Dans la toile du temps | Tisser le fil de l’évolution

Dans la toile du temps adrian tchaikovsky

Dans la toile du temps est un roman d’Adrian Tchaikovsky publié chez Denoël Lunes d’Encre en 2018. Il a été traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat. A bord du Gilgamesh ou sur le monde de Kern, des derniers hommes aux premières araignées intelligentes, le roman nous emmène loin dans l’espace et le temps. Je vous embarque avec moi pour la découverte…

Genèse

La Terre se meurt, il faut aux humains se tourner vers l’espace pour survivre. Depuis le Brin 2 (oui c’est bien une référence à David Brin, que je n’ai pas lu mais j’ai bien envie maintenant), en orbite autour d’une planète fraichement terraformée, Avrana Kern orchestre une expérience à l’échelle de l’évolution. Les trois dernières étapes de son plan sont imparables :

  • envoyer sur la planète une cargaison de primates
  • envoyer sur la planète un nanovirus qui rendra spécifiquement ces primates intelligents, leur permettant de développer de façon rapide une civilisation, de la science, des outils etc.
  • envoyer en orbite autour de la planète un satellite de surveillance contenant un humain chargé de jouer le rôle de Dieu vivant pour les primates, pour être sûr que les humains seront bien accueillis quand ils débarqueront

Dans une démesure mégalomaniaque toute humaine.

Il n’y avait pas de nom officiel, sinon sa désignation astronomique, bien que certains membres d’équipage parmi les moins inventifs insistent pour le baptiser « Simiana ». En le regardant, la docteure Avrana Kern ne parvenait à imaginer qu’un seul nom : le Monde de Kern. Son projet, son rêve, sa planète.

Evidemment, rien ne va se passer comme prévu…

Double narration

Ce qu’Adrian Tchaikovsky à à nous raconter n’est pas du tout comment les humains en sont venus à créer un nanovirus, à terraformer des planètes pour y envoyer des singes dessus, mais de nous conter en parallèle 2 histoires (enfin en zigzag plutôt, puisque les deux sont amenées à se rencontrer évidemment):

  • le déclin des humains : à bord du Gilgamesh, les derniers représentants de l’humanité hibernent durant un voyage au long cours à la recherche d’une planète hospitalière, puisque la Terre est devenue inhabitable. Tout cela ne va pas aller sans mal, plusieurs réveils de certains membres d’équipage sur des milliers d’années ; il va se passer plein de trucs.
  • l’ « élévation » de l’espèce d’araignée Portia labiata sur le monde de Kern : boostée par le nanovirus, cette espèce va se développer, jusqu’à créer une civilisation aux capacités cognitives qui n’a rien à envier à celles des humains. Sauf qu’évidemment les araignées ne pensent pas du tout comme nous.

La conscience de soi et la faculté de contempler l’univers ne constituent pas des caractéristiques essentielles à la survie.

Entre les 2, Kern dans son satellite, fusionnée avec l’I.A. de l’engin, à moitié folle qui va en quelque sorte servir de pont communicationnel entre les deux, enfin surtout pour empêcher toute forme de communication et d’intrusion des humains sur sa planète.

Cette alternance de point de vue est redoutablement efficace, rendant le roman très page turner. Evidemment, la curiosité à l’égard des araignées est +++. Et c’est vraiment super bien fait car Tchaikovsky parvient à se détacher de ce qui fait la cognition humaine pour donner aux araignées des spécificités liées à leur espèce, si différente de nous (faut avouer ça aurait été bien moins fun avec des singes). Bourré d’inventivité, très précis d’un point de vue biologique, c’est sérieusement génial. 

Temps long

Dans la Toile du temps est un roman, qui comme son nom l’indique parle aussi du rapport au temps. Des centaines voire d’années se passent entre les différentes parties, des ellipses temporelles en forme de gouffre. Du côté des araignées l’ensemble est spectaculaire, chaque partie faisant des bonds générationnels mais l’évolution accélérée par le nanovirus permet des avancées civilisationnelles assez conséquentes.

Elle comprend, d’une façon précise et immédiate, qu’elle se dresse sur le dos des géants qui l’ont précédée ; que son propre dos sera assez vigoureux pour supporter le poids des nombreuses générations à venir.

