Tolkien et les sciences | Chez Belin

tolkien et les sciences couverture

Impressions.

Tolkien et les sciences est un volumineux et fort bel ouvrage édité sous la direction de Roland Lehoucq (encore lui), Loïc Mangrin et Jean-Sébastien Steyer. J’ai parcouru les Terres du Milieu en y cherchant des traces de sciences, en creusant le sillon de la géographie, de la biologie, de la linguistique, de la mythologie et toutes sortes de chose. L’essai, composé d’articles variés, est d’une qualité inégale, je vous invite donc à lire ce qui suit pour vous faire une idée.

Un fort bel ouvrage

Tolkien et les sciences est un beau livre, de ceux que l’on expose bien en vue chez soi. J’émaillerai cette chronique de diverses photos afin que vous puissiez vous faire une idée. Illustrations (réalisées par Arnaud Rafaelian), schémas, lettrines joliment enluminées. Le tout en hardcover sur du papier agréable.  La maquette et l’objet livre sont clairement une réussite.

40 articles et une copieuse introduction font le tour d’horizon de la science dans les œuvres et la mythologie de Tolkien. Ils ont été écrits par différents intervenants, spécialistes dans leur domaine (mais pas toujours spécialiste de Tolkien). Le résultat est assez confus dans son assemblage et de qualité variable quant aux articles mais la plupart du temps amusant et intellectuellement stimulant.

tolkien et les sciences lettrine

De qualité inégale

Commençons par le négatif.  J’ai à vous parler d’un sujet qui fâche et de deux articles qui ne servent à rien et n’ont à mon sens rien à faire dans ce livre.

Commençons par le sujet qui fâche car il a carrément entaché ma confiance dans l’ouvrage.

Extrait de l’article Gollum la métamorphose du hobbit, Jean-Sébastien Steyer :

A propos de longévité, notons que Gollum, déjà bien rongé par l’anneau, meurt certes prématurément, mais à l’âge de 579 ans. Bilbo, quant à lui, est né plus de mille ans auparavant et n’a guère changé d’aspect…

L’étendue de ma consternation :

what minion

Pour celleux qui passeraient par ici sans trop connaître Tolkien ou pour offrir l’ouvrage à quelqu’un : il faut savoir qu’au début du Seigneur des Anneaux, Bilbo fête ses 111 ans à l’aide d’une big teuf, feux d’artifice, discours et compagnie. C’est un GROS événement, pas une info cachée dans d’obscures appendices.

Je ne suis moi-même pas spécialiste de Tolkien et cette erreur, grosse comme une maison, je suis capable de la voir. Mais ce qui me pose question, sur cet ouvrage qui a visiblement manqué d’une relecture par des spécialistes de Tolkien, ce sont les éventuelles erreurs que je ne suis pas capable de voir. Ça a remis très clairement ma confiance en question.

Le livre étant un assemblage d’articles sur des sujets variés, on peut admettre que quelques articles portent sur des sujets qui nous intéressent moins. Mais ici je me suis carrément demandé ce que 2 articles faisaient là :

  • Le Seigneur des Anneaux, une mythologie de la corruption et de la dépendance, par Thierry Jandrok. Cet article propose une relecture psychanalytique de l’oeuvre de Tolkien. Passé le premier moment où on se demande ce que vient faire la psychanalyse dans un ouvrage qui parle de science,  on se rend compte que le texte alterne entre phrases pseudo-poétiques dans un jargon psychanalytique abscons où le mot « désir » est répété à tout bout de champ et phrases d’une banalité exaspérante qui me font dire que l’auteur a une vision au mieux très superficielle de l’oeuvre de Tolkien.

L’Anneau de pouvoir est l’ombre du désir en chacun, le souvenir des rêves infantiles avortés dans les brumes de l’éducation et de la tragédie œdipienne.

  • Récits d’un jeune médecin… en Terre du Milieu, par Luc Perino. Cet article m’a fait l’effet d’une mauvaise blague de beauf des familles qui aligne les clichés sur les maladies mentales et raconte des âneries sur les personnages de l’univers de Tolkien. C’est fort dommage car il y aurait eu matière à des explorations savantes sur d’où vient l’immortalité des elfes ou en profiter pour balayer quelques idées reçues sur la schizophrénie que l’on confond souvent avec le dédoublement de la personnalité ou de nous parler de chirurgie de guerre. Au lieu de ça, l’auteur préfère traiter les elfes de drogués, affubler Frodo de troubles psychosomatiques ou Sauron de bipolarité tout en évitant de mentionner sa légère tendance à la psychopathie…

Le grand bonheur des séjours à Imladris, les multiples plaisirs qu’on y goûtait et la grande convivialité qui y régnait n’étaient pas seulement dus à l’hospitalité d’Elrond, mais aussi aux vertus de l’opium ou autres drogues psychédéliques pudiquement suggérées par l’auteur.

