La famille
– Je n’ai pas besoin de vous connaître dit-il faiblement. Je vous aime.
– C’est ridicule.
– Pourquoi ? C’est l’amour.
– Vous me quitteriez. Comme l’autre.
Le mauvais rêve se trouvait au-dehors d’elle, dans le monde réel. Il lui fallait le vaincre là ou nulle part.
On le voit jusque dans sa réaction lors de la disparition temporaire de Zarjo, le chien familial : une fois l’animal retrouvé, elle affirme que s’il ne l’avait pas été (comprendre : il nous aurait abandonné), ça n’aurait pas été une grande perte (il aurait donc trahi et n’aurait pas mérité pas notre attention).
Les Chutes
Chaque membre de la famille d’Ariah a un lien avec les Chutes. En fait, la seule qui n’en a aucun, propre à elle-même en tout cas, est Ariah elle-même.
Déjà ses deux maris y finissent leurs jours, mais ses trois enfants montrent une attraction plus ou moins forte pour les Chutes :
- Royall travaille pour un temps pour une compagnie de bateaux qui emmènent les touristes sous les Chutes.
- Chandler, bénévole pour les Samaritains, se retrouve régulièrement à raisonner un candidat au suicide.
- Juliet est celle qui a le lien le plus fort et le plus délétère puisqu’elle entend des voix venant des Chutes qui lui demande d’aller y rejoindre son père. Elle fait ici clairement figure d’enfant symptôme du trouble familial, portant dans ces voix le non-dit du décès paternel.
Les chutes sont aussi celles d’Ariah après le décès de ses deux maris : honte et incompréhension pour le premier ; honte du nom « Burnaby » et déchéance sociale pour le second.
*Notez qu’ il est impossible de trouver une référence Google autre que celle liée au livre d’ Oates qui met en exergue la citation d’un médecin du dernier tiers du 19ème siècle. Soit le phénomène n’a vraiment pas fait long feu, soit il a été inventé par l’autrice elle-même. Il s’agit grossièrement d’une attraction fatale pour les chutes d’eaux, les Chutes du Niagara en particulier, qui amène la personne atteinte à se jeter dedans
Les secrets
La part la plus importante du livre sont les choses qu’on ne dit pas. Les secrets, plus ou moins cachés, émaillent tout au long du récit. La plupart du temps, le lecteur est au courant et partage le secret avec un nombre restreint de personnes.
On trouve donc un nombre important de non-dits:
- l’homosexualité de Gilbert, qui le poussera au suicide
- la naissance de Chandler, peu claire : on ne sait pas si le père est le premier mari d’Ariah ou Dirk.
- l’affaire Love Canal : des groupes industriels ont enterré des déchets toxiques puis ont vendu les terrains pour en faire des lotissements. Les conséquences sur la santé des habitants et des enfants fréquentant une école construite sur le même terrain sont poussées sous le tapis par les pouvoirs publics pendant que la vérité, elle, suinte dans les caves et les jardins des riverains. Si l’intervention de Dirk Burnaby est fictionnelle, l’affaire en elle-même est bien réelle et les malheureuses victimes durent attendre 1978 pour être « dédommagées » et évacuées.
- La mort de Burnaby : selon les rumeurs, l’homme se serait suicidé ; sur le certificat de décès, il est fait état d’un accident ; selon le mythe familial conçu par Ariah, il serait mort « avant la naissance » des enfants. En vérité, il a été assassiné.
C’est arrivé avant ma naissance. Des mots que nous prononcerions si souvent qu’ils finiraient par sembler vrais.
- La tentative de suicide avortée de Juliet dans les Chutes, ainsi que ses voix, dont elle ne parle à personne. Le fait aussi qu’elle tait à ses frères qu’elle est observée par Bud Junior Stonecrop.
- Le meurtre du père par Bud Senior Stonecrop : un secret gardé pendant plus de 16 ans, révélé au final par le fils de Bud à la fille de Dirk.
- La disparition non élucidée du juge Howell (qui débouta l’affaire de Love Canal en 1962) dont on a de gros soupçons qu’il a été assassiné par Royall. Des réflexions de Chandler qui s’interroge et cette remarque de Royall sur l’usage des armes dans les pièces de théâtre en amont de cette disparition, nous font nous poser de nombreuses questions.
Dans ce cours de littérature que je suis, le professeur a dit que, si une arme faisait son apparition dans une pièce, il fallait que quelqu’un s’en serve, à un moment ou un autre. On ne peut pas tromper l’attente du spectateur. Mais dans la vie, c’est différent.
Ces secrets tiendront le lecteur en haleine, non pas parce qu’il les devine sans les comprendre, car il est presque aussi omniscient que l’autrice, mais parce qu’il voudra savoir comment ils vont impacter l’histoire et les personnages.
Et vous ? Vous avez trouvé d’autres angles d’analyse ? D’autres exemples aux thèmes exposés ici ? Est-ce que ça vous arrive de décortiquer un bouquin pour mieux l’appréhender?
Informations éditoriales
Publié pour la première fois en 2004. 2005 pour la traduction française aux éditions Philippe Rey. 2006 chez Points. Traduite de l’anglais (US) par Claude Seban. 552 pages.