Life is strange | Boire ou conduire : il faut choisir

life is strange

Impressions.

Life is strange est un jeu d’aventure sorti en 2015. Il a été développé par le studio français Dontnod et édité par Square Enix. La notion de choix cornélien y est particulièrement développée et la narration particulièrement soignée. Poussant le vice du patient gaming à son extrême, j’y ai enfin joué. J’ai été profondément touchée par son propos et impressionnée par la narration. Je vous dis pourquoi dans cette chronique.

Une approche de la première expérience utilisateur

Max Caulfield a été acceptée dans le prestigieux lycée de Blackwell, à Arcadia Bay. Elle est passionnée de photographie et voulait aller dans cette école pour profiter des cours de Mark Jefferson, un photographe de renom qui y enseigne. Mais aller à Blackwell c’est aussi retourner dans une ville qu’elle a quittée de nombreuses années aupravant, laissant derrière elle sa meilleures amie, Chloé Price, avec laquelle elle n’a plus eu aucun contact depuis.

On la retrouve donc en cours avec M. Jefferson et les élèves de sa classe pour une première approche du gameplay qui va nous suivre pendant les 5 épisodes :

  • des options de dialogue à décider qui vont impacter la suite de la conversation
  • un environnement à explorer et des objets avec lesquels interagir et des personnes avec qui discuter, soit imposé par le déroulé de l’histoire soit facultatif

Lors de ce passage, on fait déjà la connaissance de quelques élèves qui auront un rôle important à jouer par la suite.

Très vite, le cours se termine et Max se rend aux toilettes. Elle va assister à une scène complètement choquante et va soudainement se rendre compte qu’elle… est capable de REMONTER LE TEMPS, WTF. (je fais l’étonnée mais en fait j’étais plus ou moins au courant hein, c’est pour l’intensité dramatique de cette chronique). De là on est renvoyé en classe pour expérimenter notre nouveau pouvoir.

Pourquoi vous parlé-je de ce début avec tant de détails ? Pour vanter les mérites de l’approche didacticielle de ce jeu. Il faut avouer que les contrôles sont assez simplissimes et ne demandent pas de compétences bien particulières… pour qui est familier avec l’environnement d’un jeu vidéo. Pouvoir expérimenter en toute sécurité un environnement et des mécanismes nouveaux est important et les concepteurs réussissent le pari. Qui correspond en plus à ce qu’ils voulaient pour le jeu, à savoir un environnement serein, ce qu’ils appellent un « peaceful game » dans le making of.

life is strange photography

Par exemple, on n’est jamais pressé par le temps pour prendre une décision, au contraire des compteurs de temps de Walking Dead chez Telltale. Des séquences plus stressantes sont proposées dans le dernier épisode, dans une assez classique mise en scène de cauchemar, en moins fignolé que dans Batman Arkham Asylum par exemple mais dans le même esprit. Le fait de pouvoir remonter le temps rend ces séquences beaucoup plus abordables et moins stressantes. Mis à part ces passages qui demandent un peu plus de doigté (et qui ne sont pas ce qu’il y a de plus réussi dans le jeu), Life is strange fait un très bon tremplin pour les non gamers qui voudraient se frotter au jeu vidéo : une narration forte + un gameplay facile à prendre en main.

Life is Strange propose également des puzzles à résoudre. Ils permettent d’utiliser judicieusement son pouvoir de remonter le temps pour résoudre des situations apparemment inéluctables. Ils sont insérés de façon fluide dans la narration puisque nombre d’entre eux vont vous permettre d’avancer dans l’histoire. Il y a même une séquence d’enquête avec des documents dont il fallait dégager des indices que j’ai trouvé très cool.

