La route de la conquête | Veni vidi vici

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La route de la conquête est un recueil de 6 nouvelles rédigé par Lionel Davoust et publié en 2014 chez Critic. Ces textes font parties du monde d’Evangenyre, un background de fantasy particulièrement poussé, master-piece de l’auteur dans lequel il nous balade à différentes époques. Endossez votre armure, brandissez votre tranchoir et prenez la route de la conquête en ma compagnie…

Mise en contexte

Si la nouvelle-titre ainsi que celle intitulée Le Guerrier au Bord de la Glace sont inédites, les quatre autres textes sont initialement parus dans différentes anthologies, recueil ou revue entre 2009 et 2013.

Comme je le disais en intro, le monde d’Evangényre est un peu la master-piece de Lionel Davoust. En 2010 sortait La volonté du dragon que j’avais lu et beaucoup aimé. 10 ans plus tard, faisant le point de la situation suite à ma lecture de ce recueil, le machin est devenu légèrement tentaculaire :

  • La volonté du dragon (2010). Novella.
  • La route de la conquête (2014). Recueil de 6 nouvelles.
  • Port d’âmes (2015). Roman.
  • Les Dieux sauvages, une pentalogie dont les 4 premiers tomes sont sortis (entre 2017 et 2020).

Les nouvelles

Chaque nouvelle est chapeautée d’une citation du Vayd Asrethia, sorte de livre d’Histoire ultime composé de textes anonymes. Chaque nouvelle est également datée selon le Calendrier de l’Age d’Or d’Asrethia (sauf la dernière et pour cause). Des repères chronologiques sont disponibles en fin d’ouvrage afin de permettre aux plus férus d’entre nous de remettre tout ça en bon ordre et de faire le pont avec quelques évènements historiques majeurs.

Tout cela a l’air bien abscons et compliqué. Oui en effet cet univers est archi complexe et l’organisation que cela doit demander à l’auteur pour s’y retrouver lui-même dans son propre monde me laisse pantoise d’admiration. Mais pour les lecteurices, tout cela est au final assez transparent.

Je ne vous cache pas un énorme « ho là là » quand j’ai commencé ma lecture et que je me suis souvenue pourquoi j’avais un peu du mal avec les nouvelles de fantasy. De plus, je pouvais difficilement m’appuyer sur ma lecture de La volonté du Dragon car elle date d’il y a près de 10 ans. Mais cette appréhension a disparu très rapidement devant la plume de l’auteur et sa capacité à nous immerger dans un monde très différent du nôtre et à nous le rendre familier, vivant, émotionnant malgré les noms des protagonistes et de lieux, sa magie et sa technologie à appréhender . Le tout avec une certaine brièveté due au format nouvelle. C’est formidable.

Voici plus de détails sur chacune des nouvelles :

La route de la conquête

An 388 de l’Âge d’Or d’Asrethia.

Ce texte, de part sa longueur correspond plus à une novella qu’à une nouvelle.

Les pourparlers pour la reddition des Umsaïs se confrontent à un mur d’incompréhension. La généralissime Stannir Korvosa, commandante de la 7ème Légion de l’Empire d’Asreth, bénéficiant d’une longue expérience, préfèrerait que cela se passe en douceur. L’Empire offre un « choix » aux peuples qui subissent sa conquête : la reddition immédiate et l’assimilation et le protection de l’Empire ou la conquête brutale qui aboutit au même résultat… ou à l’anéantissement. Asreth bénéficie en effet d’une technologie à laquelle il est impossible de résister. Mais les Umsaïs ne semblent ni enclins à la capitulation ni à la guerre ce qui n’a de cesse de plonger la généralissime dans une certaine perplexité.

La généralissime Stannir Korvosa, commandante suprême de la Septième Légion de l’Empire d’Asreth, arrêta la procession de son armée juste à la lisière du pays qu’elle venait conquérir.
La route de la conquête. Incipit.

