L’arithmétique terrible de la misère | Payer l’addition

L'arithmétique terrible de la misère Catherine Dufour Le Bélial

L’arithmétique terrible de la misère est un recueil de nouvelles écrites par Catherine Dufour. Composé de 17 textes, il a été publié au Bélial’ en octobre 2020. Le vlog mode c’est dépassé, il est temps d’aiguiser votre conscience politique. Suivez-moi je vous dis tout…

L’abaque

17 nouvelles donc. Parmi celles-ci, 16 ont été publiées précédemment sur divers supports : en ligne, dans Libé, dans des anthologies… entre 2008 et 2019 ; une est inédite (coucou les filles !, j’y reviendrai).

Le recueil s’ouvre sur Glamourissime ! qui pastiche la technologie mise en scène dans L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu pour la transformer en dérive marketing. On vous vend des objets à la haute teneur en sensations mémorielles  pour très très cher. La nouvelle s’échappe en interludes publicitaires entre les textes du recueil. Interludes auxquels il ne manquait qu’un  » sans danger si l’on se conforme au mode d’emploi » pour évoquer Philip K. Dick.

[STAC] Je sais ! C’est du zazen. Zazen, ça veut dire :  » Seulement s’asseoir et regarder. » C’est dire si c’est chiant. Encore plus chiant que les petits trains verts.
In : Oreille amère

Plus petit dénominateur commun

Si je devais résumer L’arithmétique terrible de la misère en 3 mots, je dirais : prise de conscience. Prise de conscience pour le lecteur évidemment car Dufour s’attaque à des problèmes bien de notre temps en nous mettant un peu le nez dans le caca : le monde du travail et son futur peu reluisant (Pâles mâles, une fatwa de mousse de tramway, Oreille amère), écologie (La mer monte dans la gamelle du chat), les algorithmes des GAFA (WeSip), les intelligences artificielles (Bobbidi-Boo) et autres gadgets plus ou moins intelligents (Sans retour et sans nous), les migrants (L’arithmétique de la misère), les violences sexistes (Un temps chaud et lourd comme une paire de seins ; La tête raclant la lune), l’eugénisme (Enemy Isinme) …

Dix heures par jour, Cards triait des chiffres afin de cartographier les anomalies des pulsions consuméristes des internautes.
[…]
Une fois rentré chez lui, Cards changeait de chaussures mais pas de cerveau.
In: WeSip

Les thématiques ne sont pas mutuellement exclusives entre les différentes nouvelles (par exemple Bobbidi-Boo s’ouvre sur le verdissement et la puanteur du lac Léman). Elles donnent parfois l’impression de toutes se situer dans le même background à différents moments et/ou différents lieux.

Je parlais de prise de conscience du lecteur. Mais il s’agit aussi de prise de conscience pour certains des personnages. Ainsi, dans L’arithmétique de la misère, Bootz est un vlogueur mode superficiel mais une rencontre va révéler sa conscience sociale jusqu’à devenir lui-même acteur du changement.

Dans un temps chaud et lourd comme une paire de seins et La tête raclant la lune, Ulalee est enquêtrice de police dans un monde où les rapports de domination hommes-femmes sont inversés. C’est-à-dire que dans ces textes, ce sont les hommes qui se font tuer parce qu’ils sont des hommes et non l’inverse. Ulalee s’interroge sur les raisons qui poussent les femmes à tuer les hommes et les note consciencieusement dans un carnet. Le carnet finit à la poubelle.

Dans son carnet, elle a noté que les femmes tuaient les hommes parce que.
In: Un temps chaud et lourd comme une paire de seins

Dans En noir et blanc et en silence qui se passe dans le même contexte que Le goût de l’immortalité/Outrage et rebellion, une femme se réveille dans son corps tout neuf qui a nécessité le sacrifice de son clone ; elle part sur les traces de l’existence éphémère de ce clone né pour satisfaire son désir d’immortalité.

Une autre nouvelle, Sensations en sous-sol, est un retour dans Outrage et rebellion, où l’on retrouve avec plaisir Marquis et son groupe à petit-pékin, les sous-sols de Shangaï. Bien sûr le style et le format du roman sont au rendez-vous dans le texte court.

Une nouvelle n’a pas encore été citée, il s’agit de Tate moon. La bonne raison est que je ne sais pas quoi en faire car je suis complètement passée à côté.

Quotient = 15, reste 2

Les 2 derniers textes sont fournis sous forme d’ appendice (mais constituent à eux seuls près de 20% du recueil). Le premier est La vie sexuelle d’Alfred de M., un titre suffisamment explicite pour que je n’ai pas besoin de vous le pitcher. Bon. Alfred de Musset était exécrable et il ne m’a attiré aucune sympathie (ce qui n’était vraisemblablement pas le but). Il fait écho au court texte publié aux éditions Mille et une nuits, La vie sexuelle de Lorenzaccio, une analyse de la pièce de Musset dans sa dimension sexuelle écrite donc par Catherine Dufour.

