Une Heure Lumière | Retour sur l’Année 6

Une Heure Lumière est une collection de novellas créée par les éditions du Bélial en 2016. Depuis elle a pris sa place dans le paysage de les littératures de l’imaginaire. Une place de choix tant par la diversité et la qualité des textes proposés. Etant aux abonnés absents cette année-là (et les suivantes) et n’aimant pas prendre le train en marche, je me suis résolue à rattraper mon retard en les lisant par ordre de parution. J’ai terminé récemment l’année 6 et je vous propose un petit classement, très subjectif, de ces 7 (Le Bélial’, je vous demande de vous calmer, y en a qui essaient de vous rattraper !) lectures. Par ordre croissant de préférence.

Encore un petit effort on y sera ! Il ne me reste à ce jour plus que 9 titres de la collection à rattraper. Je ne pense pas trop m’avancer en disant que, si je garde le rythme et Le Bélial’ aussi (ne me faites pas de mauvaise blague, je vous ai à l’œil 👀), je serai enfin à jour sur les parutions d’ici moins de 2 ans.

Le classement de cette année fut difficile dans le sens où aucun des textes proposés ne m’a déplu. J’ai plutôt bien apprécié le 7ème, c’est dire le high level de ce cru 2021.

J’ai aussi lu le HS de l’année qui contient une nouvelle de Greg Egan, Un château sous la mer, que j’ai trouvée super chouette à lire et hyper facile d’accès, la science habituellement hard dans les textes d’Egan se trouvant ici réduite à portion congrue. Il s’agit de l’enquête d’une fratrie qui cherche le quatrième d’entre eux qui a disparu de la circulation du jour au lendemain alors qu’ils font souvenirs partagés depuis leur enfance.

7/ Symposium, Inc., Olivier Caruso [UHL #33]

Rebecca, fille du célèbre médecin Stéphane Bertrand qui a bouleversé le monde par la neurotechnologie, tue sa mère au couteau le jour de ses 18 ans. Stéphane reprend contact avec Amélie Lua qui était amie avec sa femme près de vingt ans auparavant et devenue depuis ténor du barreau, pour assurer sa défense. Une défense compliquée par le fait que les procès se gagnent à présent via les réseaux sociaux qui influencent largement les jurés et que la culpabilité de la jeune femme ne fait aucun doute. Il reste à Amélie la possibilité de plaider l’irresponsabilité. Un kyste logé dans le cerveau de la jeune femme pourrait en effet être à l’origine de sa pulsion meurtrière. Reste à convaincre les réseaux sociaux…

Neurotech, la société qui fabrique et implante les constagrammes, clame à tout va : Commenter, c’est bon pour la santé. A chaque fois, un shot de dopamine, vous vous êtes indignés, vous avez participé, vous avez raison. Zieutez un peu vos avant-bras, votre plaisir se chiffre en milligrammes. Dopamine, sérotonine, adrénaline.  Vous vous sentez mieux, n’est-ce pas ? Tout est calibré. Le calibrage est tout.

Symposium mixe habillement les pires travers des réseaux sociaux et une extrapolation sur les technologies connectées pour nous offrir un thriller technologique hautement prenant. On y trouve l’archétype du récit à la Minority Report : un homme conçoit une technologie surpuissante qui permet, entre autres, de condamner les criminels et se retrouve piégé par la dite technologie, sa fille dans ce cas. J’ai aussi apprécié y trouver moult clins d’œil pour qui s’intéresse aux neurosciences et à la psychologie cognitive : les mentions du cas Phineas Gage, du syndrome de Korsakoff, ou encore à l’expérience de Harlow.  On notera aussi la haute dose de détestabilité des deux personnages principaux. Une novella qui parlera plus à l’intellect qu’aux émotions.

Commentez, c’est bon pour la santé. (Je devrais mettre cette phrase au-dessous de chacun de mes billets, tiens 🤔)

➡️ Les impressions de Célindanaé.