Accompagnée de son aide de camp, Méléanth Vascay, la généralissime va tenter de discuter longuement avec Hesle, doyen de sa tribu, mais pas vraiment son chef, enfin c’est compliqué. En vain. Et elle va finir par avoir le doute sur le bien-fondé de son entreprise ; elle n’a pas vraiment envie de rouler sur un peuple qui ne va lui opposer aucune résistance et qu’elle n’arrive visiblement pas à comprendre. Au contraire de son aide de camp, très en phase avec la philosophie de l’Empire et sûre de son bon droit. L’antagonisme entre les discussions Korvosa vs Vascay, Empire vs Umsaïs nous aide à comprendre ce qui se joue ici. Il y a aussi une ambition anthropologique à nous décrire les Umsaïs et leur mode de vie que j’ai trouvée fort plaisante et du même type que l’on peut retrouver dans certains bouquins de SF de premier contact (cf Christian Léourier et son cycle des contacteurs ou Laurent Génefort et son monde d’Omale ou évidemment Ursula K. Leguin).

Au-delà des murs

An 297 de l’Âge d’Or d’Asrethia.

Laenus est un soldat, placé dans une institution psychiatrique. Le docteur Anstravar, psychagogue de son état, use de toute sa science pour essayer de lui faire se rappeler des évènements de la prise de Clerdanne qui se sont complètement évaporés de sa mémoire. Laenus est en plein PTSD et trip paranoïaque, il ne sait plus où est la réalité ou si on on lui a implémenté de faux souvenirs.

Un rêve ne se remet pas en question. Peu importe que je connaisse inexplicablement le nom des gens et le contexte des faits. Peu importe qu’une voix bienveillante, venue de nulle part, me guide pas à pas.
Au-delà des murs. Incipit.

Une nouvelle confusante extrêmement bien ficelée, qui met le doute à ses lecteurices en nous immergeant dans la psyché et les traumatismes d’un soldat.

La fin de l’histoire

An 132 de l’Âge d’Or d’Asrethia.

Ce récit, se passant en pleine jungle est raconté du point de vue des envahis et du point de vue des envahisseurs. Le premier à la première personne du pluriel, ce « nous » étant le peuple d’Isendra. L’environnement et le mode de vie de ce peuple fait penser aux civilisations précolombiennes. Le second est le journal d’expédition de C. Soval Veithar, Conservateur de son état chargé de garder trace de la culture des conquis/assimilés/colonisés, selon le mode opératoire.

Pour raconter cette histoire, peut-être est-il judicieux de partir de l’oiseau. Car c’est un ara à grandes ailes rouges qui a porté le message à la Halle des Pluies, le vaste temple érigé au cœur d’Isendra, notre jungle, notre foyer. Or, il s’agit de comprendre l’histoire de tous, et tous en font partie ; tout fait partie de la narration du monde.
La fin de l’histoire. Incipit.

Ce texte nous emmène dans l’ambiance familière de l’Amazonie au temps des conquistadors (à la Aguirre de Werner Herzog ou Sur le fleuve de Léo Henry). Malheureusement, si la progression de l’Empire est ralentie par la jungle, les Isandrais ne font clairement pas le poids face aux machines infernales qui marchent contre eux. Ce peuple accordant une importance majeure à l’histoire n’est pas prêt à la céder à l’envahisseur. Le récit de leur point de vue est empreint d’une tristesse résignée, se remémorant le passé puisqu’il n’y a plus d’avenir. L’alternance des points de vue, la poésie du récit d’Isandra, la progression du récit jusqu’au final rendent cette nouvelle exceptionnelle.

Bataille pour un souvenir

An 297 de l’Âge d’Or d’Asrethia.

Cette nouvelle se passe la même année qu’Au-delà des murs et retourne sur le champ de bataille de Clerdanne. Cette fois nous sommes du point de vue d’un guerrier-mémoire : Thelin. Les guerriers-mémoire sont des unités du Hiéral qui puisent leur force dans leurs souvenirs. Cela en fait de redoutables guerriers, même pour les guerriers de l’Empire, mais ils oublient leur passé au fur et à mesure du combat.

C’est à l’aube que j’ai quitté Clerdanne en embrassant ma jeune femme et mon fils. Par-dessus les lamelles de bois laqué de mon armure fatiguée, j’ai ceint le baudrier de mon sabre à la longue poignée. Les larmes ont perlé au coin des yeux d’Omiliane mais, le menton fièrement relevé, les lèvres serrées, elle a hoché la tête en signe d’encouragement. Chirène a levé la main pour me serrer le bras, imitant le salut des guerriers-mémoire entre eux, avant de craquer et de courir se blottir contre ma taille. Une étreinte très courte, forte. Il a reculé de lui-même. Je les ai regardés en souriant, contemplant une nouvelle fois l’image de ceux qui font ma force. Et puis j’ai rejoint notre armée.
Bataille pour un souvenir. Incipit.

