La tombe des lucioles | Plus trash que le film

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La tombe des lucioles, de Nosaka Akiyuki, est un petit livre édité chez Piquier Poche offert dans le coffret bluray du film d’animation de Takahata Le tombeau des lucioles. Il contient la nouvelle-titre et une autre : Les algues d’Amérique. Malgré la dureté du film, je me suis attelée à cette lecture avec beaucoup de curiosité. 

Nosaka Akiyuki

Je n’avais jamais entendu parler de Nosaka Akiyuki avant de tenir La tombe des lucioles entre mes mains. Heureusement, une préface à l’ouvrage, écrite par Patrick De Vos, nous confie quelques informations sur le parcours de l’auteur. Passons sur le fait que cette préface est surécrite et de ce fait pas toujours évidente à appréhender : son contenu est très intéressant. 

Akiyuki est visiblement un auteur japonais majeur. Il a un parcours personnel très chaotique et trouve en la voie de l’écriture une façon de questionner l’existence. Il scandalise par ses récits érotiques, étonne par son écriture. Subversif, en constante opposition avec le système, il a aussi fait de la politique. Patrick De Voss dit de lui qu’il est une « exacerbation radicale » de « la culture du pauvre, des laissés pour compte, des opprimés, des petites et des grandes frustrations de la vie quotidienne ». Sacré personnage.

Il faut savoir que La tombe des lucioles est un récit partiellement autobiographique. En 1945, Nosaka Akiyuki perd sa mère adoptive après un bombardement américain. Pour ensuite voir sa petite sœur mourir de malnutrition. Il commet de multiples larcins pour survivre mais se fait choper et finit en maison de redressement. Son père biologique finit par le retrouver et l’envoie faire des études de lettres à Tokyo.

La tombe des lucioles

Le film est en fait très fidèle au livre. Je n’aurais pas pensé de prime abord. Le livre commence avec la même scène que le film : Seita en train de mourir dans la gare. On voit presque les images du film défiler devant nos yeux. Le film nous épargne cependant une scène de diarrhée épouvantable. De façon générale, le film nous épargne les scènes contenant des « fluides » : diarrhée, une bulle de sang sur le nez d’une victime vivant ses derniers instants, de la vermine qui tombe d’un cadavre…

On peut se demander pourquoi l’auteur a fait mourir son personnage alors que lui a survécu. La préface parle d’expiation. Oui. L’horreur de la guerre est aussi dans le fait de survivre. On tient là, je pense, l’essence du syndrome post-traumatique qui, par définition, ne peut survenir que si l’on a survécu. Une forme d’absurdité du pourquoi. Pourquoi moi j’ai survécu ? Pourquoi pas elle ? Et de la culpabilité, tout aussi absurde, qui en découle.

Le style est très particulier. Les phrases sont extrêmement longues, pleines d’enchâssements et de points virgules. C’est lancinant, d’une froideur extrême, à couper le souffle. On oublie le début de la phrase avant d’arriver au bout. Ce n’est guère plaisant, comme le sujet de ce livre. C’est très efficace.

J’ai hésité à vous mettre une citation parce qu’avec des phrases d’une page c’est un peu compliqué. Mais au final je vous laisse avec celle-ci, qui n’est pas longue comparativement à la moyenne de longueur des phrases, mais qui est suffisamment typique pour permettre de se rendre compte. Celleux qui ont vu le film reconnaitront la scène de l’hôpital de fortune dressé dans une école.

Les blessés graves, c’était dans la salle des travaux pratiques, au bout du premier étage, qu’ils étaient installés, tandis que ceux qui étaient plus proche encore de l’agonie étaient couchés dans la salle des professeurs, tout au fond ; au-dessus de la taille, sa mère était toute emmaillotée de pansements, ses bras ressemblaient à des battes de base-ball, à l’emplacement des yeux, du nez et de la bouche, les spirales infinies de bandelettes enroulées autour de son visage étaient percées de trous noirs, d’où émergeait un bout de nez tout à fait pareil à un beignet frit ; son pantalon brûlé de partout était à peine reconnaissable et laissait apparaitre un caleçon couleur poil de chameau ; « Elle vient juste de s’endormir. […] »

Les algues d’Amérique

Les algues d’Amérique est le deuxième texte contenu dans ce petit livre. Il raconte l’influence des Américains au Japon après la Seconde Guerre Mondiale au travers de 2 récits :

  • la visite d’un couple d’Américains à un couple de Japonais, dans les années 60
  • le parachutage américain de denrées alimentaires et de chewing-gum sur un Japon affamé après la guerre

Intéressant sur le fond, très critique des Américains (Seriously? Parachuter du chewing-gum à des gens qui meurent de fain, c’est d’un cynique XD), avec une obsession pour la langue anglaise ; une histoire que l’on voit moins racontée, surtout du point de vue japonais. Par contre le style des phrases à rallonge se fait moins approprié et moins clair ici, attendu que je ne connaissais pas l’histoire à l’avance et je trouvais que le sujet s’y prêtait moins.

La tombe des lucioles raconte le destin malheureux de deux enfants à qui la guerre a tout pris. Avec une virulence et une froideur bien plus marquée que pour l’adaptation en film d’animation, Nosaka Akiyuki fait un descriptif sans concession de l’expiation de son propre vécu. Les algues d’Amérique est moins percutant mais intéressant d’un point de vue historique dans ce qu’il raconte de la perception des Américains dans le Japon d’après-guerre.

Informations éditoriales

Nouvelles écrites par Osaka Akiyuki. Publié au Japon en 1967 et 1968. 1988 et 1995 pour la traduction française. Edité chez Philippe Picquier en 1988. 2015 pour la présente édition. Traduit par Patrick De Vos (La tombe des lucioles) et par Anne Gossot (Les algues d’Amérique). Couverture par Nicolas Delort. 144 pages.

Pour aller plus loin

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22 commentaires sur « La tombe des lucioles | Plus trash que le film »

  1. Un super cadeau ça dis donc. « Tiens, maintenant que tu es bien déprimée par le film, lis donc le livre qui est aussi sordide, voire plus ». 😅
    Est-ce que ça fait pleurer pareil, malgré ce style un peu particulier ?

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  2. Je suis restée bizarrement plus hermétique au livre, l’émotion si je me souviens bien n’est pas venue.
    D’ailleurs je me demande si la lecture de la préface n’y était pas pour quelque chose.
    Après je n’ai pas regretté sa lecture hein. Je crois que l’émotion du film, ses images étaient trop vives.

    Le 2eme texte ne m’a pas marquée.

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  3. Super intéressant ce que tu en dis. Je pense que je n’y viendrai jamais – le film me semble plus indispensable en raison de sa célébrité –, mais c’est une super idée de le proposer dans le coffret Bluray.

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  4. Je ne savais pas non plus que c’était adapté d’un livre. En tout cas même si je ne pense pas le lire un jour, c’est une belle initiative de le mettre dans le coffret Blu-ray

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  5. Moui alors, ça à l’air très bien, mais je sais pas si j’ai envie de m’infliger le livre ou le film XD
    Mais ce que tu en dis est franchement intéressant hein, mais… voilà lol

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