On y trouvera également de tas de référence à la pop culture de Ray Bradbury à Twin Peaks (qui a clairement été source d’inspiration), le film Scanners, Docteur Who et des tas d’autres…

life is strange journal

De la question du choix

Le jeu va vous demander régulièrement de choisir entre plusieurs options de dialogue. Ils sont de deux types :

  • soit ils sont optionnels, une conversation que vous pouvez ou non avoir selon que vous décidiez de parler à la personne ou pas et comment vous allez lui répondre ou si vous allez remonter le temps ou pas pour l’aider. Ces choix ont un impact sur des conversations que vous pourrez avoir avec cette personne par la suite mais pas sur le déroulé de l’arc principal. Il s’agit de soutenir le roleplay et l’immersion.
  • soit ils sont obligatoires. Vous pouvez remonter le temps pour tester les différentes options mais vous ne pourrez voir que les conséquences directes de votre choix, pas les conséquences futures. Bien souvent dans ce genre de cas Max vous assène une petite phrase qui résume les conséquences négatives de votre choix, vous donnant l’impression que de toute façon il n’y a pas de bon choix. Et c’est vrai : il vous faudra prendre la décision que vous préférez ou qui vous parait la moins pire ou la plus roleplay, enfin bref, il faudra se positionner de manière pseudo-rationnelle.

Notez que le fait d’avoir des embranchements complètement indépendants qui produisent une histoire très différente selon les choix effectués est un mythe qui se heurte à une conception qui a une très sérieuse idée derrière la tête en matière de narration. Vous n’êtes pas en train de jouer à un RPG en monde ouvert d’où la narration émerge du chemin que vous allez choisir. Toute cette histoire a une finalité et il est passionnant de voir comment le jeu va vous y amener. Comment allez-vous réagir par rapport à votre histoire, votre façon de jouer, votre humeur et je ne sais quoi d’autre ?

Cette combinaison va vous amener à prendre une décision lors du choix final qui est vraiment LE choix du jeu, celui qui résulte de tous les autres. Un choix que j’ai pour ma part posé en larmes devant mon écran d’ordinateur et qui, paradoxalement, n’a pas été celui qui m’a pris le plus de temps à exécuter. En fait ma décision était déjà arrêtée depuis longtemps, même si je ne le savais pas. Mais cela ne veut pas dire que le mécanisme de décision sera le même pour tous les joueurs : il y a d’une part le choix en tant que tel mais aussi sa justification.

C’est ce qui me rendait la plus curieuse à la fin du jeu : comprendre comment les joueurs qui avaient fait l’autre choix le justifiait, puisque celui que j’avais posé me semblait être évident, même s’il m’a brisé le cœur. (voir lien en fin de billet vers un article passionnant sur la question).Ce comportement émergent est très clairement poussé par les concepteurs, via les stats de fin d’épisode qui vont comparer vos choix à ceux des autres joueurs. 

life is strange sunset

Machine à remonter le temps

On pourrait croire que la possibilité de remonter le temps rend les choix moins impactants, puisqu’on peut toujours revenir en arrière. Il n’en est rien, puisque même si on peut explorer les différentes options, si l’on veut continuer l’aventure, on DOIT choisir. Evidemment, il peut aussi être de votre choix de killer le jeu en explorant toutes les options possibles via le système de sauvegardes qui permet de revenir à des points précis, entre autre si l’on souhaite prendre les photos facultatives qu’on a manquées. Ce sera à vous de voir si ce type de comportement est à même de dénaturer votre expérience.

Killer le jeu en testant toutes les options peut aussi résulter de la très forte implication émotionnelle exigée par le jeu, pour la neutraliser. Life is strange peut aller chercher loin dans l’expérience émotionnelle ce qui peut être très difficile à gérer pour certaines personnes.