Comme Au-delà des murs, Bataille pour un souvenir nous fait voir le drame individuel qui dépasse le manichéisme de la guerre. C’est poignant et choquant.

Le guerrier au bord de la glace

An 983 de l’Âge d’Or d’Asrethia.

Nous sommes beaucoup plus loin dans le temps que les précédents textes. Celui-ci parle d’une rebellion contre l’Empire. Nous adopterons le point de vue de Jared, soldat dans sa mekkana, une sorte d’exosquelette de métal sophistiqué accompagné par sa mekkâname, une voix qui lui passe les ordres de ses supérieurs par voxxcom mais qui est aussi une part de lui et l’attache fortement à son armure. Jared se retrouve isolé, en très mauvaise posture, avec pour seule compagnie sa mekkanâme..

Je virevolte entre des novas miniatures qui peignent le ciel. Chacune éclot comme une fleur de sang. Chacune vomit des débris d’acier, des éclairs d’énergie libre et mortelle qui pleuvent vers les canyons, loin en-dessous de nous. Chacune signe la mort d’un ennemi ou d’un allié.
Le guerrier au bord de la glace. Incipit.

Ce récit à la première personne est à nouveau très intimiste, centré sur le lien qui unit cet homme à cette conscience externalisée qui occupe et gère son armure mais il nous offre aussi quelques grandioses scènes de combat.

Quelques grammes d’oubli sur la neige

Non daté. Cette non datation a une double explication. Déjà le texte se passe après la chute de l’Empire. Mais il est également un conte qui est à la fois vrai et faux.

Les temps sont obscurs. Le roi Childe Karmon, au royaume en déliquescence, s’arroge l’aide d’une sorcière, Irij Wolfran pour le relever. Ceci est vu d’un très mauvais œil par le prède du roi, une sorte de conseiller clérical, car la croyance actuelle est tournée vers Wer, dieu de la Vérité alors que la sorcière semble puiser son pouvoir dans d’anciennes arcanes issues de Mordranthia, désormais interdites. Mais le roi Karmon passe outre ses avertissements, subjugué par son désir d’avenir radieux.

Si les vieux contes sont immortels, ce n’est pas à cause de leur valeur symbolique ou morale – quoi qu’aiment affirmer les prêtres du grand dieu Wer. Non ; c’est parce que, comme toutes les légendes, ils sont authentiques.
Notez bien que je n’ai pas dit « vrais ». La vérité est une affaire personnelle qui se règle avec les cieux.
Quoi qu’il en soit, c’est en vertu de cette sincérité qu’il me faut répéter cette histoire, encore et encore, partout où une auberge accueillera un vagabond pour la nuit en échange d’une veillée ; pour qu’elle ne meure pas, bien sûr.
Mais surtout pour moi-même, afin que je ne l’oublie jamais.
Quelques grammes d’oubli sur la neige. Incipit.

Ce récit est vraiment étonnant et les impressions difficiles à partager sans spoiler car les arcanes du passé et de l’avenir sont complexes et dangereuses à manipuler. Il m’a bien retourné le cerveau.

Les 6 textes de La route de la conquête sont d’une très grande qualité, complémentaires entre eux tout en assurant la continuité historique de l’Empire d’Asrethia au fil des siècles. Lionel Davoust centre ses récits sur ses personnages, se penchant sur des drames individuels ou ethniques tout en soignant le contexte politique. Une épatante incursion dans le monde d’Evangényre.

Informations éditoriales

Roman écrit par Lionel Davoust. Publié en 2014 aux éditions Critic. Illustration de couverture par François Baranger. 276 pages.

Pour aller plus loin

Lionel Davoust sur le blog.
Le site de l’auteur.
D’autres avis : Lorhkan et les mauvais genres, Reflets de mes lectures, L’ours inculte, Les lectures de Xapur, L’imaginarium électrique, Au pays des cave trolls, Le Bibliocosme, L’aventurier des rêves, L’imaginaerum symphonique, ou signalez-vous en commentaire.

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33 commentaires sur « La route de la conquête | Veni vidi vici »

  1. Chouette; chouette. Tu donnes envie. Je pense que j’achèterai le recueil à l’hippocampe en prochain, mais j’aimerais bien lire ça aussi. J’ai déjà lu Bataille pour un souvenir, toutefois, elle est dans le recueil L’Importance de ton regard.

