J.G. Ballard, nouvelles complètes 1972/1996 | Ballardons-nous épisode 3

J.G. Ballard nouvelles complètes 3 1972/1996

Impressions.

Suite et fin de mes pérégrinations en Ballardie, tout au moins sur le format court, puisque je vous présente aujourd’hui, mes impressions sur le tome 3 de l’intégrale des nouvelles de Ballard, soit 39 textes publiés entre 1972 et 1996 en langue anglaise. Ballardons-nous, épisode 3…

Plus obsessionnel que jamais

Saluons encore une fois le formidable travail éditorial des éditions Tristram qui conclut avec ces 39 textes la publication exhaustive de Ballard en format court. L’ouvrage comprend 7 textes inédits et une retraduction. Si l’on additionne tous les textes des 3 volumes,  cela nous fait 103 nouvelles, soit 2077 pages ! Le maître fût un noveliste prolifique, même s’il a arrêté le format court 13 ans avant son décès.

Plus que jamais on retrouve un Ballard obsédé par le temps : on a du voyage temporel évidemment (Le plus grand spectacle de télévision du monde) mais surtout cette maladie étrange et surréaliste qui arrête le temps pour les personnes qui en sont affectées et qui revient dans plusieurs textes (L’homme qui marché sur la Lune, Mémoires de l’ère spatiale, Cargaisons de rêve,…).

On note aussi une « nouvelle » obsession :  les avions, en particulier les avions type biplans ou planeur, ce qui ne m’avait pas frappée dans les volumes précédents (plutôt les oiseaux?). La plupart de ces nouvelles avaient été rassemblées dans le recueil Appareil volant à basse altitude (qui est aussi le titre d’une nouvelle qui combine les avions et le postapo).

Mais Ballard est aussi fidèle à ses thèmes de prédilection, comme les fins du monde (par exemple L’ultime cité qui se combine aussi avec les avions et le consumérisme), les rapports de couple et d’attirance sexuelle, toujours vu du point de vue de l’homme (Le zoom de 60 minutes, Un après-midi à Utah Beach …), la guerre (Le temps mort, Théâtre de guerre, Fièvre guerrière …). On trouve aussi toujours cet intérêt pour les récits psychanalytiques (Hôte de furieux fantasmes) mais aussi Dieu et la religion (La vie et la mort de Dieu) ou l’infinité de l’univers (Rapport sur une station spatiale non identifiée, Univers en expansion).

Sur trois cents mètres, l’avenue avait été dégagée de toutes les voitures et un champ de coquelicots jaillissait de l’asphalte fendu. Ces fleurs funèbres faisaient un tapis rouge sang devant la rangée d’hôtels, comme en attente de quelque visiteur démoniaque.
L’ultime cité (1976)

Ballard se plait aussi à expérimenter sur la forme. Ce qui peut donner des textes composé :

  • de notes de bas de page d’un synopsis (Notes pour une déconstruction mentale)
  • d’un index (Index)
  • du plan d’un livre documentaire (Théâtre de guerre)
  • d’un horoscope (Zodiaque 2000)
  • d’une liste de « je crois que » qui donne envie de faire la sienne (Ce que je crois)
  • de réponses à un questionnaire (Réponses à un questionnaire)
  • d’un programme télé (Guide de la mort virtuelle)

J’avais déjà dit dans ma chronique du tome 2 que lire les nouvelles de Ballard c’était plonger dans sa psyché, dans ses obsessions, avec une pointe de psychanalyse. On est à la fois dans la répétition, la variation sur le même thème, l’expérimentation et le surréalisme.

Mais personne ne croit plus en rien ! Réfléchis, Louisa. Les royalistes ne veulent pas d’un roi, les nationalistes espèrent secrètement la partition de l’Etat, les républicains veulent s’entendre avec le prince héritier de Monaco, les chrétiens sont presque tous athées et les intégristes n’ont aucune intégrité. Nous nous battons et mourons pour rien.
Fièvre guerrière (1989)

2 textes remarquables

Je me prête à nouveau à l’exercice des textes qui m’ont le plus marqué :

  • Le sourire. Cette nouvelle est le paroxysme de l’obsession de Ballard pour les femmes évanescentes et dont on ne parvient plus trop à savoir qui dans le couple tient l’autre sous son emprise. Cette nouvelle m’a révulsée et c’est ce qui lui vaut cet emplacement. Je mets un extrait mais à lire à vos risques et périls il est pas piqué des vers.

Naturellement, Serena ne prenait jamais part à nos conversations, et c’était sans nul doute un élément vital de son charme. Mes amis et moi appartenions à cette génération d’hommes qui avaient dû se résoudre aux abords de l’âge mûr, par nécessité sexuelle à défaut d’autre chose, à accepter de guerre lasse le féminisme militant, et il y avait dans la beauté passive de Serena, dans son maquillage irréprochable mais suranné, et par-dessus tout dans son silence imperturbable, quelque chose qui suggérait une profonde et agréable déférence envers notre masculinité blessée. Dans tous les sens, Serena était le type de femme que les hommes inventent.
Le sourire (1976)

(je vous avais prévenu.e.s)

  • Unité de Soins Intensifs. Une nouvelle glaçante surtout dans le contexte sanitaire actuel. Dans cette nouvelle, il est interdit aux gens de se voir en vrai. Tout se fait en virtuel, même les relations familiales. Les enfants sont conçus par insémination artificielle et élevés en dehors de la présence d’êtres humains. Un couple, marié, 2 enfants décident de passer outre l’interdit. Était-ce une bonne idée ?

