Les flibustiers de la mer chimique | « On ne badine pas avec l’humour »

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Les flibustiers de la mer chimique est le second roman mais premier en littérature de l’imaginaire de Marguerite Imbert. Il a été publié chez Albin Michel Imaginaire en septembre 2022. Je l’ai lu, j’ai kiffé, je vous dis tout.

Flibustiers en sous-marin

Dans un futur postapocalyptique, l’humanité a été décimée, les civilisations ont disparu, ceux qui restent survivent de débrouille en s’alliant en clans hétéroclites.

D’un côté Ismaël, naturaliste de la Métareine en mission, se fait kidnapper par les flibustiers de la mer chimique, qui arpentent les mers polluées à bord d’un sous-marin nucléaire pour détrousser les bateaux et ne rendent compte qu’à la Compagnie des Limbes Orientales (et encore…).  Le « PK » est dirigé par le lunatique et charismatique Jonathan qui se prend d’affection pour le naturaliste qu’il tarde à livrer à la CLO.

Il est des jours où j’ai l’impression que le plus petit effort physique est un sacrifice. Me laver, me nourrir, faire quelques pas. Des jours où je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez, où la vie n’est qu’un tunnel oblong entrecoupé de sommeil au bout duquel ne m’attend aucune verdure, aucune prairie rafraîchissante – rien qu’une éternelle réitération de la minute qui vient de s’écouler. Mais il est aussi des jours où je suis affranchi de la douleur. Par l’esprit, je survole le monde et ses méandres. Je m’émancipe de la pesanteur du raisonnement et je pose sur le jour un oeil neuf. Il me semble alors que tout est possible. Que ma place au sein du vivant est celle que je choisirai d’occuper et que rien ne m’est interdit. L’univers s’adaptera à moi et je le ferai plier. C’est ainsi que je me suis senti, dès l’intant où j’ai parlé à Jonathan.

De l’autre côté Alba, dernière Graffeuse, porteuse de la mémoire des humains, se fait kidnapper par des Etoilés pour être ramenée à Rome où siège la Métareine. Excentrique, elle se donne une contenance en cultivant un narcissisme certain pour sa personne et en régurgitant une érudition tronquée et contrefaite.  Elle exaspère les rares personnes qui l’entourent. Pour les lecteurices, elle est irrémédiablement touchante et drôle.

J’ai juste besoin qu’on pose les yeux sur moi et qu’on m’identifie, qu’on réagisse à ma présence. Les sentir aussi près de moi, pleins de vie et de cheveux, ça me retournait la tête. Des dizaines d’interactions possibles se présentaient à moi. Les agresser physiquement. Les séduire comme Lilith. Leur faire une farce. Ou même leur parler ! J’en avais le tournis. Des gens. Un miroir. Une espèce.

Le récit va alterner entre le point de vue de ces deux-là qui nous content leurs mésaventures à la première personne.

L’Apocalypse a-t-elle le sens de l’humour ?

Qu’est-ce que cette lecture m’a amusée ! C’est inattendu pour du postapo. Pourtant les ingrédients habituels sont légion : les clans, les religions, les tyrans, la fin des civilisations, les cancers et autres difformités conséquences d’un lointain accident bio-technologico-nucléaire, les luttes de pouvoir. 

Vous allez trouver ça dément, capichef !  Mais du temps des Républiques, on avait déjà imaginé plein de trucs. C’est comme si on savait exactement ce qui allait se produire et qu’on avait renoncé à l’éviter. On appelait carrément ça des récits d’anticipation. Ca me la coupe.

Mais à cette soupe primordiale qui va de pair avec le genre, Marguerite Imbert y instille la saveur épicée de l’humour, principalement par le biais des personnages d’Alba et de Jonathan. La première en multipliant les références à l’ancien monde, en général en les retranscrivant mal et surtout dans des moments tout à fait inadéquats. Le second par sa mégalomanie, son parler truculent, son regard acéré sur le monde et ses sautes d’humeur. En cours de lecture, on en vient à se demander si la confluence de leur ligne narrative ne va pas causer une seconde Apocalypse.

Mais ils ne sont pas que drôlerie, sinon cela finirait par attirer la moquerie. Ils sont aussi touchants parce que complètement fucked up, moralement désaxés, socialement inadaptés et froncièrement immatures.

-Tu veux mourir ? demanda-t-il.
-Tu veux savoir ce qu’est une espace insécable ? 

Par ailleurs, le reste du roman n’est pas en reste, histoire de passer un excellent moment de lecture. Le background est à l’image haute en couleurs des personnages sus-mentionnés : on y croise des créatures marines gigantesques, un continent de plastique transformé en comptoir commercial flottant, la ville de Rome réfugiée sur les hauteurs de ses collines, des factions rivales ou alliées, les Etoilés de Jéricho, les ouailles de la Métareine, des Graffeurs décimés (enfin du coup on en croise pas beaucoup, hein), un mystérieux lieu mythique façon Waterworld et une ribambelle de personnages secondaires, des compagnons d’infortune d’Ismaël à l’équipage du Player Killer, en passant par les gardes étoilés d’Alba.

Le rythme du roman est sans temps mort, l’alternance des chapitres produisant efficacement sa déception de quitter un personnage pour la joie de retrouver l’autre. 

On ne badine pas avec l’humour, disait Alfred de Musset.

Les flibustiers de la mer chimique est un roman d’aventure exubérant qui saura vous rappeler que, pour survivre à l’Apocalypse, il vaut mieux avoir un solide sens de l’humour.

Informations éditoriales

Roman écrit par Marguerite Imbert. Publié pour la première fois chez Albin Michel Imaginaire en 2022. Illustration de couverture par Sparth. 453 pages.

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40 commentaires sur « Les flibustiers de la mer chimique | « On ne badine pas avec l’humour » »

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