6/ A dos de crocodile, Greg Egan [UHL #30]

Leila et Jasim ont vécu plus de 10 000 ans. Ayant fait le tour de la question de la vie, ils sont prêts à mourir mais avant cela ils souhaitent résoudre le dernier mystère de l’univers : pourquoi 42 ? Oh, ça va, si on peut plus rigoler : qui sont les Indifférents vivant dans une région de l’espace appelée le Bulbe (ô glamour, le nom) et refusent tout prise de contact avec les civilisations de l’Amalgame ? Vous n’aurez pas du tout de réponse à cette question en lisant la novella mais c’est bien quand même, restez le temps d’Une Heure Lumière ou de 10 000 ans après tout ce n’est rien à l’échelle de l’univers.

Leila et Jasim étaient mariés depuis dix mille trois cents neuf ans quand ils commencèrent à envisager de mourir.

L’avantage indéniable de Greg Egan en tant qu’auteur de hard-SF est qu’il n’oublie pas le facteur humain. Parce que je vous avoue n’avoir pas compris grand chose aux passages les plus pointus de cette novella. Heureusement, cela n’a aucune espèce d’importance car le vertige est ailleurs. Dans l’évocation de ce rapport au temps et à l’espace qui est hors de la portée de notre humanité actuelle. Dans l’évocation de cette relation de couple qui résiste au temps dans des proportions qui sont inenvisageables à notre humanité actuelle.

Traduit de l’anglais (Australie) par Francis Lustman.

➡️Les impressions d’OmbreBones

5/ La fontaine des âges, Nancy Kress [UHL #28]

Max Feder est vieux et riche. Il vit dans le regret de son amour perdu de jeunesse, Daria, avec laquelle il a passé quelques jours (et nuits) torrides à Chypre lorsqu’il était dans l’armée. Il n’a gardé d’elle que ses souvenirs et de précieuses reliques : des traces de rouge à lèvres sur une serviette et une mèche de cheveux qu’il garde précieusement dans une bague qui ne le quitte pas. L’histoire commence alors que ses petits-enfants foutent la bague au vide-ordure. S’ensuit une quête effrénée, que dis-je, une lubie, une obsession, à retrouver Daria. Il sait relativement où elle est, il s’agit surtout d’arriver à l’atteindre.

La fontaine des âges mêle deux thématiques avec comme liant Daria, l’amour de jeunesse de Max : une réflexion éthique passionnante sur un traitement anti-vieillissement et le récit de la quête illusoire d’un homme qui vit dans le regret. Un texte intelligent et convainquant.

Elle était dans ma bague. A l’époque, on gardait avec soi les fragments d’une personne. Ca se faisait, pas comme aujourd’hui. […]
Donc, elle était dans ma bague. Que j’ai conservée pendant quarante-deux ans – jusqu’à ce que le monde moderne la dévore. Littéralement. Où se trouve la justice dans tout ça ? Dites-moi.
(incipit)

Traduit de l’américain par Erwann Perchoc.

➡️Mes impressions

4/ Toutes les saveurs, Ken Liu [UHL #31]

Etats-Unis, Idaho City, à l’époque de la ruée vers l’or. Un groupe de prospecteurs d’or chinois arrivent en ville. Logés par Thaddeus Serus, ils fascinent Lily, sa fille, qui va sympathiser avec eux, au grand dam de sa mère qui fait figure de caricature en terme de racisme et de préjugé envers cette population à la culture et aux mœurs bien différentes. Lao Guan, un doux géant barbu au visage cramoisi, entreprend de lui raconter la légende de Guan Yu.

« Quand j’étais petit garçon, on m’a appris qu’il n’existait que cinq saveurs dans le monde entier, et que toutes les joies et peines venaient de leurs mélanges. Je sais désormais que ce n’est pas vrai. Chaque endroit a son propre goût, et celui de l’Amérique, c’est le whisky.