A noter que Quentin Feltgen qui a réalisé la chronique pour le site Tolkiendil a repéré des soucis supplémentaires dans d’autres articles. Je mettrai le lien en fin de billet.

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Tolkien à l’épreuve de la méthode scientifique

On peut considérer l’idée de mettre de la science chez Tolkien comme étant un peu loufoque. Ce serait complètement réducteur, rien que concernant la linguistique et  l’étude de la mythologie dont il s’est abondamment servi pour inventer des langues et créer de toute pièce une mythologie très consistante. Il était aussi passionné de cartographie ancienne.

Extrait de l’article Tolkien chercheur, illustrateur… et rêveur par Cécile Breton :

Méthodique, Tolkien prenait un soin maniaque à la cohérence temporelle et spatiale du récit et ses cartes en étaient la pierre angulaire. Rêver le nez dans les atlas était l’un des passe-temps préférés de ce petit garçon né dans les années 1880. Tolkien inventait des langages avant de créer les peuples qui les parlaient, il dessinait des cartes pour imaginer ceux qui les parcouraient.

Par ailleurs, la majorité des articles de Tolkien et les sciences, s’attachent à :

  • expliquer scientifiquement différents aspects de l’univers de Tolkien. Par exemple, il y a un article sur le climat qu’il pourrait faire dans les différentes régions de la Terre du Milieu, schémas et simulation à l’appui (Summer is coming. Le climat en Terre du Milieu  par Dan Lunt)
  • profiter de l’univers de Tolkien pour parler de science. Par exemple l’absence de dimorphisme sexuel chez les Nains et la rareté des femmes Naines est prétexte à nous raconter des choses sur le fonctionnement social et sexuel des hyènes (Les Nains sont-ils des hyènes ? par Sidney Delgado & Virginie Delgado-Bréüs). C’est parfois un peu perché dans les comparaisons mais c’est fun et instructif.
  • chercher la science dans l’univers de Tolkien. Par exemple un article sur l’araignée géante Araigne (ou Arachne dans la première traduction) qui hante les couloirs de Cirith Ungol va chercher les correspondances et les différences biologiques  entre les vrais araignées et celle de Tolkien et de Peter Jackson. (Le bestiaire des arthropodes, Romain Garrouste & Camille Garrouste)

tolkien et les sciences schéma

L’exercice de conclusion est particulièrement compliqué à faire lorsqu’on se retrouve tiraillée entre des opinions opposées. J’ai longuement pesé le pour et le contre car il faut avouer que j’ai été, à trois reprises, en colère, blasée et désappointée. Et je sais que certains moments embarrassants m’ont été épargnés par mon amateurisme.

Mais je ne juge pas les livres à l’emporte-pièce. Après que le soufflé est retombé, il m’a fallu me rendre à l’évidence : au global mon impression est plus positive que négative. La majorité des articles sont d’une grande qualité, l’objet est magnifique quoi qu’un peu foutraque mais il se prête plutôt bien à une lecture en picorage.

Vaut-il le coup d’être acheté ? Je ne peux pas répondre pour vous à cette question. Juste fournir mon modeste éclairage et vous renvoyer chez Tolkiendil pour plus d’exhaustivité.

Informations éditoriales

Tolkien est les sciences est un essai qui assemble une 40aine d’articles acrits par différents intervenants sous la direction de Rolan Lehoucq, Loïc Mangin et Jean-Sébastien Steyer. Publié chez Belin en 2019. Illustrations par Arnaud Rafaelian. Figures de Diane Rottner. 383 pages.

Pour aller plus loin

Lire l’avis fort complet de Quentin Feltgen sur le site Tolkiendil.
Mes impressions sur Le hobbit, coffret en édition limitée et sur Le hobbit version annotée.
D’autres avis : , ou signalez-vous en commentaire.

 

 

35 commentaires sur « Tolkien et les sciences | Chez Belin »

  1. Je ne suis pas fan de l’univers de Tolkien (ou en tout cas je ne l’étais pas et ne trouve pas le temps d’essayer de m’y plonger à nouveau) mais ton article est super complet et donne envie d’en savoir plus sur ce livre et sur cet auteur britannique !

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  2. Merci pour cet avis fort éclairant ! Tu tapes dur ^^’
    Bon, il est déjà dans ma PàL (parce que la sciences à l’aune de la culture j’adore ça) donc je le lirai, mais je serai donc sur mes gardes.

