Je suis fille de rage | Jean-Laurent Del Socorro

Je suis fille de rage Jean-Laurent Del Socorro

Impressions.

Je suis fille de rage est un roman historique avec une légère touche de fantastique écrit par Jean-Laurent Del Socorro et sorti chez ActuSF le 11 octobre 2019. L’auteur a fait de sa marque de fabrique de traiter l’Histoire par le biais de la littérature de genre, et il faut le dire, cela lui réussit plutôt bien. Après la France des Guerres de Religion, après un conflit entre les Celtes et les Romains, Del Socorro nous fait vivre la Guerre de Sécession.

Un roman à multiples points de vue

Je suis fille de rage commence le 12 avril 1861, au premier jour de la Guerre de Sécession et se termine le 24 décembre 1865, date de la création du Ku Klux Klan.  Le format de ce roman présente plusieurs particularités qui valent d’être explicitées. Il s’agit de très courts chapitres présentant la guerre sous le point de vue de multiples personnages :

  • historiques et fictionnels
  • Sudistes et Nordistes
  • Femmes et hommes
  • Du simple soldat au chef militaire en passant par l’esclave affranchi

L’ennemi a de si beaux yeux, de la couleur de sa nation.
Mais le pays de la mort, lui, n’a qu’une seule teinte : celui du sang noirci qui tache notre histoire.

On peut dire que Del Socorro a un souhait d’exhaustivité dans son approche de la guerre fratricide qui déchira l’Amérique du 19ème siècle et dont les conséquences se font encore sentir de nos jours. Ce roman, très ambitieux, a pour particularité de proposer également des textes originaux, lettres, titres de journaux , tracts, traduits par les soins de Del Socorro.

Je vous avoue qu’au départ, voyant la multiplicité des personnages et la brièveté des chapitres, j’ai eu un doute. Un doute que le désir de réalisme et une recension trop systématique ne perde le lecteur en quête d’émotions. Si en effet on est moins dans l’émotionnel que dans la transmission d’une vision de la guerre, je me suis surprise vers la fin de roman les larmes aux yeux. Deux fois.

Fuir, c’est se rappeler à la dernière seconde que l’on est un être vivant avant tout.

Interlude souvenirs d’enfance

A ce stade il faut que je vous explique que si je me suis jetée sur ce livre ce n’est pas tant qu’il est écrit par Jean-Laurent Del Socorro (bon, ok, un peu quand même) mais qu’il traite des Etats-Unis du 19ème siècle. C’est qu’une part de ma nostalgie tout enfantine est remontée à la surface.

Quand j’étais enfant et ce dès mon plus jeune âge, j’étais littéralement fascinée par les USA, en particulier par les USA du 19ème, la conquête de l’ouest ; la diversité géographique du pays me fascinait (j’ai grandi en Belgique, pays si petit qu’on a déjà bien de la chance d’avoir une immense forêt au Sud et une mer au Nord). Je connaissais le nom des états par cœur et aurait pu tous les replacer sur une carte. Du livre La petite maison dans la prairie au film Le bon la brute et le truand, je dévorais tout ce qui me passait sous la main.  Avec mon cousin du même âge, on faisait des reconstitutions de bataille dans son jardin, façon Tuniques Bleues.

Bref autant vous dire que ce livre m’a permis de faire le lien entre une obsession d’enfance, assez foutraque et pas très « accurate » d’un point de vue historique et une vision adulte, mature et réflexive.

Crois-moi, gamin : être vivant, c’est la seule victoire qui mérite d’être fêtée.

Une vision de la guerre

Je disais plus haut que Je suis fille de rage était surtout porteur d’une vision sur la guerre, au travers de récits individuels plutôt que déchaînement d’émotions devant les destinées. C’est en tout cas ce que j’en ai principalement retenu.

Ceux qui déclenchent des guerres ne sont pas ceux qui en comptent les morts.
Incipit

La Guerre de Sécession a ceci de très particulier qu’elle est l’archétype de la guerre fratricide, pourtant nombreuses dans l’Histoire. Des gens qui, moins d’un siècle plus tôt se battaient pour bouter les Anglais dehors, se retournent les uns contre les autres, déchirant non seulement la nation mais aussi les familles.

Tu peux me renier. En revanche, ne dis jamais que je ne te ressemble pas, car je suis bien ton enfant. L’héritière de ta colère. Ta fille de rage.

C’est tout le paradoxe de la guerre qui nous est exposé au travers des différents personnages, de sa nécessité (ou pas) et de sa vacuité (ou pas). Cela est particulièrement rendu par l’auteur via le personnage de la Mort, personnifiée sous la forme d’un soldat de blanc vêtu, qui apparaît principalement dans le bureau d’Abraham Lincoln. Pendant les 500 pages du livre, elle trace des barres à la craie sur le mur, un trait par mort à cause de la guerre. Du soldat tombé au combat à l’enfant mort d’une maladie qu’il n’aurait probablement pas attrapée si guerre il n’y avait pas eu.