Ce pouvoir de remonter dans le temps m’a fait beaucoup cogiter. Quand on joue aux jeux vidéo on est familiarisé avec l’idée du game over et de la récupération de sa partie à un point de sauvegarde plus ou moins proche. Life is strange interroge totalement la différence entre le jeu et la réalité. Il permet de tester des questions que l’on s’est forcément posées dans sa vie :  Et si ça s’était passé différemment ? ; et si je n’étais pas montée dans ce train ? ; et si j’avais dit non ? ; et si je pouvais rejouer cette conversation ? Etc. Mais la différence entre la vie réelle et le jeu, c’est qu’on peut toujours recommencer le jeu.  La vie, elle, avance inéluctablement et il faut assumer ses choix, même s’ils ne sont pas toujours définitifs. La fin de Life is strange est un choix de ce type : est-ce que je choisis le principe de réalité ou le principe de plaisir ? Le ça ou le surmoi ? En cela, je vois Life is strange comme une expérience de pensée philosophique.

life is strange plane

Life is strange est une expérience vidéoludique et narrative forte, à la portée philosophique. Elle joue sur la notion de choix avec une rare habilité en offrant le pouvoir de remonter le temps à son personnage principal. Un jeu dont il sera difficile de sortir indemne pour peu que l’on se laisse porter par ce qu’il nous propose.

Informations éditoriales

Sorti en 2015. Développé par Dontnod et édité par Square Enix. Composé de 5 épisodes qu’il est à présent possible d’acheter en une fois. L’épisode 1 est disponible gratuitement. Disponible sur les plateformes suivantes : Windows, Linux, Mac,  PS3, PS 4, Xbox 360, Xbox One, iOS, Android. Sur PC les concepteurs conseillent de jouer à la manette, ce qui est vrai sauf, à mon sens, pour certains passages de l’épisode 5 qui peuvent être pénibles si l’on est plus habitué à jouer au clavier qu’à la manette. Environ 23 heures de jeu (je suis un peu lente mais j’ai eu toutes les photos, na !)

Pour aller plus loin

Le making of du jeu vous sera proposé au téléchargement après que vous l’ayez fini. C’est gratuit pas hyper long et très intéressant.
Un article passionnant qui parle en long et en large du choix final (à ne lire que si vous y avez joué bien sûr).
Impressions : Batman Arkham Asylum(séquence de cauchemar), Walking Dead le jeu – épisode 1 et 2(choix cornéliens), The Witcher (choix cornéliens).
D’autres avis: Lorhkan et les mauvais genres, ou signalez-vous en commentaire.

20 commentaires sur « Life is strange | Boire ou conduire : il faut choisir »

  1. C’est tellement intriguant quand on n’y a pas joué – et presque un peu effrayant. J’en arrive au point où, alors que finalement je ne fais que très peu de jeux vidéos, je me dis que je le tenterai bien un jour – en ultra patient gaming donc.
    Tu y es retournée / penses y retourner voir d’autres options ou tu restes sur une expérience unique ?

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    1. Il a vraiment quelque chose ce jeu. J’ai presque envie de dire que c’est… plus qu’un jeu 😀

      Oui j’y suis retournée 3 fois. C’est une histoire amusante (enfin je crois) :
      – à la fin du second épisode, j’ai commis une grosse boulette due à mon manque de mémoire. Je me suis sentie super mal et j’assumais pas ce qui s’est produit, du coup j’ai cherché s’il était possible de rejouer la séquence sans me refader les 2 épisodes complets (mais je l’aurais fait s’il avait fallu)(pas moyen de remonter le temps à ce moment-là). Il s’est avéré que oui, ouf.
      -Mais du coup j’ai découvert qu’il était possible de revenir dans le jeu, à toutes sortes de points de sauvegarde différents pour récupérer les photos facultatives qui me manquaient. Ce que j’ai fait donc, mais je l’ai un peu regretté parce que dans ces cas-là on fait le jeu en mode mécanique, très rapidement, avec zéro affect.
      -Du coup j’ai attendu la fin pour refaire la même avec les trois derniers épisodes. Et j’aurais tendance à conseiller de faire ça et de pas non plus trop chercher à leur courir après en jouant parce que ça casse un peu l’immersion.