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    1. Oui mais en même temps loin de moi l’idée de défoncer le bouquin. La direction est sans doute à blâmer (je ne sais pas comment se passe la sélection des auteurs et articles dans ce type d’ouvrage mais ça me semble être de leur responsabilité). La plupart des articles pris individuellement sont très bien.

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    1. Je comprends tout à fait. Si j’avais su et qu’on ne me l’avait pas offert, j’aurais été tentée de passer mon tour.
      Maintenant, là , je suis quand même contente de l’avoir et de l’avoir lu, d’autant qu’il y a de fort belles choses dedans. Mais j’aurais préféré pouvoir dire que c’était un bouquin formidable et indispensable au fan qui se respect.

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  3. Coucou ! Je n’ai jamais lu Tolkien, par contre j’ai vu les films sans forcément être une fan assidue sur l’univers et ses détails. Du coup, ton article était super intéressant. Il est complet et nuancé du coup ça me donne envie d’en savoir plus 😉

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    1. Je tiens à préciser que les articles de cet essai portent plus souvent sur l’oeuvre littéraire et l’univers créé par Tolkien que sur l’oeuvre cinématographique de Peter Jackson, même si évidemment elle est régulièrement mentionnée. Je pense que quelqu’un qui n’a vu que les films va être assez perdu lors de cette lecture. Maintenant si ça te donne envie de t’intéresser à Tolkien, lis Le hobbit 🙂

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  4. J’étais déjà seulement moyennement attirée par ce livre mais là, tu me refroidis bien ! L’aspect approximatif sur l’oeuvre de Tolkien est assez rédhibitoire, étant donné que je ne suis pas experte et serais donc facilement bernée…

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  5. Je le note mais je note également de plutôt l’emprunter si je souhaite le lire – j’adore Tolkien et les approximations sur une oeuvre aussi connue, je trouve ça quelque peu rédhibitoire. Mais bon, il semble y avoir quand même pas mal de positif ^^

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    1. Ca me parait sage. Ou alors l’avoir comme objet livre et picorer les articles au gré des envies. Il y a plus de positif que de négatif. C’est juste difficilement concevable les erreurs et le manque de respect pour l’ouvre dans ce genre d’ouvrage.

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  6. Ah oui, quand même. Une bonne idée mais une mauvaise réalisation – au moins en partie – c’est franchement dommage. Je suis d’autant plus étonné d’y voir le nom de Roland Lehoucq, synonyme habituellement de haute qualité pour tout ce qu’il touche. =/

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    1. T’as même pas idée comment j’ait été déception quand je suis tombée sur les 1000 ans de Bilbo. Steyer c’est en plus le chercheur avec lequel Lehoucq a co-écrit pas mal d’articles Bifrost. Mais en effet il y a plein d’articles qui sont très chouettes.

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  7. Purée, avec des bêtises comme celles de Bilbo, ça casse toute la crédibilité de l’ouvrage. J’avais repéré le bouquin en boutique… Mais maintenant, je ne suis plus trop décidé. ^^ Je crois que je vais plutôt me rabattre sur la variante intergalactique : Star Trek et le droit.

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        1. Fou ! Bonne lecture en tout cas.

          Y a des ouvrages assez dingues tout de même « la pensée juridique de sheldon cooper » « le droit saisi par la science fiction ». J’aurais pas imaginé.

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  8. A l’époque de symptomes aigus de tolkienite, j’aurai peut-être craqué… et été déçu. Je ne suis pas pour la théologie littéraire ou même culturelle, cette manie de tout décortiquer, analyser, au point de faire disparaître cette magie qui nous transporte dans un univers. Malgré son érudition, je ne pense pas que JRR ait pensé à un dixième de ce qui est écrit dans l’ouvrage. C’est le fruit d’autres facteurs et … je m’en fous.
    Combien se font du fric facilement sur Tolkien avec des produits de piètre qualité quand d’autres créent ou interprètent à leur manière cet univers qu’il créa, ces terres du milieu, peuples, langues, espèces. On pourrait d’ailleurs parler de certaines visions rétrogrades, démodées de la vie sociale, certains détails non documentés. Pour sortir d’un autre auteur qui aime se perdre en détails dans la création de ses univers, je n’en veux pas à Tolkien que j’arriverai un jour à re…re…lire, notamment pour ce ressenti autour du 3ème tome du Seigneur des anneaux.
    Allez ca vaut bien un pot chez Tom….en l’écoutant déclamer.