Dans une ambiance western, Ken Liu offre un texte touchant alternant le récit de la légende de Guan Yu et celui d’une rencontre culturelle et humaine. Si le racisme est bel et bien présent et le parcours de Lao Guan et ses amis semé d’embûches et de confrontation à une humanité peu reluisante, le ton se veut intimiste et positif.

J’ai beaucoup aimé le récit de cette rencontre. Ayant un certain attrait pour la « conquête de l’ouest », je trouve toujours fascinant quand on se sert de ce qu’elle a de plus typique (la ruée vers l’or, les gunfight, l’esprit de clocher des petites villes de l’Ouest) pour aborder un sujet moins conventionnel (ici l’immigration chinoise et sa douloureuse confrontation au racisme ambiant) avec subtilité.

Traduit par Pierre-Paul Durastanti.

➡️ Les impressions de Nevertwhere.

3/ Sur la route d’Aldébran, Adrian Tchaikovsky [UHL #34]

Le narrateur, Gary Rendell, est astronaute, un explorateur spatial envoyé avec toute une équipe aux confins du système solaire pour étudier une étrangeté cosmologique dont la forme évoque un batracien présentant toujours la même face quel que soit le côté où l’on se présente et que les gens appellent le Dieu-Grenouille. Il est perdu tout seul dans les Cryptes, dans ce lieu à la fois merveilleux et horrifique. Il raconte ses rencontres avec d’autres explorateurs extraterrestres et avec les prédateurs qui s’en repaissent.

Ce que je veux dire, c’est que nous n’étions pas stupides. Nous n’étions pas comme ces crétins d’astronautes que l’on voit dans les films, ceux qui retient leur casque ou s’agenouillent obligeamment pour examiner de près les oeufs du monstrueux prédateur extraterrestre.

Sur la route d’Aldébaran est une lecture réjouissante grâce à son humour noir et ses références science-fictives mais également par ses inventives rencontres du troisième type. Cette novella est une occasion en or de découvrir le prolifique Adrian Tchaikovsky en format court.

Traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat.

➡️ Mes impressions

2/ Ormeshadow, Priya Sharma [UHL #29]

Nous sommes en Angleterre, à l’époque victorienne. Les Belman sont contraints de quitter la ville de Bath et ses atours raffinés pour aller vivre à la campagne dans la rustique ferme familiale, à Ormeshadow. La ferme est tenue d’une main de fer par le tyrannique Thomas, le frère de John. Alors que Gideon doit se faire à ce retournement de situation, son père lui raconte les légendes familiales selon lesquelles un membre de la famille serait le gardien d’un dragon endormi sous la falaise au pied de laquelle le village est installé.

Ormeshadow est une très belle novella qui combine subtilement la rudesse du cadre, la campagne anglaise du 19ème, la violence d’une situation familiale délétère, vécue par un enfant, et le pouvoir d’évasion de la fiction

La légende dit qu’une immense dragonne survola la baie avant de plonger da,s la mer pour s’y rafraichir. Elle remonta lentement sur le rivage et s’allongea, tête posée sur les pattes antérieures, qu’elle avait croisée sous elle. Ses naseaux crachaient de la fumée. Elle était lasse et se mouvait dans la lumière du jour comme une vipère qui prend le soleil dans la bruyère.

Traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel.

➡️Mes impressions

1/ Le livre écorné de ma vie, Lucius Shepard [UHL #32]

Thomas Cradle, écrivain à succès, tombe au gré de ses recherches sur un homonyme lui aussi écrivain. Il se procure son unique roman pour se rendre compte que cet homme lui ressemble beaucoup physiquement, biographiquement, jusque dans son style littéraire et son éditeur. Quand Cradle retourne voir la fiche Amazon du livre, elle a tout simplement disparu et toute mention du livre est introuvable sur le web.

