
J’ai été enrôlée au bureau du Censeur pour superviser les échanges de communication depuis Romanova. J’ai soulevé l’épineuse question des uniformes dans un monde où amis et ennemis sont voisins de palier. J’ai suivi Mycroft dans son périple odysséen. J’ai assisté de près à un attentat complètement dingue. J’ai eu peur pour l’Utopie. J’ai eu peur pour Almageste. J’ai peur de ce qu’il pourra se passer encore. J’ai lu L’alphabet des créateurs, le quatrième tome sur 5 de Terra Ignota et je vous en touche quelques mots.
J’ai festoyé des créations de Bridger, j’ai respiré l’odeur du sang cérébelleux du Prince lors de sa Résurrection, l’ai regardé Achille lancer le javelot, mais j’ai aussi goûté à la poussière lunaire, j’ai vu des dragons arc-en-ciel prendre leur envol sur le Forum sidéré et endeuillé ; j’ai vu Mycroft prendre son envol, contraint de se contenter pour cela de membres humains.
***Disclaimer: Si vous n’avez pas lu les 3 premiers tomes, je vous enjoins à le faire et revenir ici ensuite. Mes chroniques : Trop semblable à l’éclair (tome1) ; Sept redditions (tome 2); La volonté de se battre (tome 3)***
« Je me trouve maintenant à un endroit »
Rappelons-nous des évènements qui clôturent le troisième opus, La volonté de se battre. Nous avons été éblouis par les Jeux Olympiques organisés en Antarctique, à Esperanza City. Malheureusement tout cela s’est assez mal terminé avec l’attaque surprise d’Atlantis. Mycroft a disparu dans le sauvetage des rescapés, mais nous apprenons très rapidement que cette disparition sera temporaire.
Au début de L’alphabet des créateurs, Mycroft étant out, c’est le nouvel Anonyme qui prend le relais de la narration. On ne connait pas son vrai nom, on sait juste qu’il est Servant. Dans le texte il est appelé 9A ou son nom est censuré en [Anonyme].
Cette fois c’est la guerre et elle va être guidée par une double problématique :
- les voitures volantes ayant tendance à disparaitre ou s’abîmer en accidents variés, se déplacer devient un énorme problème.
- le système qui gouverne les communications mondiales via les traceurs est également mis hors course, communiquer devient un énorme problème.
Voilà qui est brillant de clouer sur place et de fermer le clapet à un monde qui s’est habitué à ce que ces deux problèmes récurrents de l’humanité n’en soient plus pendant près de 400 ans. Un retour en arrière qui fait vivre la guerre d’autant plus intensément que l’humanité est forcée de se réinventer… et d’utiliser des moyens qui nous sont aussi plus familiers, à nous êtres humains du XXIème siècle. J’ai trouvé cette réinvention passionnante.
Je ne m’étais encore jamais trouvé nulle part. Aucun de nous n’avait jamais vécu ça, pas réellement, pas comme ça. Il nous avait toujours été possible de nous rendre n’importe où en un instant ou une heure. Je me trouve maintenant à Romanova, je m’y trouverai demain et le jour suivant. Je parcourrai ces rues et ces rues seules, je dormirai sur ce sofa, je mangerai la nourriture de ces magasins, et quand ils seront à court… Mycroft avait raison de dire que ça donnerait l’impression d’être bloqué sur la Lune.
Quand le futur rattrape le présent
Quand j’ai commencé L’alphabet des créateurs, je n’avais pas du tout conscience que le contexte géopolitique actuel pouvait avoir un impact sur ma lecture. Je me le suis pris un peu dans les dents. D’une part, l’intrication des bash et les difficultés de se faire la guerre quand tout est aussi absurdement mélangé et lié m’a très fort évoqué les difficultés du monde actuel face à la situation russo-ukrainienne où on se rend compte que les pays sont très dépendants les uns des autres.
D’autres part, il y a aussi des propos sur la guerre qui sont universellement étouffants, qu’elle se déroule en vrai ici et maintenant ou en imagination dans un livre écrit dans un futur improbable. En tant que lecteurice, on se sent pris à parti.
Nous avons tout gâché. Nos ancêtres ont fait tant de sacrifices pour nous léguer un monde de beauté et d’unité… que nous avons découpé en mille et unes pièces qui ne guériront peut-être jamais. Comment pourrions-nous guérir, redevenir un monde, une culture, quand nous menons mille et unes guerres différentes? Quand nous créons des barrières, des frontières, la haine aussi sûrement et sottement que nous rendons sourdes les malheureuses baleines ?
Guerre de l’information et information de guerre
Et en troisième lieu, on ne peut échapper au fait que si l’argent est le nerf de la guerre, l’information en est le bras droit. C’est une enjeu considérable dans L’alphabet des créateurs, admirablement mis en lumière. Il y a bien sûr le bureau du Censeur dont fait partie 9A qui tente de mettre en place un réseau d’information neutre mais il se heurte à la propagande, aux rumeurs et aux informations censées être tenues secrètes soudainement dévoilées sur la place publique.