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    1. Perso je trouve pas du tout que ça casse la magie, c’est plutôt amusant. Je préfère voir ça comme une sorte d’expérience qui enrichit. Après évidemment que si on n’est pas intéressé par ce genre d’extrapolations on n’achète pas ce genre d’ouvrages.

      « Malgré son érudition, je ne pense pas que JRR ait pensé à un dixième de ce qui est écrit dans l’ouvrage. » Non en effet, en tout cas pas sur certains sujets mais de toute façon le but n’est pas de faire faire de la science à Tolkien là où il n’en a pas fait, mais d’extrapoler sur la science de cet univers.

      Tolkien et les sciences n’est pas en soi un produit de piètre qualité, certains articles le sont.

      Par contre là où il y a probablement maldonne c’est le manque de relecture ou acceptation de papiers pas à la hauteur que je soupçonne être dus à une précipitation de la publication pour surfer sur la vague de l’expo Tolkien. Mais c’est une interprétation de ma part.Et en même temps j’ai un gros doute que cet ouvrage rende riche qui que ce soit.

      Bref tout ça pour dire que j’ai fait l’effort d’une chronique nuancée même si je me suis pris une petite gifle de déception dans la figure et que l’ouvrage a par ailleurs quelques autres soucis parce que Lehoucq et Steyer je les ai vus à l’oeuvre ailleurs dans des textes d’une extrême qualité et qu’il y en a 5/40 articles qui disent de la merde dans ce livre. Ca fait 12.5%. Ca fait donc 87.5% de textes de qualité, voir de très grande qualité.

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  9. Huhu j’ai repéré une autre erreur dans ta citation: « ce petit garçon né dans les années 1880 ». J’allais te dire « bein, non, il est né en 1897 », mais heureusement j’ai vérifié pour ne pas raconter n’importe quoi et il s’avère qu’il est né en 1892. M’enfin, c’est toujours après les années 1880. 😀 Bref, je prends bonne note de tout ce que tu dis. Je n’étais pas tentée de toute façon, je trouve aussi qu’il y a beaucoup de choses qui surfent sur Tolkien et je n’ai plus autant envie qu’autrefois de me pencher dessus.
    Pour la petite histoire, je viens de lire une biographie d’Anne Rice qui avait aussi une interprétation psychanalytique qui m’a semblée injustifiée. Au final, je trouve que ça en dit plus sur l’interprétant que sur l’interprété. ^^

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    1. J’ai vraiment espéré que mon doigt ait malencontreusement glissé sur le 8 au lieu du 9. Du coup je suis allée vérifier. Ben non. C’est bien écrit 1880. Je ne comprends pas franchement, ça me désespère. Cet article est très documenté avec plein de dates dedans. Ca me rend triste en fait parce que je trouve que c’est une super idée ce livre et que justement ça propose quelque chose d’original par rapport aux pléthore de livres sur Tolkien.
      Bah la psychanalyse c’est souvent ça si tu veux mon avis. Je l’ai beaucoup étudiée à la fac et je me souviens d’un prof en particulier sur le sujet une espèce de proto-narcissique qui se vantait de pas avoir de téléphone portable et qui le comparait à un objet transitionnel (ce qui n’est pas faux en soi, mais ça n’en fait pas un outil du diable pour autant).

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  10. Lol, je me suis dit après que c’était peut-être toi qui t’étais trompée et que ça me désolerait de te le signaler…
    Un « proto-narcissique », j’adore!!!

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  11. Certaines choses qui t’ont fait tiquer m’empêcheraient d’apprécier le livre, mais certains articles semblent bien intéressants ! J’avais lu l’article d’origine des climatologues (et vu une vidéo expliquant la même chose par eux) qui m’avait bien fait rigoler (en plus d’être intéressant. :))

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  12. Je suis un peu partagée sur mon envie de le lire. Le concept me plait mais je sais aussi que les défauts que tu pointes risquent de m’exaspérer. J’ai un peu le même problème avec tous ces numéros spéciaux de magazines genre « Star Wars et la philosophie », « Game of Thrones et… », y’a toujours un ou deux articles intéressants mais des fois on a vraiment l’impression que les gens brodent.

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    1. Un prêt contre très bon soin (c’est un beau livre :p) peut s’envisager si besoin 🙂
      Ici c’est pas tant du brodage que des erreurs et quelques articles médiocres.

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  13. ah mais zut alors… bouh quel dommage ces erreurs / approximations pour un tel livre.
    En tout cas, je ne vais pas regretter de ne pas l’avoir pris pour moi ^^ (même si me connaissant je serais passée à côté de la majeur partie de ce qui t’a déçue)

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