Sorrowland | Laissons entrer les monstres

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Sorrowland est le troisième roman de Rivers Solomon, après L’incivilité des fantômes et Les abysses. Toujours publié Aux Forges de Vulcain, toujours traduit par Francis Guévremont. Mais une histoire résolument différente des deux premiers et dont je vous dis du bien.

Embrasser son « anormalité »

Vern s’échappe de la secte où elle était retenue depuis l’enfance. Enceinte du gourou, elle part se cacher dans la forêt où elle met au monde des jumeaux. Elle décide de rester dans la forêt pour les élever. Mais il se passe des choses étranges. Elle a des sortes d’hallucinations et son corps se met à se transformer ; sa force est décuplée.  Le roman raconte l’histoire et le pourquoi de cette transformation.

Elle avait fui le Domaine béni de Caïn, mais elle ne pouvait échapper à la vérité essentielle de son être : elle était inadaptée au monde des vivants, elle avait toujours eu la certitude d’attendre le jour de son exécution capitale.

Pour commencer cette chronique, je vous retransmets un bout du discours de Julia Ducourneau lors de sa réception de la Palme d’Or au Festival de Cannes 2021 pour son film Titane, un discours qui m’avait frappé au cœur par la justesse de son propos : « Parce qu’il y a tant de beauté, d’émotions et de liberté à trouver dans ce qu’on ne peut pas mettre dans une case et dans ce qui reste à découvrir de nous ». Elle conclut en remerciant le jury de « laisser entrer les monstres » auquel le sous-titre de ce billet se réfère.

-[…]Et tu sais, il y a un mot pour dire ce que tu es.
-Alors je préfère ne pas savoir.
-Pourquoi pas ? demanda Gogo en hochant la tête.
-Parce que si ça n’a pas de nom, alors c’est ce que je suis tout simplement. Va fait partie de la vie. Mais si on lui donne un nom, ça veut dire que quelqu’un l’a étudié, l’a disséqué, démembré. Quand quelque chose a un nom, on peut dire que c’est mauvais.

Bon. Ben c’est de ça que parle Sorrowland. Comment dire mieux ? Je ne peux pas. Cette chronique est terminée, je vous remercie.

Ok je vous sens frustré. Je développe un peu. Sorrowland parle donc de Vern, un être qui sort des normes et dont la transformation physique va chercher des accointances dans le body horror, dont relève également Titane (Sorrowland n’est pas du tout aussi trash, hein, je vous rassure). Le roman traite d’accepter d’être hors norme, de résister à entrer dans un rôle assigné. Il y est aussi question d’identié sexuelle que Vern découvre et s’approprie au travers du livre La chambre de Giovanni de James Baldwin qui va servir de fil rouge tout au long du récit.

Résistance & rencontres

Vern résiste à l’oppression, de la secte, dans un premier temps. Des flashback nous montreront ce qu’elle y a vécu quand elle y était. Par la suite, elle résiste à l’organisation qui cherche à s’approprier sa force et la contrôler. La dernière partie est ainsi bourrée de scène d’actions.

Je pourrais aussi parler de l’importance des rencontres. Vern passe la première partie du roman isolée du monde ce qui semble préférable au regard de ce qu’elle a vu de l’humanité jusqu’ici.  Mais elle fera la rencontre de Gogo et Bridget où elle va expérimenter quelque chose de l’ordre de l’amour inconditionnel. Non sans difficulté, non sans tentative de résistance puisque c’est le mode communicationnel de Vern. C’est la partie du livre que j’ai préférée.

Ce qu’il nous faut tous pour vivre, c’est les autres.

Le roman a ses défauts. Il est assez foutraque : beaucoup de sujets abordés, parfois juste au travers d’une citation. Il est aussi pas mal question de maternité et de parentalité mais je n’arrive pas trop à savoir que faire du propos à ce sujet. Il manque un liant, j’ai l’impression. Le sujet m’intéresse moins aussi, il se peut que je sois passé à côté de certaines choses. Mais au final ses imperfections le rendent à la fois plus touchant et plus « hors normes », à l’image de son personnage principal.

Oh, et dans les remerciements, iel tient un propos qui m’a fait penser à Un lieu à soi 🧡

Cela devait être merveilleux, de toujours être convaincu d’avoir raison, de traverser la vie sans jamais douter, de rejeter les incertitudes comme on lave une tache d’encre sur ses doigts.

Si Les abysses parlait de résilience, Sorrowland parle de résistance. Résistance à l’oppression bien sûr mais aussi de résistance à la normalité, aux cases assignées. Rivers Solomon donne l’impression de partager avec nous, au travers de ses textes un cheminement de pensée qui va au-delà de ses personnages et qui læ fait progresser dans comment iel envisage et habite le monde. Ca me touche beaucoup, imperfections comprises.

Informations éditoriales

Roman écrit par Rivers Solomon. Publié initialement en 2021. 2022 pour la publication française aux chez Aux Forges de Vulcain. Traduit de l’anglais (US) par Francis Guévremont. Titre original : Sorrowland. Illustration de couverture par Elena Vieillard. 510 pages.

Pour aller plus loin

Rivers Solomon sur le blog : L’incivilité des fantômes, Les abysses.
D’autres avis :  Les lectures de Shaya, Les chroniques du chroniqueur, Les critiques de Yuyine, ou signalez-vous en commentaire.

15 commentaires sur « Sorrowland | Laissons entrer les monstres »

  1. « une histoire résolument différente des deux premiers » : ça a l’air d’être une habitude chez Rivers Solomon, et c’est une très bonne habitude.
    « Cette chronique est terminée, je vous remercie » : je ne regrette pas d’avoir continué à te lire après cette première fin – et tu as bien fait de l’écrire – parce que les thématiques dont tu parles me donnent encore plus de lire ce livre. Même si ça s’annonce une nouvelle fois une expérience. ^^

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    1. Iel a dit à la rencontre à laquelle je suis allée, que son prochain bouquin serait un livre de maison hantée. Ca semble se confirmer ^^
      Tant mieux alors, j’ai eu l’impression d’être très foutraque j’ai réfléchi en écrivant.

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      1. Tu la vois, toute cette énergie qu’on pourrait consacrer à autre chose? 🤣
        (Bon, je rigole: en vrai, je pense qu’être « toujours convaincu d’avoir raison » est une caractéristique pas souhaitable du tout…)
        (Sensation soudaine de déjà-vu… On n’aurait pas déjà eu cette conversation?)

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  2. Je suis pas sûre qu’il me plaise.
    En fait ces livres ont l’air superbes et ultra intéressants et ça m’énerve de pas avoir un énorme coup de coeur pour (j’ai eu le problème pour l’incivilité des fantômes).

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