car je suis trop attachée aux personnages.

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      1. J’ai eu beaucoup de retour qui n’ont pas trouvé ce roman si accessible que ça. Pendant longtemps j’avais le même avis que toi, mais depuis que j’ai eu ces retours j’ai un peu revu ce jugement. Je connais pas mal de personnes qui ont abandonné la lecture en cours de route en raison du style. Je trouve que l’autrice a quand même un style assez particulier qui est plus ou moins marqué selon ses romans. Je trouve par exemple C’est le cœur qui lâche en dernier plus accessible.

        Vox ressemble beaucoup à La servante écarlate et il est très différent en même temps (je compte publier un article comparant les deux sous peu d’ailleurs). Son gros point fort est que je le trouve beaucoup plus accessible que La servante écarlate pour un même propos, du coup j’ai tendance à la conseiller aux personnes ayant eu dû mal à lire La servante écarlate.

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      2. Tu as sans doute raison. De mon côté les personnes avec qui j’ai parlé de ce livre l’ont beaucoup apprécié. Il n’en reste pas moins que ma phrase sur tout le monde devrait le lire n’a rien à voir avec son accessibilité ou non. Je juge rarement (jamais?) les livres sur ce critère, c’est juste un (vain) souhait parce que je trouve que c’est un livre important et qu’il ouvrirait les yeux de beaucoup.

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  3. Ravie que tu aies apprécié. Bon, c’était sûr, mais ravie quand même. Et puis quand je dis « apprécié », c’est très relatif, vu le contenu épouvantable.
    Je fais partie de ceux qui l’ont lu sans avoir vu la série (d’ailleurs, je l’ai peut-être lu juste avant que la série ne commence, je ne sais plus) et je pense en rester là. Lire la cérémonie est une chose, la voir sur écran une autre; je doute de tolérer ça.
    J’ai surtout été marquée par les nuances du ressenti de la narratrice et l’importance démesurée que prennent les détails dans une vie si encadrée et surveillée. Comme quand elle se demande si l’intonation de voix de quelqu’un est importante, s’il y a un message caché dans un simple « bonjour ». Et la préciosité de toutes petites possessions matérielles, genre la motte de beurre je crois. Il y a quelque chose de similaire de Si c’est un homme de Primo Levi: dans le monde du camp, il n’y a tellement rien que les rares objets deviennent super importants; genre ramasser un lacet aujourd’hui te permettra de manger demain.
    Je suis d’accord avec toi sur le fait que c’est un livre à lire, mais je trouve aussi qu’il n’est pas facile, justement parce qu’il est très minutieux et très lent, j’imagine aisément qu’il tomberait des mains de certaines personnes de ma connaissance. Il faut se concentrer sur cette lecture, « être avec elle ».

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    1. Oui d’ailleurs j’ai trouvé ça très touchant et très réaliste, comme le montre ton exemple. On s’accroche à ce qu’on peut, à ce qui reste. Il y a quelque chose de ça aussi dans Les hirondelles de Kaboul, où tu sens tout ce potentiel inexploité, caché, interdit de s’exprimer, juste sous un drap sur un mur. C’est terrible.

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  4. Je fais partie de celleux qui n’ont pas lu le livre et vu la série. Et je l’aime cette série, aussi heurtante soit-elle, elle fait mal à voir (beaucoup de scènes) et du bien en même temps (à quelques occasions!).
    Marrant, je n’ai pas eu le sentiment qu’il y avait beaucoup d’avis négatifs sur la 3ème saison comparé à la 2ème. Si c’est le cas, je fonctionne à l’inverse, plus ça va et plus je les apprécie ces saisons ^^
    Et sinon concernant le livre, je suis bien heureuse d’avoir lu cet avis éclairé. Parce que je me demandais si je serais capable d’y trouver un intérêt après la série, si ma lecture n’en serait pas trop entachée. Mais tu me donnes des clés pour l’envisager sous un angle différent.
    Merci!!!

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    1. Ha bah je n’ai entendu que ça pour ma part (je ne l’ai pas encore vue, j’attends un créneau pour tenter l’abo OCS).
      Oui je pense que ça vaut vraiment le coup de lire le livre, c’est très différent, même si beaucoup de points communs et surtout en effet le changement de point de vue qui change tout.

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  5. C’est totalement ce qui m’avait beaucoup intéressé dans le roman : ce côté résigné et quelque part un peu spectatrice de sa propre vie de l’héroïne. Je me demande si je ne relirais pas le livre (ma lecture date) avant de tester Les Testaments. Tu envisages de le lire ?

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    1. Tiens j’ai pas été notifiée de ce message. Oui j’envisage de lire Les testaments mais j’espère vaguement qu’ils vont en sortir une version collector du même format que celle que j’ai, donc je vais attendre. Longtemps sans doute XD

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  6. Beaucoup aimé ce livre. La série (enfin la saison 1) est excellente mais effectivement elle n’arrive pas à retranscrire l’enfermement du personnage. Cette lecture m’a vraiment glacée. On a beau se dire « non moi je ne me laisserai pas faire », on se rend un peu trop bien qu’on finirait par agir comme Defred.

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  7. Ni lu le livre ni vu la série. Mais je compte bien lire le livre avant. Ton commentaire me donne très envie de me lancer dedans. Il faut dire que tout le monde parlait de la série, le livre a ensuite fait parler de lui avec des titres accrocheurs à la con comme « le livre qui fait trembler l’Amérique de Trump ! » et j’ai tendance à me méfier des livres qui font un tel tapage. Mais je me le suis procuré et je compte bien me le lire prochainement. Belle chronique !

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    1. Ha le marketing c’est souvent assez douloureux comme ça peut manquer de subtilité. Mais garanti il vaut le coup ! Bonne lecture et je lirai ton avis avec attention 🙂 Merci ^^

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  8. Personnellement, je suis en train de lire ce roman. Je n’ai pas voulu voir la série avant, tout simplement parce que je n’aime pas voir une oeuvre avant de l’avoir lue. J’apprécie ce livre, bien qu’il me laisse une impression de malaise, car je sais qu’on peut basculer rapidement vers ce qui est décrit. Je viens aussi de relire « 1984 » de G Orwell !

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    1. Oui je comprends tout à fait ce positionnement.
      La malaise fait certainement partie des sentiments que l’autrice a voulu susciter en nous.
      Merci de votre commentaire 🙂

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