La Terre | L’amour est dans le pré

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J’ai labouré la terre avec Jean et Buteau. J’ai vêlé une vache (un massacre) et accouché une femme (primal). En même temps. J’ai vu un âne rond comme une queue de pelle et une ferme flamber joyeusement. Au milieu des pets de JC et des blagues salaces, j’ai assisté à un trop plein de violences. Rendez-vous en Beauce pour vous partager mon avis mitigé sur La Terre.

Une grande saga familiale

La Terre est avant tout une grande saga familiale. C’est genre Dallas chez les bourrins. Dès le deuxième chapitre, on voit où on met les pieds. Le Père Fouan se fait vieux, il a du mal à entretenir sa terre. Du coup il décide de la partager entre ses 3 gosses : Hyacinthe, dit Jésus Christ, Fanny et Buteau (c’est un surnom mais j’ai pas retenu son vrai prénom et en fait il le porte tellement bien que ça efface toute précédente assignation). Je vous laisse imaginer que le rendez-vous chez le notaire pour acter tout ça, de même que le découpage des terres entre les 3 enfants est un carnage : disputes, règlements de compte, les 3 gosses s’arrachent l’héritage de leur père en gros morfales, sans gène aucune, essayant de resquiller sur la rente qu’il demande.

La vie des deux vieux fut fouillée, étalée, discutée besoin par besoin. On pesa le pain, les légumes, la viande ; on estima les vêtements, rognant sur la toile et sur la laine ; on descendit même aux petites douceurs, au tabac à fumer du père, dont les deux sous quotidiens après des récriminations interminables, furent fixés à un sou.

Donc on coche la case héritage de notre super bingo « grande saga familiale ». What’s next ? Les mariages of course ! On a droit à ça aussi. Le Père Fouan a un frère, Mouche (surnom again, je vous jure vu la complexité de l’arbre généalogique, ça ne facilite pas l’intégration), qui a deux filles. Le vieux meure et aucune des 2 filles n’est mariée. Ca va être la foire d’empoigne entre Buteau et Jean. Jean c’est l’arriviste de la campagne, (c’est un Macquart, fils d’Antoine, frère de Gervaise, c’est le seul élément Rougon-Macquart du roman, qui tourne complètement autour de la famille Fouan). Jean veut Lise, l’ainée, mais celle-ci a été engrossée par Buteau, qui fait des minauderies à l’idée de l’épouser. Mais que Jean lui tourne autour alors il l’épouse. Entre temps Jean se dit que pour finir celle qu’il aime c’est Françoise, la plus jeune, donc il se met à lui tourner autour. Du coup Buteau (vous commencez à saisir le surnom à ce stade) se met à s’intéresser à Françoise. Oui oui il est marié à la sœur. Ca va très très mal se terminer.

Plus original, du côté de la soeur du Père Fouan, Laure, qu’on trouve mariée à Charles, ayant eu une fille qui a repris le commerce familial. Un commerce de « confiseries ». Non, non, pas celles-là. Celles qu’on met dans son lit contre pièces sonnantes et trébuchantes. On trouvera beaucoup d’hypocrisie bourgeoise de ces nouveaux riches, c’est vraiment à mourir de rire. Cette histoire étant moins sordide que les autres, elle est un petit vent de fraicheur amusant.

Le personnage de La Grande, sœur ainée du Père Fouan, est un personnage truculent s’il en est. Caricaturale dans son avarice et sa méchanceté, elle refuse de prendre soin de ses deux petits-enfants qui vivent dans le dénuement le plus total. Vicieuse, avare, semeuse de zizanie, elle est une des meilleures méchantes de Zola.

Zola à la ferme

La Terre est avant tout un roman paysan. Zola, désormais célèbre pour ses grands écarts thématiques, nous emmène donc du milieu artistique parisien à celui des paysans beaucerons, du Salon aux champs, de la peinture sur toile à l’élevage de bétail.

Il a une approche didactique : déroulé des saisons avec leurs différentes tâches, descriptions précises des dites tâches. On a aussi droit à quelques descriptions champêtres, à travers les yeux de Jean qui a un petit côté Bambi émerveillé. Parfois on se croirait dans un tableau de Breughel.