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    1. « à l’hippocampe en prochain, » ??? Je me demande si j’ai loupé un truc ou si c’est ton correcteur orthographique qui a momentanément pris le contrôle ? 😀
      Oui tout à fait pour Bataille pour un souvenir. Un super nouvelle mais j’avoue qu’elle est sublimée par ce recueil, car il y a une cohérence d’ensemble et en plus elle est complémentaire à Au-delà du mur.

      Aimé par 1 personne

      1. LOL. « My bad » –> Mon cerveau qui croit que parce que j’ai repéré une couverture, tout le monde sait de quoi je parle 🤪 C’est Contes hybrides. Il y a un hippocampe très coloré et très joli en couverture.

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        1. Haaaaaaa. Tout s’éclaire Xd J’ai pas du tout fait le rapprochement. J’aimerais bien le lire aussi celui-là. Enfin de toute façon Davoust, c’est comme Dufour ou Walton j’ai un certain désir d’exhaustivité sur ce qu’écrit l’auteur.

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  2. On est sûr que c’est autorisé par la réglementation des recueils de ne proposer que des nouvelles de qualité ?
    Ça donne très envie. Je n’ai lu que « Port d’âmes » de l’auteur, et je me demande bien pourquoi – sauf pour sa série en cours, ça je sais pourquoi, j’ai vu l’impatience des gens pour connaître la suite, huhu.
    « je me suis souvenue pourquoi j’avais un peu du mal avec les nouvelles de fantasy » : tu trouves ça bien plus difficile de rentrer dedans, c’est ça ?

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    1. Mais oui pourquoi ? Un peu idem pour sa saga, bon outre le fait que je réfléchis toujours à 2 fois avant de me lancer dans une suite, mais ça deviendra compliqué de se trouver des excuses quand tout sera sorti.
      Oui soit, c’est compliqué de rentrer dans un nouvel univers avant d’avoir fini la nouvelle, soit c’est décevant parque l’auteur n’arrive pas à me faire rentrer dedans. Le format nouvelle est moins propice à la fantasy je trouve. Mais je suis ravie de pouvoir contre dire mon impression.

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      1. Ben tu sais, le fameux « comme dans tous les recueils, il y a de bons et de moins bons textes ». Mais comme tu le dis plus bas, c’est presque plus un fix-up finalement, ça ne doit donc pas rentrer dans cette catégorie, tout s’explique. =P

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    1. L’avantage de celui-ci c’est qu’il a une unité d’univers, voire de thématiques. Tu pourrais presque le voir comme un fixup. Par opposition à un recueil de nouvelles disparates que l’auteur aurait écrit sur plein de sujets différents pendant des années et qu’on rassemblerait par hasard de publication dans le même recueil.

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    1. C’est un très chouette auteur ^^ Si tu aimes la fantasy : La volonté du dragon ou celui-ci feront l’affaire pour découvrir l’univers. Pour avoir une idée générale de ce qu’il est capable de faire Le recueil L’importance de ton regard est très bien.

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  3. Jamais lu de recueils fantasy. Me demande comment j’appréhendais. J’ai tellement l’impression que ça nécessite de poser tout un background, que le côté épique nécessite x pages. Peut-être j’aurais peur de ne pas en avoir assez.
    Mais bon pour le savoir faudrait que j’essaie ^^

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  4. Je l’ai en stock, mais comme c’est pas le genre de bouquin qui m’attire en ce moment, je pense qu’il va prendre la poussière encore un moment (même si avec tous les bons retours que j’entends sur Lionel Davoust je suis forcément curieuse)

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  5. J’ai La Volonté du dragon dans la bibli et je ne sais pas pourquoi j’oublie toujours que c’est de la fantasy (à cause de la couverture peut être). Je vais donc le garder car tu donnes bien envie de découvrir cet univers, même si ce ne sera pas pour tout de suite.

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  6. Ah j’avais raté cette chronique ! J’ai beaucoup aimé aussi, d’autant plus que j’ai un mal fou à lire de la fantasy mais réinventé comme ça et aussi bien écrit c’est trop cool ! Ma chronique est là : http://chezlaventurierdesreves.over-blog.com/2019/02/livre-sff-la-route-de-la-conquete-lionel-davoust.html par contre j’ai été frustrée par les fins ouvertes, pas toi ? Par exemple pour la première nouvelle, est ce qu’elle va la dénoncer ou pas ?

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