Chez les humains, on est dans un format bien différent : dans le huis-clos d’un vaisseau gigantesque, on assiste à la stagnation voire la régression d’une humanité obligée d’hiberner pour survivre le temps de trouver une planète habitable. Condamné à voler la technologie de leurs ancêtres (avec des aspects d’archéologie du futur et de linguistique intéressants) et à reproduire leurs erreurs, les derniers humains ne sont plus que l’ombre d’une humanité jadis florissante.

On suit plus spécifiquement Holsten, linguiste pas très bien considéré, le plus vieux de la cargaison d’humains du Gilgamesh, autant dire, au point où ils en sont, le plus vieil exemplaire de l’humanité. A travers son point de vue on va vivre la confusion de se réveiller si longtemps après sa naissance que ça en devient vertigineux et de systématiquement ne rien comprendre à ce qui se passe autour de lui, puisque les autres membres de l’équipage n’ont pas forcément été en sommeil ou en éveil en même temps que lui.

Lain pouvait bien l’appeler « pépé » ; en vérité, la durée objective qui s’était écoulée entre sa naissance et l’instant présent semblait carrément absurde, irréelle. Aucun humain n’avait jamais accompli une telle chevauchée temporelle, en effectuant un voyage de plusieurs milliers d’années.

Que se passerait-il si une espèce d’arachnides accédait à un niveau de cognition aussi développé que celui de l’espèce humaine ? C’est à cette question que répond ce roman, avec une ingéniosité et un réalisme qui force l’admiration. Dans la toile du temps est aussi un roman de survie de l’humanité dans le huis clos d’un vaisseau plein de caissons de stase. Le temps est long pour eux mais pas pour nous, les pages se tournant toutes seules.

Informations éditoriales

Roman écrit par Adrian Tchaikovsky. Premier tome du cycle du même nom. Publié pour la première fois en 2015. 2018 pour la publication française chez Denoël Lunes d’Encre. Traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat. Titre original : Children of Time. Illustration de couverture par Gaëlle Marco. 579 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis :  Lorhkan et les mauvais genres, Quoi de neuf sur ma pile ?, Un papillon dans la lune, Reflets de mes lectures, Le culte d’Apophis, L’épaule d’Orion, Les lectures de Xapur,  Les lectures du Maki, Le chien critique, Albédo, Les lectures de Shaya, RSF blog, Au pays des cave trolls, Nevertwhere, Quel bookan, Ombre bones, Sometimes a book, Navigatrice de l’imaginaire, ou signalez-vous en commentaire.

summer-star-wars-mandalorian
pave2021_a-gd

33 commentaires sur « Dans la toile du temps | Tisser le fil de l’évolution »

  1. Il me fait de l’oeil depuis un moment celui-là mais je ne suis pas sûre de rester suffisamment impassible en imaginant toutes ces bêtes à huit pattes ^^

    J’aime

    1. Haha, faut voir le genre d’arachnophobie que tu as. La mienne est tout à fait capable de gérer que ce sont des bestioles super utiles et assez fascinantes, c’est juste que haaaa non pas s’approcher trop près de moi et SURtout ne pas me toucher. Du coup avec celle du livre je savais que je risquais rien. En plus j’avais déjà lu Aux tréfonds du ciel il y a des années. Mais certaines personnes ont eu un peu de mal avec le livre au départ et s’y sont fait. Je te souhaite de trouver le courage en tout cas ^^

      Aimé par 1 personne

  2. Je lis ta chronique en diagonale car figure toi que je vais chercher le roman demain, il est enfin arrivé à la librairie 😁 je suis impatiente de pouvoir en discuter avec tous/tes les convaincu/es !

    J’aime

  3. « Evidemment, rien ne va se passer comme prévu… » : Quoi ?! Mais c’est incroyable ! Ce n’était pourtant absolument pas prévisible, ce plan avait l’air si sain ! 🙈
    Ça avait déjà l’air très bien, et en plus y’a un linguiste. Un jour je le lirai, juste pour voir si c’est aussi bien que « Les Fourmis » de Bernard Werber. 🙊

    J’aime

  4. « une démesure mégalomaniaque toute humaine » –> C’est marrant, je n’avais pas saisi cet aspect dans les autres chroniques 😅 Bon en tout cas il me faudrait trop ce bouquin, ça a l’air génial!

    J’aime

  5. Il est admirable dans son développement ce roman. La question du langage y est très importante aussi (je crois me souvenir que je parlais plus de ce point dans mon avis). Fascinant dans ce qu’il met en jeu et l’univers développé.

    (j’ai déjà lu ton avis sur le tome 2, que j’espère bien lire aussi)

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.