Mary Toft ou la reine des lapins | Ce matin, un lapin

Mary Toft ou la reine des lapins est un roman écrit par l’auteur américain Dexter Palmer. Publié pour la première fois en anglais en 2019, il a été traduit par Anne-Sylvie Homassel et publié aux éditions de la Table Ronde en janvier 2022. S’inspirant d’un fait divers historique, il raconte comment une femme mettant au monde des morceaux de lapin a défrayé la chronique en Angleterre  au 18ème siècle. Un lecture étonnante dont je vous touche quelques mots.

Inspiré d’un fait divers

Mary Toft ou la reine des lapins est la version romancée de ce fait divers de  l’Angleterre du 18ème siècle. L’auteur nous informe qu’il s’est octroyé la liberté du romancier et cite en postface quelques différences notables entre la réalité et son roman. Roman qui est d’ailleurs accompagné d’une solide bibliographique montrant que l’auteur a creusé le sujet.

Donc Mary Toft, jeune paysanne anglaise, se met à accoucher de lapins démembrés. Mais ce n’est pas par là que l’histoire commence. Les deux premiers chapitres vont poser le décor et les enjeux de ce roman, sans en aborder le principal sujet (à savoir Mary Toft et ses lapins). L’histoire nous sera principalement racontée du point de vue de Zachary Walsh, fils du pasteur du village et apprenti du médecin local, John Howard. En adoptant le point de vue de Zachary, jeune apprenti un peu naïf mais avide d’apprendre, Dexter Palmer nous offre un subtil conte pédagogique.

« Il me faut trois minutes pour amputer un pied. Ce serait plus rapide si j’avais un assistant. »

Je n’ai trouvé que des qualités à ce roman et je vais donc passer le reste de la chronique à vous les exposer.

Une écriture remarquable

Le premier contact c’est la plume de l’auteur. Un auteur dont je n’avais jamais entendu parler, et de ce fait jamais lu. C’est important l’écriture, elle forge la première impression. Littéralement, j’ai adoré dès la première ligne. Ciselé, très fin avec une pointe d’humour cynique.

Dans l’après-midi de ce lundi, John Howard et Zachary Walsh rentrèrent au cabinet du médecin après avoir procédé à l’accouchement difficile d’un nourrisson qui, pour changer, était humain.

Le vocabulaire est riche et parfois désuet. Des mots comme « trémulant », « acrimonieux », « conin », « alacrité » parsèment le texte, pour mon plus grand plaisir. On y trouver aussi des termes médicaux d’époque comme les « écrouelles » ou l’ « esquinancie » Je pense qu’Anne-Sylvie Homassel qui a traduit l’ouvrage a dû faire beaucoup de recherches et s’être fort bien amusée. Dans tous les cas, on ne peut que saluer son brillant travail.

D’un point de vue historique, on sent que l’auteur s’est renseigné. Bon ok, je n’y connais pas grand chose mais je me suis parfois amusée à faire une recherche Internet sur certains phénomènes et cela frappait toujours juste.

Un récit à message

Dexter Palmer joue de virtuose pour nous offrir un récit porté par ses thématiques où chaque chapitre va nous dire quelque chose de l’une et/ou des autres. 

L’enjeu principal est une réflexion sur les croyances et comment elles croissent au sein de la population en général et chez les individus en particulier. Tout dans le récit tend à nous confronter.

« Vous avez tous ces gens qui arrivent en ville. Des centaines, à présent : ces gens croient. Ils ne peuvent tous se tromper. »

Par exemple, le récit enchâssé « Le roi et les trois imposteurs » ou la leçon sur l’effet placebo de John Howard lorsqu’il raconte le « toucher des écrouelles » à son jeune apprenti. Il y a aussi un chapitre drôlissime et très fin sur comment des individus s’adjoignent à un groupe d’adeptes en attente de la prochaine naissance lagomorphique. Un régal.

Le récit est d’une –pas si- étonnante modernité, l’ensemble du propos pouvant peu ou prou persister à s’appliquer en ces jours peu glorieux de fake news se propageant via les réseaux sociaux selon un processus pas si différent que la rumeur impliquant le miracle des accouchements de Mary Toft.

Qui se soucie de Mary Toft ?

Mais Dexter Palmer ne s’arrête pas là. Il traite aussi des violences faites aux femmes. Mary Toft bien sûr, traitée comme une chose de bout en bout. On l’appelle « la patiente » et les discussions de ces messieurs chargés de la soigner ne tournent qu’autour de la gloire qui pourra rejaillir sur eux. Ils se disputent sur qui d’entre eux a eu le rôle le plus important lors des accouchements. Hum…

Dexter Palmer enchâsse dans le roman, un chapitre à la première personne de son point de vue à elle, dont le douloureux contenu vient signifier la dynamique du problème jusque dans ce choix narratif d’adopter pour la quasi intégralité du roman le point de vue d’un jeune garçon. 

C’est dès lors que les hommes ne m’ont vue que comme un récipient destiné à porter des versions miniatures d’eux-mêmes ; quels que soient les mots que j’ai pu leur dire, ils ne sont pas écoutés : je pourrais émettre des remarques sur les propos qu’échangent ces médecins entre eux, ici même, dans ce chariot branlant qui nous conduit à Londres ; il se comporteraient comme si mes phrases n’avaient pas plus de sens qu’un chat d’oiseau ou le jappement d’un chien auquel on jette une pierre.

Le roman parle également de l’oppression des pauvres par les riches. Avec en autre un propos sur l’abandon de sa dignité pour l’argent souligné de bien cruelle manière par le spectacle monstrueux de Nicholas Fox. 

Mary Toft ou la reine des lapins est un roman éblouissant par la finesse de son propos, l’intelligence de son ironie et la délicatesse de son écriture. Dexter Palmer, par le truchement de la remarquable traduction d’Anne-Sylvie Hommassel, signe un bijou romanesque et historique qui m’a durablement impressionnée.

Informations éditoriales

Roman écrit par Dexter Palmer.  Publié pour la première fois en 2019. 2022 pour la traduction française aux éditions de la Table Ronde. Titre original : Mary Toft; or, The Rabbit Queen. Traduit par Anne-Sylvie Homassel. Illustration de couverture par Nicolas Galy. 444 pages.

Pour aller plus loin

Les éditions de la Table Ronde.
D’autres avis : Quoi de neuf sur ma pile?, Les critiques de Yuyine, L’épaule d’Orion, ou signalez-vous en commentaire.

20 commentaires sur « Mary Toft ou la reine des lapins | Ce matin, un lapin »

  1. Ça à l’air très sympa ! Enfin sympa n’est peut être pas le bon terme 🙃
    Je ne connaissais pas l’auteur non plus, merci pour cette découverte !

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    1. Haha c’est vrai mais c’est une lecture assez drôle je trouve en fait, mais on est peut être un peu gêné de trouver ça drôle parce qu’il est vrai qu’il y a des scènes assez cruelles et la situation est glauque en fait XD
      Avec plaisir 🙂

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  2. Plus j’en lis d’avis et plus je suis hypé. Et tu enfonces parfaitement le clou. Par contre je ne me remets pas que ça soit tiré d’un fait réel, ça m’interloque à chaque fois – « interloquer » ça rentre dans le vocabulaire désuet ou pas ?

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  3. « Donc Mary Toft, jeune paysanne anglaise, se met à accoucher de lapins démembrés. » … What?! 😱😱😱

    Bon, j’adore les extraits que tu nous partages et ce que tu en dis. On va l’ajouter au panier. … mais sérieux, des lapins démembrés ?

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