Les Moissonneurs

Mais ce que Zola veut surtout nous montrer c’est le fou désir de possession de la terre de ces paysans. Ils vivent pour ça et par ça. On a donc le Père Fouan au début qui finit par la céder à ses enfants. Mais c’est surtout au travers de Buteau que ce désir incontrôlé se marque. On fait le lien avec les histoires d’héritage et de partage des terres dont je vous parlais ci-dessus bien sûr. Zola va plus loin encore en faisant un parallèle osé entre la possession de la terre et la possession de la femme. Là encore Buteau est au centre de l’attention. Puisque son désir de posséder Lise ET Françoise est clairement lié à leur lopin de terre. A savoir que si Françoise se marie, son lopin de terre à elle se mettra à être exploité par son mari et non plus par Buteau. Sans cesse les femmes et les terres agricoles sont comparées dans des métaphores osées.

Un an se passa, et cette première année de possession fut pour Buteau une jouissance. A aucune époque, quand il s’était loué chez les autres, il n’avait fouillé la terre d’un labour si profond : elle était à lui, il voulait la pénétrer, la féconder jusqu’au ventre.

Le roman de tous les excès

La Terre est avant tout le roman de tous les excès. Je pense vous avoir dit deux trois fois dans mes chroniques précédentes que Zola c’est le caricaturiste de la littérature. On a déjà atteint des sommets dans [insérer à peu près n’importe quel volume des Rougon-Macquart ici]. Vous pensiez qu’on ne pouvait pas faire pire ? Lisez La Terre, vous n’en reviendrez pas.

Evidemment pour la vision d’ensemble, il va falloir me croire sur parole… ou lire le livre mais en attendant je vous donne quelques exemples :

Ce bouquin parle de cul. TOUT. LE. TEMPS. Le premier chapitre parle de Françoise qui va mener sa vache au taureau. Sauf que le taureau est trop petit pour le vache alors elle empoigne son engin pour le mettre dans la vache. En même temps elle tape la discuss avec Jean à côté, tranquille. Ca donne le ton. Mais ce dont je voulais vous parler surtout à ce sujet c’est le don assez fou de Zola d’imprimer des images très claires et parfois très crades dans ton esprit tout en ne nommant jamais la chose ou les instruments de la chose. C’est vraiment dingue. Un exemple :

Il fit un saut brusque, et cette semence humaine, ainsi détournée et perdue, tomba dans le blé mûr, sur la terre qui, elle, ne se refuse jamais, le flanc ouvert à tous les germes, éternellement féconde.

Ou encore :

Les fourchées d’herbe étaient jetées toujours plus haut, et la meule montait. On plaisanta Lequeu et Berthe, qui avaient fini par s’asseoir. Peut-être bien que N’en-a-pas se faisait chatouiller à distance, avec une paille ; et puis, le maître d’école pouvait enfourner, ce n’était pas pour lui que cuirait la galette.

Ce bouquin fait dans l’humour beauf. TOUT. LE. TEMPS. Par exemple, on donnera au moins deux points en humour scatologique à Zola dans ce roman. Il y a d’abord la vieille paysanne qui utilise ses excréments comme engrais et qui fait pousser le potager le plus luxuriant du voisinage. Mais la chose finit par se savoir et plus personne ne veut acheter ses légumes et tout le monde l’appelle la Mère Caca. Mais alors le meilleur c’est quand même que Zola a écrit tout un chapitre pour parler des pets de JC. Ce chapitre est à mourir de rire, en plus à côté de ça l’intrigue continue à avancer tout à fait sérieusement, mais à la fin on se demande vraiment pourquoi. Voilà comment il commence :

Jésus-Christ était très venteux. de continuels vents soufflaient dans la maison et la tenaient en joie. Non fichtre ! on ne s’embêtait pas chez le bougre car il n’en lâchait pas un sans l’accompagner d’une farce. Il répudiait ses bruits timides, étouffés entre deux cuirs, fusant avec une inquiétude gauche ; il n’avait jamais que des détonations franches, d’une solidité et d’une ampleur de coup de canon ; et, chaque fois, la cuisse levée, dans un mouvement d’aisance et de crânerie, il appelait sa fille, d’une voix pressante de commandement, l’air sévère.
-La Trouille, viens vite ici, nom de Dieu !
Elle accourait, le coup partait, faisait balle dans le vide, si vibrant qu’elle en sautait.

Ce bouquin est extrêmement violent. TOUT. LE. TEMPS. Il pleut des viols. Il pleut de la violence conjugale. Il pleut de la maltraitance des vieux et des enfants. Du harcèlement sexuel en veux tu en voilà. Du harcèlement psychologique en veux tu en voilà. Il y a même un meurtre. Deux en fait. Des crimes affreux. Des scènes hyper trash. Zola revient à quelque chose de primal, de brut de décoffrage, d’extrêmement terre-à-terre, d’anti-intellectuel, d’impulsif. On oscille entre grotesque et effroi.

