Des nouvelles de Bifrost #109 | Elly Bangs, Christian Léourier, Ray Nayler, Emilie Querbalec , Valerio Evangelisti

bifrost 109 valerio evangelisti

Ce 109ème Bifrost publié en janvier 2023 par les éditions du Bélial propose un dossier sur l’auteur italien récemment décédé,  Valerio Evangelisti. Je m’intéresserai dans les présentes impressions aux 5 nouvelles qui ouvrent la revue, à savoir : Pissenlit d’Elly Bangs, L’homme gris de Christian Léourier, L’hiver en partage de Ray Nayler, Skin d’Emilie Querbalec et Cicci di Scandicci de Valerio Evangelisti.  C’est parti…

Pissenlit, Elly Bangs

Pissenlit est retrouvé en Antarctique dans les années 60. D’abord pris pour un prototype de missile très avancé conçu par les Russes, il apparaît que Pissenlit pourrait faire partie d’un programme de panspermie orchestré par des extraterrestres et qu’il se serait écrasé sur Terre il y a 1.7 millions d’années.

Trois générations de femmes, la grand-mère, la mère et la petite-fille dont la vie tourne autour de Pissenlit, que ce soit pour le dévoiler, le rejeter ou le sublimer se relayent. L’histoire est racontée par la petite-fille à l’intention de sa grand-mère.

Un excellent texte, entre récit très humain d’une femme s’adressant à sa grand-mère décédée pour lui dire que l’œuvre de sa vie ne fut pas vaine et sense of wonder science-fictionesque se heurtant au principe de réalité pour mieux rebondir parce que c’est ce que l’humanité tend à faire.

Il y a un siècle jour pour jour que tu as trouvé l’étincelle de vie dans cette vallée de la mort lyophilisée. Le fantôme de qui tu étais alors m’y tiens aujourd’hui compagnie, compteur Geiger en main, passant avec vénération en revue les roches polies par le vent… dans ce lieu où le cœur brisé, ta fille fera pèlerinage trente ans après et où je viens enfin d’arriver à mon tour.  Chaque respiration me fait sentir ce vent glacial qui te brûlait les poumons tandis que tu grimpais, la mains en visière pour te protéger du soleil de minuit. A l’autre bout du monde, ta famille rassemblée dans la lueur d’un tube cathodique se demandait si ce soleil se lèverait de nouveau un jour sur elle.
(incipit)

Parution initiale en 2018. Traduit de l’américain par Gilles Goulet. Titre original : Dandelion.

L’homme gris, Christian Léourier

L’homme gris aime se réveiller au chant des oiseaux. Il a deux patients aujourd’hui dont il ne connait que le nom avant de les rencontrer. 

Un doux texte qui évoque la thématique de la mort assistée de façon sereine et humaniste.

La jeune femme qui lui ouvrit sursauta en le voyant. Il avait l’habitude de telles réactions. Même si sa visite avait été souhaitée, la présence d’un homme gris conférait une réalité à ce qui jusqu’alors n’était qu’un projet. Sans compter qu’il était très en avance.

L’hiver en partage, Ray Nayler

Deux femmes se retrouvent comme tous les ans à Istanbul, le temps de quelques jours de vacances. Le corps qu’elles occupent n’est pas le leur : leur conscience y a été implantée. Une pratique répandue, quoique coûteuse et provoquant l’hostilité de certains.

J’aime beaucoup comment Ray Nayler arrive à nous mettre dans l’ambiance et à nous présenter ses personnages très naturellement dans le quotidien de leur environnement. Par contre, cette nouvelle a un sérieux goût de trop peu : elle soulève beaucoup d’interrogations et y répond bien peu. 

« Que les morts restent morts »
En lettres écarlates, ces mots avaient été hâtivement griffonnés sur un bac à fleurs en béton qui déborderait de tulipes au printemps. Ceux qui pouvaient s’offrir un séjour printanier côtoieraient la foule et connaitraient des jours ensoleillés. Aujourd’hui le bac ne contenait que de la terre humide.
Un employé municipal vêtu d’une combinaison un peu plus sombre que le ciel bruineux, effaça rapidement le graffiti à l’aide d’un produit chimique avant de vaquer à d’autres occupations.
(incipit)

Parution initiale en 2017. Traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat. Titre original : Winter Timeshare.