      Je n’ai pas fait l’autre fin et je ne la ferai pas. Je l’ai découverte en fouillant le web à la recherche de réactions de joueurs, ça me va. Si jamais on est vraiment curieux mais qu’on n’a peur de dénaturer son expérience, on peut aussi regarder des let’s play, au final.

      Je ne pense vraiment pas le refaire, comme je l’ai fait, c’est mon histoire, c’est mon choix 🙂

      Cette réponse est bien trop longue O_O

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  2. Bel article

    Un chouette jeu. J’aime me sentir impliquée par des choix narratifs dans les jeux, ça favorise mon implication et mon immersion dans l’univers. Et Life is strange est vraiment bien pour ça. Je crois que je le referai pour m’engager sur d’autres choix et j’en tenterai sûrement un où j’essaierai de ne revenir sur rien.
    Sinon, vu que je fonctionne à l’affect, mon choix « bae > bay » (et par ailleurs, parce que ça me semblait logique après tous mes autres choix…)

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    1. Ha oui, pour le coup je ne suis moi même pas du tout intéressée par le refaire. A la rigueur je tenterais plutôt le comics qui est sorti pour raconter la suite d’une des 2 fins.
      Moi aussi mon choix me semblait d’une extrême logique, mais je n’ai pas fait le même. Cela dit le tien ne m’étonne pas vraiment mais faudrait qu’on en cause en privé (je t’ai envoyé un message sur Discord).

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  3. La mécanique de remontée dans le temps, qui permet de « corriger » sa partie ou au moins de faire l’expérience d’autres possibilités est passionnante. Habituellement je n’accorde pas énormément d’importance aux « choix » dans les jeux vidéo : ils sonnent souvent très faux, ou sont au mieux insignifiants. D’ailleurs je n’ai jamais recommencé un jeu simplement pour découvrir l’histoire d’une autre manière, en faisant un autre choix.
    Mais comme tu le dis, cette mécanique a une portée différente dans Life is Strange, et c’est ce qui m’a plu. Le jeu est écrit autour de celle-ci, elle n’est pas proposée sans raison. Ca participe aussi à rendre le tout dernier choix très fort d’ailleurs, car il n’y a cette fois pas de retour.

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  4. Quel enthousiasme! Le jeu semble très puissant. Bon, je n’y jouerai jamais, mais j’aime bien savoir de quoi ça parle. (J’avais oublié le billet de Lorhkan, que je viens de relire…)

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  5. Tu me donnes envie de m’y remettre… (c’est ça de se remettre à suivre les blogs, trop d’envies de lire, voir et jouer ^^’) On avait commencé sur Xbox il y a 2 ans, je n’étais pas aux manettes mais je suivais et participais quand même, du coup je me souviens bien des premières étapes que tu décris. J’ai bien envie de recommencer pour arriver à cette décision finale !!
    Et un point que tu n’as pas mentionné, c’est la bande son (avec notamment Syd Matters ou Jose Gonzalez) que j’avais beaucoup aimée et qui contribue pas mal à l’ambiance du jeu.

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  6. J’ai adoré ce jeu aussi, même si je crois qu’au premier tour je n’ai pas fait le même choix ^^ (mais bon du coup, il m’a fallu un deuxième tour pour compléter ^^) Ton analyse est très intéressant en tout cas!

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  7. J’avais fait les deux premiers épisode savant de tomber dans un trou noir il y a deux ans, et j’ai enfin repris il y a deux semaines, suite à la sortie de ton billet ^^
    Bon depuis je suis toujours au milieu de l’épisode 3 parce que j’ai commencé Shadowrun: Dragonfall, mais je vais m’y remettre bientôt :p
    Ce jeu est vraiment prenant, et il a le don de te faire regretté tout tes choix par moments, notamment par les remarques de Max comme tu dis. Il réussit vraiment bien l’implication émotionnelle des joueurs !

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    1. Ha trop bien ! Enfin presque, si tu t’y remets après shadowrun
      Oui tout à fait. Pourtant étrangement ça me donne pas du tout envie de le refaire pour tester les autres options.

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