Sur la quatrième de couverture, on lit :  » à la mort de l’écrivain (ndr: 1902), La Terre demeurait l’un de ses romans les plus lus ». Cela ne m’étonne pas vraiment. Je pense que la raison pour laquelle on se l’arrachait à l’époque est la même pour laquelle on le lit peu de nos jours. Excessif, méprisant (?), manquant d’un fond de critique sociale, le roman de Zola en devient artificiel, ce qui ruine son universalité. Ne nous y trompons pas, il y a dans La Terre d’excellentes scènes, complètement dingues ou à mourir de rire. C’est la proposition d’ensemble qui me pose question, et l’intention globale du roman.

La Terre dépeint la vie d’une famille de paysans de la Beauce du 19ème siècle : les Fouan. Si les descriptions champêtres et de scènes de travail ne manquent pas de nous dépeindre un tableau réaliste, Zola signe aussi son roman le plus excessif : du sexe, de la violence et de l’humour vulgaire ; rien ne sera épargné au lecteur. Mais il manque surtout à ce roman un liant, une critique sociale, quelque chose qui donne du sens à ce déchainement. Reste des scènes qui prises individuellement fonctionnent très bien. Il faut juste avoir le cœur encore plus accroché que d’habitude.

Informations éditoriales

Roman écrit par Emile Zola. Publié en 1887. 510 pages dans l’édition Livre de Poche Classique. Couverture : La paye des moissonneurs, Léon Lhermitte. La présente édition est accompagnée d’une préface et d’un dossier.

Pour aller plus loin


Mon billet d’intention de relire les Rougon-Macquart.
La fortune des RougonLa curéeLe ventre de ParisLa conquête de PlassansLa faute de l’abbé MouretSon excellence Eugène RougonL’AssommoirUne page d’amourNanaPot-bouilleAu bonheur des damesLa joie de vivreGerminalL’oeuvreLe rêveLa bête humaineL’argent. La débâcle. Le docteur Pascal.
Une lecture commune avec Alys.
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30 commentaires sur « La Terre | L’amour est dans le pré »

  1. « C’est genre Dallas chez les bourrins » : j’adore ! 😀 Merci beaucoup pour ton article que j’ai pris plaisir à lire : je suis étonnée d’apprendre qu’il s’agissait du roman de Zola le plus lu par ses contemporains, pour ma part je n’en avais jamais entendu parler !

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  2. Le résumé du livre en une phrase : la prostitution est la partie fraîche et amusante du récit.
    Je suis désolé de le dire, mais je suis content de ne pas l’avoir lu. Par contre je suis très content d’avoir lu ton billet, j’espère que ça compense. C’est le moins bon des Rougon-Macquart pour toi ?

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    1. C’est à peu près ça oui XD
      Objectivement je me demande, je serais curieuse d’avoir l’avis de spécialistes. Maintenant pour moi personnellement, je crois que l’abbé Mouret reste derrière, parce que dans l’abbé Mouret y avait des passages qui étaient vraiment ennuyeux. La terre n’est pas ennuyeux, ou assez peu, il est juste gratuitement sordide.
      De toute façon la question du classement se posera quand je les aurai tous relus :p

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  3. en effet il me semble qu’il fait des excès dans tous les sens, comme un bon parisien qui parle de campagne, les aspects botaniques étant souvent du n’importe quoi, dirent alors les spécialistes.
    mais pour avoir donné dans la généalogie familiale du côté paysan, il y a aussi du vrai dans tout cela à l’époque . Je ne me sens pas de le lire, m’étant contenté d’extraits .
    j’ai un autre pavé sur le feu, moins littéraire ..

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  4. « C’est genre Dallas chez les bourrins » tu as fait ma journée xD
    Bon clairement j’aime pas Zola et je vais donc éviter de m’infliger la version terroir de la bête :p mais ta chronique est absolument jubilatoire!

    Aimé par 1 personne

  5. Excellent article, très cultivé de ce grabd roman du fertile Émile.
    Je viens de quitter justement les affres de « Thérèse Raquin », et son noyé qui hante et tourmente les amants maudits. Encore un damné bouquin !

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      1. La scène de la morgue est de celles qui marquent en effet. Elle fait d’ailleurs figure de référence quand on évoque le livre. Il paraît que Zola s’est lui-même rendu sur place pour observer la décomposition des corps pour nourrir les descriptions de son roman.

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