Un phénomène que l’on peut aussi observer dans la guerre russo-ukrainienne et que l’on voit étalé dans les médias tous les jours. Bon c’est très différent dans le livre bien sûr, mais comment échapper aux parallèles ? Comment ne pas se dire que toutes les guerres se ressemblent ? Comment ne pas être anéanti par la persévérance humaine à s’entre-infliger toutes les douleurs du monde au nom d’idéologies moisies, au nom du fric ou au nom d’un dieu ? Ca me fatigue. Ca me rend triste. Ca m’angoisse. Merci à la littérature en particulier et à la culture en général d’aider à sublimer tout ça en y mettant des mots et des émotions.
Notre droit parle de « crimes intolérables » : il est intolérable de provoquer des morts ou des souffrances incontrôlées ; de dévaster la nature ou le produit de la civilisation ; de dépouiller une âme angoissée des moyens d’appeler à l’aide. Mais que signifie réellement cet « intolérable »? Que l’humanité est incapable de supporter ces choses-là ? Nous en avons tellement supporté – pandémies, séismes, génocides auto-infligés -, sans qu’elle nous empêchent de continuer notre chemin. Que nous ne les permettrons pas ? Combien d’atrocités avons-nous permises et perpétrées, emprisonnant soutien et empathie derrière les barreaux de l’égoïsme ? « Intolérable » signifie-t-il que nous ne saurions pardonner ? Peut-être, mais si sanglante que soit l’hitoire de notre espèce, si immonde notre culpabilité, le cœur humain reste capable de deviner en nous l’excellence. Tel n’est cependant pas le cas de tous les coeurs humains. C’est là, à mon avis, le sens d’ « intolérable ».
L’alphabet des créateurs a beau être une moitié de roman, il frappe fort et juste. La guerre et ses acolytes sont au centre des enjeux du texte bien sûr, résonnant avec l’actualité mondiale. Qu’est-ce qui manque ? Il manque la résolution de ces enjeux. Mais rassurons-nous, la deuxième partie de ce volume, Peut-être les étoiles, sortira en octobre 2022.
Informations éditoriales
Roman écrit par Ada Palmer et publié initialement en 2021. 2022 pour la traduction française aux éditions du Bélial’. Traduit par Michelle Charrier. Titre original : Perhaps the stars, Terre Ignota, book IV (première partie en FR). Illustration de couverture par Amir Zand. 544 pages.
Pour aller plus loin
Mes chroniques des précédents volumes : Trop semblable à l’éclair. Sept redditions. La volonté de se battre.
Ada Palmer sur le blog.
D’autres avis : Ombre bones, ou signalez-vous en commentaire.
Merci pour le lien et pour cette chronique magistrale 🤩 je te lie moi même dés que je suis sur l’ordi.
Cette saga me passionne à un point fou. J’ai hâte d’en connaître la résolution et en même temps j’ai peur de quitter cet univers.
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Merci ❤
Très hâte aussi ^^ J'avoue il risque d'y avoir un petit effet dépression post-terra-ignota, mais d'un autre côté vaut mieux conclure au faite de la gloire de l'ensemble qu'après la saison de trop ^^
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Parole de dragon sage 😀
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🐉🤔
🤣🤣
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Très belle chronique !
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Merci 🙂
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Il faut vraiment que je trouve le courage de m’y mettre xD
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Yes ! En anglais ou en français ?
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En anglais. Je l’ai commencé comme ça et j’ai vraiment eu du mal avec le début façon théatre de la VF quand je l’ai tenté quand il est sorti, du coup je vais continuer en VO 😛
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Ok XD
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J’allais dire que je suis content de ne pas le lire dans le contexte actuel, mais en fait je crois que peu importe l’époque où je le lirai, il y aura une résonance d’actualité.
Bon, de toute façon j’ai quelques tomes à rattraper d’abord – qui d’ailleurs me font relativiser le volume de « Notre part de nuit ». 😅
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Ce n’est que la 50ème fois que je zappe un commentaire, mes excuses.
En fait je trouve que ça le rend encore plus intéressant. Enfin en tout cas, je suis contente de l’avoir lu maintenant en fait. Ca donne une tonalité unique à la lecture.
Notre part de nuit est plus facile à lire aussi 😅
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j’ai lu et je fais confiance à ma mémoire pour avoir oublier d’ici que j’arrive à la lecture de ce tome. Le 1 et le 2 sont dans ma PALN en attente de cerveau mode ON, car je crois me souvenir que la lecture est exigeante.
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Oui exigeant ++
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Génial! Contente de voir que la qualité est toujours au rendez-vous!
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Ouip, ça se tient sur la longueur ^^
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Tu as bien cerné les enjeux de ce tome, je trouve que c’est très intéressant de faire sentir à ce point à quel point l’information est capitale en temps de guerre. D’ailleurs il est assez étrange ce tome, il se passe plein de choses mais on ne l’apprend que de façon indirecte la plupart du temps, ce qui fait qu’on peut légitimement remettre en doute la véracité d’à peu près tout.
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En effet. Un sujet passionnant s’il en est. Entre autre pendant la seconde guerre mondiale, y a eu des histoires bien salées. Dont celle de ce vrai faux cadavre destiné à être trouvé par les Allemands pour leur faire croire que le débarquement en Sicile ne se produirait pas en Sicile. Complètement hallucinant. Y a eu un film là dessus cette année l’an dernier je ne sais plus, il n’était pas terrible mais par contre l’Histoire la vraie est fascinante.
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