Skin, Emilie Querbalec

Alma est enfermée dans une sorte d’hôpital psychiatrique. On ne sait pas réellement pourquoi. Dans tous les cas, il y est question de peaux défectueuses et on comprend que les résidents peuvent en changer.  Mais à la Maison aux Acacias , on les engonce dans une peau thérapeutique qui les rend invisible dans le monde extérieur. Ce qui n’empêche pas Alma de nourrir des projets d’évasion surtout depuis l’arrivée de la nouvelle.

Un texte perturbant qui entrelace identité et enveloppe corporelle. 

La nouvelle arriva à la Maison aux Acacias un matin de novembre par un jour gris et brumeux. Comme à mon habitude, je campais dans le siège en face de l’accueil, sous l’horloge murale où trois aiguilles s’appliquaient à marquer la cadence. J’aimais bien cette horloge, car il me suffisait de me concentrer un peu en me tenant à la bonne distance, exactement à la verticale, pour entendre la trotteuse dans ma tête.
Prostrée dans son fauteuil, la nouvelle se laissait pousser par l’ambulancier, le regard fixe. Je lui tirai la langue, curieuse de voir sa réaction. Ses yeux demeurèrent vides et inexpressifs.
(incipit)

Cicci di Scandicci, Valerio Evangelisti

Valerio Evangelisti nous livre le récit à la première personne de l’empailleur d’un petit village soudainement pris d’assaut par les touristes. Ce texte s’inspire de l’affaire du monstre de Florence qui a défrayé la chronique dès années 60 aux années 80. Il n’ a rien de SFFF, mais il s’agit clairement d’un texte horrifique. 

Le bonhomme est un monstre,  absolument rien à sauver chez lui. Le ton très premier degré sur lequel il raconte son monde est d’une violence implacable. Il y a un je ne sais quoi dans cet étalage de crimes nauséabonds et cette atmosphère de misère intellectuelle et de rejet des intrus qui m’a fait penser à La terre d’Emile Zola et à As bestas de Rodrigo Sorogoyen.

Quand j’étais encore en vie on m’appelaient Cicci, Cicci di Scandicci. Mais regardez une de mes photos et vous verrez que ça ne me correspondait pas du tout. C’est un nom de pédé. Pas du tout mon genre. Moi, ce que j’aime, c’est la chatte. Un peu trop, peut-être, mais d’une manière saine, franche, populaire. Comme ça se fait dans mon coin, où l’air est bon et la vie authentique. Enfin, avant l’arrivée des sangliers. 
(incipit)

Parution initiale en 2002. Traduit de l’italien par Jacques Barbéri. Ttitre original : Caccia al Cinghiale. 

Informations éditoriales

Revue publiée en janvier 2023 par les éditions Le Bélial’. Illustration de couverture par Florent Bossard. 192 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Les lectures du maki, L’épaule d’Orion, Quoi de neuf sur ma pile (Cicci di Scandicci, Pissenlit), Ombres Bones, Au pays des cave trolls, ou signalez-vous en commentaire.

18 commentaires sur « Des nouvelles de Bifrost #109 | Elly Bangs, Christian Léourier, Ray Nayler, Emilie Querbalec , Valerio Evangelisti »

  1. Christian Léourier qui fait du Christian Léourier. Vu la régularité avec laquelle il publie dans Bifrost, je suis presque étonné qu’il n’ait pas encore un recueil publié par Le Bélial’.

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  2. Génial! Merci! Un dossier sur Valerio Evangelisti, il me le faut! J’avais totalement raté ça!
    En plus, ça me fera lire du Christian Léourier. Et sur un sujet qui m’intéresse. L’euthanasie humaine, c’est mon seul espoir pour les années 2050… 😂
    Et en plus, ça me fera lire un deuxième texte de Ray Nayler, après Père qui était super.

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    1. PS: « Le bonhomme est un monstre, absolument rien à sauver chez lui » –> Ça me rappelle pas mal le bon vieux Eymerich. (Mais ça fait longtemps que je l’ai lu, peut-être qu’il y a quand même quelque chose à sauver chez lui, entre deux bûchers.) (Le mot « bûcher »me rappelle d’ailleurs que je voulais réagir au titre de ce numéro: « Tout feu tout flamme », c’est beau!)

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