Le livre s’appelle La forêt de thé et raconte le périple, visiblement autobiographique, de cet homonyme, en Asie du Sud-Est, le long du Mékong pour retrouver la susnommée forêt de thé qui se trouverait au cœur du delta du fleuve. Obsédé par ce texte et son auteur, Cradle décide d’entreprendre le même voyage et suivre les traces de ce double décidément bien mystérieux.

J’avais conscience d’avoir une personnalité essentiellement avide et égoïste, d’être à la fois violent et lâche, suffisamment courageux pour sauver ma peau si nécessaire mais terrifié par tout ce qui m’entourait, et je m’accommodais fort bien de cette révélation.

Le livre écorné de ma vie est sale et collant. Il sent l’eau fluviale qui a macéré trop longtemps dans son delta. Il a pour protagoniste principal un type détestable qui se démultiplie en autant de versions tout aussi détestables et qui pourrait être la part sombre de l’auteur initial de ce récit cynique et plein d’amertume. J’ai adoré.

Traduit de l’anglais  par Jean-Daniel Brèque

➡️ Mes impressions

Et vous ? Quels sont vos UHL préférés de l’année 6 ? Ceux qui vous font le plus envie ?

24 commentaires sur « Une Heure Lumière | Retour sur l’Année 6 »

  1. Sur l’année 6 mes préférés ça a été toutes les saveurs et à dos de crocodile. Il n’y a que le Kress que je n’ai pas encore lu, mais je te rejoins pour dire que c’était une bonne année question uhl 😁

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  2. Noooooooooooooooon c’est pas possible, je ne te laisserais pas me dépasser, nooooooooooooooooon !
    Plus sérieusement il m’en reste deux à lire de cette année (Symposium et Aldebaran), et à part la nouvelle du HS qui m’a laissée sur le carreau globalement j’ai tout aimé ce que j’ai lu, avec une grosse préférence pour Le livre écorné, Ormeshadow et A dos de crocodile.
    (et je pense qu’il y a un petit problème avec ta mosaïque de couvertures 😅)

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  3.  » la nouvelle du HS qui m’a laissée sur le carreau  » Ha oui ?

    « grosse préférence pour Le livre écorné, Ormeshadow et A dos de crocodile. » -> le troisième c’est parce que tu n’as pas encore lu sur la route d’Aldébaran 😏

    (damned, encore un coup du dieu-grenouille)

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  4. J’en ai lu 3 – et je serais bien en peine de les classer – qui sont dans ton top 4. Est-ce que je dois en déduire qu’il faut vraiment que je lise « Sur la route d’Aldébaran » ?
    Tu as apprécié/compris la fin de « Un château sous la mer » ? 🤔
    Vivement le recueil de Priya Sharma en tout cas ! #lobbying

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    1. Ben écoute j’en suis restée à une interprétation qui bien que ces 2 dernières pages soient un peu vagues me satisfaisait relativement, mais je n’ai pas accordé tant d’attention que ça à la fin en fait. Bref, du coup comme ça a l’air de plonger les gens dans des abymes de perplexité, j’ai fouillé un peu et suis tombée sur l’interprétation de Feyrautha sur le forum du Bélial, et j’avais pas pensé à ça mais c’est vrai que ça a au moins le mérité d’être plus clair, rapport au côté quasi onirique qui dénote avec le reste de la nouvelle qui est plutôt assez concrète. Bref, je sais pas, mais bon c’est pas grave XD

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  5. Moi j’ai adoré Ormeshadow, l’un de mes préférés depuis le début 🙂 Le Ken Liu et le Nancy Kress n’étaient pas mal mais un peu en dessous tout de même.

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    1. Je crains que cette novella ne te réconcilie pas avec l’autrice si tu n’as pas accroché à son style. Après c’est un UHL, c’est court, ça se tente si tu souhaites réessayer avec un autre texte, qui est très réussi (en tout cas j’ai trouvé, même s’il ne fait pas partie de mes préférés).

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