– Pourquoi ?
Parce que tu as oublié qu’il n’y a pas que les soldats qui meurent à la guerre, Abraham.

Evidemment, il sera également question de la cause de cette guerre, à savoir la question de l’esclavage des Noirs. Différents personnages d’affranchis sont présents. J’ai été particulièrement touchée par le récit de la femme soldate noire âgée qui se lie d’amitié avec un jeune homme blanc qui la regarde avec dédain au départ. Dont l’issue fût l’une des causes de mes larmes aux yeux.

Si on peut échanger du tabac avec quelqu’un, c’est qu’on est semblables. On ne partage pas de cigarettes avec les chiens, pas vrai ?

Des bonus

L’ouvrage se conclut par une nouvelle, Le diable dans la boite, scène coupée du roman. Elle raconte la fuite d’un esclave en voyageant dans une caisse de transport de haricots. Elle se passe en 1849. Anecdotique mais sympathique.

On trouvera aussi :

  • une carte, montrant les différents lieux d’affrontement
  • une liste des personnages historiques importants
  • un petit mode d’emploi du roman (des histoires de drapeaux et d’alignement à gauche ou à droite)
  • une bibliographie sélective

Jean-Laurent Del Socorro signe une grande fresque historico-fantastique à multiples point de vue qui prend place lors de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis. Un roman à la hauteur de son ambition, à savoir présenter un regard multiple et aussi exhaustif que possible de cette période traumatisante de l’Histoire des Etats-Unis.

Informations éditoriales

Roman écrit par Jean-Laurent Del Socorro et publié en octobre 2019 chez ActuSF. Conception de couverture par AMMO. 559 pages.

Pour aller plus loin

Jean-Laurent Del Socorro sur le blog : Royaume de vent et de colères. Boudicca.
L’auteur parle de son roman dans une interview. Une autre interview.
A voir aussi : Lincoln réalisé par Steven Spielberg
D’autres avis : Emaginarock, Les chroniques du chroniqueur, Au pays des caves trolls, Les lectures de Xapur, Dyonisos du Bibliocosme, Boudicca du Bibliocosme, Lorhkan et les mauvais genres, L’imaginarium de symphonie, ou signalez-vous en commentaire.

30 commentaires sur « Je suis fille de rage | Jean-Laurent Del Socorro »

  1. Déjà j’aime la couverture…sortant de deux romans uchroniques fantasy qui me rappelaient des lectures de jeunesse, je comprends l’émotion que cela peut susciter. Et puis la guerre de sécession m’a passionné au point que j’ai lu et vu des pavés sur le sujet. Donc cela aurait tout pour me plaire. Le hasard fera le reste…la pile arrive au plafond.

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  2. J’ai vraiment hâte de le lire. Pour Del Socorro d’abord, que j’aime beaucoup, puis aussi pour la période historique qui m’intéresse aussi beaucoup.
    Bon ce premier avis que je lis me conforte sur une chose : je dois le lire !!
    Tu parles à la fin de ton article de petits bonus (drapeaux, etc …). À ton avis, cela reste intéressant sur liseuse ?

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    1. Il est vraiment bien ^^
      A mon avis oui. Tout est en noir et blanc donc pas de perte de ce côté-là. Je suppose qu’ils ont soigné la mise en page ? Par contre les aller retour entre bonus et texte sont assez compliqué sur liseuse je trouve. Mais j’avoue n’avoir consulté la carte que quelque fois en début de lecture. Je m’y vois plus y revenir en cas de relecture.

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  3. J’avais vu passer ce livre lors de la campagne Ullule de la maison d’édition. J’étais pas mal intriguée j’avoue, mais pas assez pour avoir envie de le lire. Ta chronique a complètement changé mon avis sur le sujet et maintenant j’ai vraiment envie de le lire 😀

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  4. Je n’avais pas réalisé qu’il était aussi massif, à tous points de vue. Ça plus ta chronique, ça diminue un peu – beaucoup – ma peur de la multiplication des points de vue, mais pas du tout mon envie de le lire, bien au contraire. ^^

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  5. Sans ton avis, je ne l’aurais pas lu.
    Parce que ne lisant pas les 4èmes de couverture, je ne savais pas quel en était le thème, l’époque, etc.
    Maintenant, je suis curieuse et peut-être bien ferrée.
    Reste à voir où, quand, comment me le procurer ^^ Puis quand le lire :p

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      1. Ah mais oui, il y est chaque année! Zut je suis piégée.
        Bon je viens et repars en avion cette année, j’avais donc plutôt prévu des achats poche que grand format… (on verra suivant poids, taille, place à la fin ^^).

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