L’incivilité des fantômes | La force des vivants

L'incivilité des fantômes Rivers Solomon

L’incivilité des fantômes est un roman de science-fiction afrofuturiste écrit par Rivers Solomon et publié en août 2019 Aux Forges de Vulcain. Il a été traduit de l’anglais par Francis Guévremont. J’ai souffert sur le vaisseau-monde Matilda en route pour la Terre Promise en compagnie d’Aster et des Noirs opprimés et réduits en esclavage dans les Bas-Ponts. Le voyage sera long et incertain. Suivez-moi.

Aster et le Matilda

Le Matilda est un vaisseau-monde gigantesque qui a fui la Terre plusieurs centaines d’années plus tôt dans l’espoir de trouver une planète plus accueillante. Ce qui est arrivé à la Terre est flou mais ce n’est pas important. L’organisation du vaisseau est divisée en 2 castes : les riches Blancs qui vivent sur les Hauts-Ponts et les esclaves Noirs qui vivent sur les Bas-Ponts.

Aster est l’héroïne de l’histoire. Elle vit dans les Bas-Ponts. Elle a un caractère très particulier qui a tendance à lui attirer toutes sortes d’ennuis mais qui lui donne aussi une capacité de résilience étonnante. Elle est orpheline, enfin plutôt sa mère a tout simplement disparu de la circulation ; on la suppose donc morte, suicidée même. Sa mère a laissé derrière elle des carnets, qu’elle déchiffre avec l’aide de son amie Giselle. Ce qu’elles vont découvrir pourrait bien changer la donne… Une enquête que l’on suivra avec beaucoup d’intérêt, de petit soleil au dome de verre.

Aster retira de sa trousse deux scalpels pour les faire tremper dans une solution désinfectante. Ses doigts tremblaient, à cause du froid, et elle peinait à tenir ses instruments ; ils lui échappèrent et tombèrent avec un ploc disgracieux dans l’épais liquide. Dans dix minutes, elle allait amputer le pied gangreneux d’une enfant. Il fallait absolument qu’elle cesse de frisonner.
Incipit.

Oppressions

Rivers Solomon fait de son arche spatiale une allégorie de la traite des Noirs et de l’esclavage racial aux Etats-Unis. Jusqu’au nom du vaisseau qui est une référence directe au Clotilda qui fût le dernier navire négrier à avoir déchargé une cargaison d’esclaves aux US, en 1860.  Sur le Matilda, les Noirs des Bas-Ponts fournissent le travail agricole, l’entretien des machines, le care des enfants blancs et le travail domestique.

L’auteurice s’intéresse plus précisément à la condition des femmes, à la double peine des femmes racisées, à savoir d’avoir à subir l’oppression patriarcale en sus de l’oppression raciale. Tous les protagonistes sont des femmes (à une exception dont je parlerai plus loin). Elles sont Aster, Giselle, Mélusine, Mabel, Pippi, Vivian ou encore Lune, la mère d’Aster dont l’ombre plane comme celle d’un fantôme. Les violences et les privations sont quotidiennes, chaque jour une lutte pour la survie.

Lune s’était lancée à la recherche de quelque chose qui n’existait pas, et elle l’avait trouvé.

Dans la haute-hiérarchie, on trouve le Souverain. Décideur absolu, inspiré du Droit divin (les Cieux ici, la religion a une haute importance dans L’incivilité des fantômes) et il règne sans partage. Mais il est mortel comme chacun. Mais le véritable antagoniste du roman est Lieutenant qui a une dent contre Aster depuis fort longtemps et est très proche du pouvoir ultime. Il vient signifier une cruauté supplémentaire dans ce système oppressif.

Personnages atypiques

Trois personnages particulièrement importants ressortent de ce récit.

Aster, l’héroïne, a une personnalité très particulière. Très intelligente, autodidacte, elle s’extrait de sa condition en se créant sa chambre à soi, son botanarium mais aussi en se reconstruisant une histoire : celle de sa mère, porteuse d’espoir et d’émancipation. Elle tient souvent tête à l’oppresseur ce qui lui vaudra de nombreux sévices.

Vous êtes une de ces personnes qui doivent oublier le monde entier, reprit-elle. Vous ne pouvez faire qu’une chose à la fois. Nous, par ici, on a un mot pour ça, pour les femmes comme vous. Intyéfa. La femme intérieure. Vous vivez dans votre tête, et quand vous en sortez, ça fait mal, comme si on vous donnait des coups de bâton.

Giselle, sa meilleure amie (et amante ? je ne suis plus très sûre) est un personnage très complexe dont j’ai parfois eu des difficultés à en comprendre les tenants et les aboutissants. Elle est en souffrance et en rage face aux violences qu’elle a subies et a un comportement autodestructeur.

Théo est un personnage ambivalent à tout point de vue. Iel est non binaire. Iel est à la fois ostracisé pour son manque de masculinité mais est aussi honoré parce qu’iel est médecin.  Métis, iel a été élevé sur les Hauts-Ponts car iel pouvait passer pour Blanc. La relation entre Théo et Aster est extrêmement compliquée et passionnante à suivre.

Les relations entre les personnages et leurs personnalités hors normes sont à mon sens la grande force de L’incivilité des fantômes. Si la narration est parfois brinquebalante, les voix d’Aster, Giselle et Théo résonnent encore dans les coursives infinies du Matilda longtemps après que j’ai refermé mon exemplaire.

Informations éditoriales

Roman écrit par Rivers Solomon. Publié Aux Forges de Vulcain en 2019. Traduit par Francis Guévremont. Titre original : An unkindness of ghosts. Couverture par Elena Vieillard.  392 pages.

Pour aller plus loin

Interview de l’auteurice dans Libération.
D’autres avis : Nevertwhere, 233°Lorhkan et les mauvais genresQuoi de neuf sur ma pile, L’épaule d’Orion, Un papillon dans la lune, Les chroniques du chroniqueur, Les lectures du Maki. Les lectures de Shaya, Le monde d’Elhyandra, Au pays des cave trolls, L’imaginaerum de Symphonie ou signalez-vous en commentaire.

31 commentaires sur « L’incivilité des fantômes | La force des vivants »

    1. Une très belle lecture en effet. Après le background scientifique ça me passe un peu au-dessus. Tu t’es plongé dans de la hard sf après ta lecture pour compenser ?

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      1. Non mais j’avais lu peu temps auparavant Aurora que j’avais adoré mais qui avait le problème inverse : le background scientifique au top et des personnages en carton ! lol

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  1. Amplement d’accord avec ce que tu en dis. Ce niveau de complexité – dans le bon sens – des personnages et de leurs relations, c’est du rarement vu, c’est incroyable.

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  2. Je me suis demandé pourquoi tu avais écrit « auteurice », mais j’ai compris en allant me renseigner un peu. Et je n’avais pas capté que ce roman s’inscrivait dans l’afrofuturisme, ça me dit encore plus du coup !

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    1. Oui j’en ai pas parlé dans la chronique, ça doit être relou à fin qu’on précise ton genre à chaque fois qu’on écrit un truc sur tes livres XD

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  3. C’est une lecture très intéressante. J’aurais aimé qu’elle me touche plus mais j’en garde quand même quelques traces deux mois après (y’a même des scènes qui restent très vivaces, je me demande combien de temps ça va durer).

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  4. Ben moi ça me botterai bien de lire un tel roman. J’aime ce que tu dis de l’histoire et de ses personnages.

    (j’avais tilté sur le « auteurice », j’ai compris pourquoi ensuite)

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