Tout cela respire la joie de vivre n’est-ce pas ? C’est que Ballard ne brille pas par un optimisme débordant…

Ballard est un auteur à la fois étonnant et rempli d’obsessions, original et répétitif. Ces intégrales permettent d’embrasser pleinement les 40 ans de carrière de cet auteur et de donner l’impression au lecteur de le connaître sur le bout des doigts tout en ne parvenant pas à le saisir tant son univers est empreint de surréalisme. Sur plus de 2000 pages, il faut s’accrocher. A réserver aux lecteurices en quête d’exhaustivité et aux passionnés de Ballard. Pour les autres, les recueils de nouvelles seront certainement plus abordables.

Informations éditoriales

Publié aux éditions Tristram en 2010. Contient 39 nouvelles publiées initialement entre 1972 et 1996. Edition établie sous la direction de Bernard Sigaud. Traduit de l’anglais par:  Jean Bonnefoy, Jacques Chambon, Michel Demuth, Elisabeth Gille, Monique Lebailly, Françoise Perrin, Bernard Sigaud. Couverture par T. Dubreil (graphisme) et Paul Murphy (photographie). 692 pages.

Pour aller plus loin

Mes impressions : Tome 1. Tome 2.
D’autres avis : Nébal est un con, ou signalez-vous en commentaire.

challenge pavé de l'été 2020

The maki project

22 commentaires sur « J.G. Ballard, nouvelles complètes 1972/1996 | Ballardons-nous épisode 3 »

  1. Je m’en tiendrai sans doute aux recueils même si reconnais bien là le Ballard que j’avais entrevu il y a bien longtemps. Forcément,certains éléments se démodent ou deviennent peu consensuels quand d’autres sont visionnaires. Ainsi va la vie… des mots.

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    1. Oui et toute la nouvelle est du même genre et j’arrive pas à savoir si l’auteur cherche à dénoncer quelque chose ou vraiment se plaindre que les femmes ne soient plus aussi passives qu’avant XD

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  2. Mon message annuel pour dire que je n’ai toujours pas lu l’auteur mais qu’il faut que je le tente. Ah, bah non, c’est fait en fait ! =P
    De ce que j’en ai lu, « original et répétitif » ça me paraît un très bon résumé. C’est amusant de voir l’évolution de ses obsessions. ^^
    Un (ou des) roman l’an prochain ? Ou avant ?

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    1. Haha !
      Normalement non, parce que j’ai peu de temps pour lire les vieux classiques et que là je veux vraiment me pencher sur les autrices, marre qu’elles passent toujours après tout le monde et j’ai aussi prévu de relire Dune et de finir les nouvelles de Dick (Dick je pense persister avec les romans après, à moins de sortir de mes 3000 pages de nouvelles complètement dégoûtée XD). Bref, déjà trop de pain sur la planche.

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  3. Super. Je n’ai jamais lu ce monsieur (et je ne commencerai sûrement pas pas trois recueils totalisant 2 000 pages 🤪) mais ça a l’air intéressant. Les exemples d’expérimentation sur la forme sont alléchants.

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  4. J’avais lu son livre d’or, c’est intéressant mais pas sûr que j’apprécie de lire trop de choses de lui. Je me pencherais plutôt sur des recueils plus courts je crois.

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  5. Tu aurais dû prévenir plus fort :p ouch ce passage et à t’en croire le reste n’est pas mieux. Je suis toujours dérangée par ce type d’écrit : à savoir, l’auteur les critique-t-il ou est-ce qu’il partage un véritable avis masculiniste? ça a tendance à me révulser.

    Sinon, il semble qu’il y ait pas mal de bonnes choses dans l’oeuvre de ce monsieur (vieux monsieur décédé? je ne sais plus)

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    1. Je me pose la même question. Seul des infos sur la vie de l’auteur permettrait de le dire. Mais j’avoue que s’il s’agit d’une once de nostalgie de la part de l’auteur, c’est vraiment pathétique. Parce que le mec de la nouvelle est pathétique. Il s’en tire plutôt bien, mais n’est-ce pas là aussi ce qui se passe bien souvent quand les mecs considèrent les femmes comme des objets ?
      Oui il est décédé, il y a une dizaine d’années ^^

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      1. En même temps comment ne pas les considérer comme des objets quand tout est fait pour faire comprendre aux mecs depuis l’enfance qu’ils ont tout pouvoir.
        Ça peut paraître extrême mais dans ma famille c’était ça, 1 garçon pour 4 filles et il avait tous les droits, notamment celui de nous dominer et écraser de sa superbe.

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  6. Whaou, plus de 100 nouvelles, ça donne le vertige, j’ai lu tes trois chroniques de l’auteur que je ne connais pas du tout, mais j’ai repéré dans un essai SF et noté 4 livres qui forment la série des 4 apocalypses ( le vent de nulle part, le monde englouti, la forêt de cristal et sécheresse) J’ai bien l’intention de les lire l’an prochain, histoire de continuer à découvrir d’anciens auteurs, j’aime beaucoup voguer parmi de vieux livres et découvrir parfois des pépites ou simplement un bon bouquin (chez les anciens j’entends )

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    1. Ha ! Elle est connue cette tétralogie. Je ne l’ai pas lue mais je pense que tu te lances dans quelque chose de très intéressant. Je suivrai tes avis de lecture sur ton blog.
      J’aime bien aussi lire les vieux machins, j’ai encore un volume de nouvelles de Dick à me farcir, et je pense m’attaquer à LeGuin prochainement.

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      1. Tu as encore de belles heures de lectures devant toi ! j’ai pour le moment uniquement « le monde englouti » qui n’est apparemment pas le meilleur, ça me donnera déjà une idée du Monsieur.
        belle journée

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