Le second, coucou les filles !, est précédé d’un disclaimer de l’autrice qui tient à nous prévenir que la lecture de ce pastiche d’American Psycho  au féminin n’est pas forcément indispensable. Evidemment, je l’ai lu. Evidemment, c’est trash. Evidemment, c’est dispensable. Mais je tends à penser comme Catherine Dufour que cela devait être écrit. Tant qu’à faire j’aime autant que cela soit avec l’humour et le style d’une de mes autrices préférées parce qu’en fait le texte est assez comique au second degré. Il m’aura aussi fait comprendre qu’il était peut être temps que je me sépare de mon exemplaire d’American Psycho (apparemment je l’ai lu en 2003, ce qui ne me rajeunit pas) parce que si on peut trouver dispensable un texte de torture porn misandre de 60 pages, je ne vois pas en quoi son homologue misogyne de 500 le serait moins.

J’adore Anna Galvada. « Je préfère te voir souffrir beaucoup aujourd’hui plutôt qu’un peu toute ta vie. » Franchement, je donne tout Werber pour un chapitre d’Anna.
In: coucou les filles !

Catherine Dufour formule en 17-2 textes une équation au vitriol d’un futur qui pourrait bien être le nôtre. Touchant à toutes les thématiques phares de notre temps (le travail, l’écologie, l’immigration, les technologies à base d’intelligence artificielle…) avec un éclectisme que l’on ne reniera pas sur ce blog, L’arithmétique terrible de la misère multiplie nos angoisses, divise nos espoirs et soustrait nos attentes avant de nous présenter l’addition. Elle est salée.

Recueil de 17 nouvelles dont une inédite écrites par Catherine Dufour. Sommaire. Publié au Bélial en 2020. Illustration de ouverture par Caza. Préface d’Alain Damasio (oh là là, ça va pas de quoi s’affoler dans les chaumières, il dit avec des tournures de phrase compliquées comment Catherine Dufour c’est bien). 380 pages.

Interview de Catherine Dufour par l’éditeur.
Mes impressions : L’homme qui mit fin à l’histoire, Ken Liu.
Catherine Dufour sur le Dragon Galactique.
D’autres avis : Le chien critique, Le bibliocosme, Touchez mon blog, monseigneur, L’épaule d’Orion, Le monde d’Elhyandra, Au pays des cave trolls, ou signalez-vous en commentaire.

The maki project

31 commentaires sur « L’arithmétique terrible de la misère | Payer l’addition »

    1. Alors il est temps de débrouissailler le terrain pour toi :
      – le plus accessible : le bal des absents ou entends la nuit
      -son chef d’oeuvre (mais assez déprimant) : le goût de l’immortalité
      -son plus expérimental : outrage et rebellion
      – bien sûr il y a aussi sa saga de fantasy pratchettienne et ses 2 recueils de nouvelles.

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  1. Ah bah voilà, là je comprends bien pourquoi il ne faut pas lire « coucou les filles ! » : tailler aussi gratuitement Bernard, c’est vraiment dispensable, c’est sûr. 👀
    Super chronique en tout cas, impeccable tant sur le plan littéraire que mathématique. ^^

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    1. Merci 🙂
      En fait je ne dénie pas d’intérêt littéraire à American Psycho, mais je n’en dénie pas non plus au pastiche de Dufour, même si on est d’accord qu’on joue pas au même jeu. Après, d’un point de vue strictement personnel, 500 pages de meurtres gratuits… c’est plus vraiment en accord avec ce que j’attends d’un livre. M’est avis qu’il est plus intéressant de lire des analyses de ce bouquin ou des réactions qu’il a suscitées que de le lire lui-même.

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  2. Très belle chronique, même si je n’ai pas été autant enthousiasmée que toi par le recueil (j’ai adoré La vie sexuelle d’Alfred M, et j’ai détesté Coucou les filles ^^) En tout cas j’apprécie toujours autant le style de l’autrice et le choix de ses thématiques (j’ai eu un énorme coup de coeur pour « Au bal des absents » d’ailleurs)

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    1. Tu as lu l’analyse de l’autrice de Lorenzaccio ?
      Je crois que mis à part Tate moon auquel j’ai rien compris, le texte sur de Musset fait partie des textes qui m’ont le moins intéressés :/ (mais ça reste extrêmement plaisant).
      Au bal des absents est vraiment très bien, j’ai adoré aussi.

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        1. Ha cool, je lirai ton avis avec attention. Il n’est pas vraiment dans mes priorités mais comme j’ai des envies d’exhaustivité avec Catherine Dufour, ça m’intéresse ^^

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  3. Bon, je vais continuer ma découverte de l’autrice avec les 2 autres titres dont j’ai fait l’acquisition après Au bal des absents (j’ai toujours envie de dire le bal des ardents car il y a une librairie qui s’appelle ainsi à Lyon… dans quelques années, tu vas voir que je me tromperai pour de bon).
    En tout cas, si je suis aussi convaincue par les suivants que par ma 1ère lecture, y a pas de raison que je dise au non à ce recueil.

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