Fragile/s | Nicolas Martin

Fragile/s est le premier roman de Nicolas Martin. Il a été publié Au Diable Vauvert en aout 2024. Bon, si les anciens animateurs radio deviennent écrivain, moi j’arrive plus à suivre. Il fallait que je vérifie par moi-même en lisant cette dystopie qui parle du syndrome de l’X fragile, de parentalité, d’eugénisme et de l’extrême droite au pouvoir. Ca donne quoi ?

Contexte narratif

Dans Fragile/s, la fertilité mondiale est en berne : non seulement, il y a moins d’enfants qui naissent mais en plus une grande proportion naissent avec le syndrome de l’X fragile. Une réelle affection génétique qui cause un retard mental et des troubles du comportement principalement. Ha oui et accessoirement la France est tombée dans le fossé de l’extrême droite, en même temps c’était pas compliqué comme elle a déjà un pied dedans.

On y suit un couple : Tiphaine et Gautier. Le premier tiers du roman alterne les chapitres entre la naissance de leur premier enfant et celle du second. Leur aînée est un fille fragile, Madeleine. Le second est un garçon sain Nolan, issu d’un programme génétique visant à éradiquer la maladie. L’enfance de Madeleine est compliquée, très compliquée mais l’amour est le plus fort.

Du côté de chez Nolan, ça couac : le garçon est certes en bonne santé mais assez rapidement Tiphaine se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas du tout chez ce bébé, beaucoup trop avancé pour son âge mais ayant aussi vraisemblablement un petit problème de psychopathie. Personne ne la croit, on la gaslighte bien sévère, la descente aux enfers commence (et pourtant ce n’est pas piqué des vers au départ).

Je ne sais pas qui lira ces lignes. Elles présentent ce que je ressens. Ma vision, l’objectivation de ce que j’ai vécu. A cette époque, j’étais seule. Isolée. Face à un mur, à un collectif, à un groupe coordonné qui me renvoyait le même message : je suis folle – j’invente ce que je vois – je suis irresponsable – je suis dysfonctionnelle – je ne sers à rien – je dois être encadrée.

Comment voulez-vous persister à croire que vous avez raison, que vous avez aperçu quelque chose qui ne colle pas, que vous êtes victime du système, lorsque tout le système s’escrime à vous rappeler que c’est vous le problème, c’est vous qui êtes brisée.

Une lecture frénétique

Fragile/s est un thriller dystopique au rythme effréné qu’on lit fébrilement sans pouvoir s’arrêter (j’accuse ce livre d’être la cause de couchers tardifs répétés). Ce sentiment de frénésie vient :

  • de la construction du récit, en alternance entre deux temporalités à la 3è personne dans la première partie, à la première personne du point de vue de Tiphaine dans le seconde. La troisième signe un retour à la troisième personne mais aussi la présence de rapports secret défense et de séquences télévisées. 
  • de l’écriture de l’auteur très sèche, saccadée, qui ne s’embarrasse pas des descriptions de personnages ou de lieux au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Le focus est principalement centré sur l’action et les ressentis de Tiphaine.  Les phrases peuvent être courtes au point de ne pas avoir de verbe. (Exemple ci-dessous)
  • Un suspens haletant  :  le sentiment qui s’installe très rapidement c’est qu’on veut savoir WTF ce qui se passe, on veut savoir, on lit, on lit pour connaître la suite. Avec le risque encouru de ne pas être tout à fait satisfait à la résolution ; j’ai trouvé l’explication de l’intrigue eugéniste  pas bien originale mais ce n’est pas très grave, ce n’est pas le plus important.
  • Le plus important c’est qu’on est avec Tiphaine et qu’on est pris à la gorge par ce qui lui arrive. Il y a beaucoup d’injustice dans ce livre et quelques scènes trash. Je préviens.

Je me retrouve nez à nez avec Nolan lui.
Son regard.
Plongé dans le mien.
Il me fixe.
La veine sur son front.
La malice.
L’intention.
[…]

De la maternité au réarmement démographique

L’auteur aborde de plein front le sujet de la parentalité et pas par les bouts les plus consensuels. La difficulté d’élever un enfant handicapé y tient une place centrale. L’ambivalence de l’amour parental aussi et l’incompréhension et la réprobation auxquelles Tiphaine fait face quand elle essaie de pointer du doigt qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec Nolan, l’enfant sain, l’enfant parfait. On voit aussi les effets de ces épreuves sur la relation de couple qui se délite et dont le conjoint devient aussi toxique et maltraitant que l’Etat pour lequel il travaille.

Dans le monde de Fragile/s, l’extrême droite a pris le contrôle de la France. La baisse de fertilité et l' »épidémie » de X fragile est un tremplin pour faire passer des lois liberticides mais surtout fomenter des trucs vraiment très moches dans le secret le plus absolu. Des femmes disparaissent ou sont enfermées contre leur volonté. On vole leurs enfants aux immigrés avant de les enfermer. Et autres joyeusetés. Nicolas Martin revendique de prendre son inspiration du côté de La servante écarlate, que l’on retrouve jusqu’au choix du style graphique et les couleurs de la couverture. Il y a en effet de cela, mais on n’est pas face à un copy cat. L’auteur a sa voix et ses motifs propres.

L’eugénisme et la bioéthique (ou plutôt son absence) sont aussi un sujet important du roman. On sent ici que l’auteur se sert de son bagage scientifique (ça m’a un peu rappelé certains épisodes de La méthode scientifique/CQFD, ma ref en matière d’actualité scientifique). Non pas que confronté à un tel problème de santé publique, la solution serait de s’asseoir par terre et ne rien faire mais les procédés sont pour le moins douteux et la fascination pour l' »enfant sain » dangereuse. On voit où elle peut mener.

Tous les examens sont positifs. Il n’a aucun gène fragile, bien sûr. Le gène Y est sain. Pas de délétion. Il pourra se reproduire. Tous les gènes sont sains. Pas de mutation pathogène, pas de risque de maladie, pas de cancer, rien. Il n’aura pas de dents de sagesse. Il aura les yeux verts, comme son père. Les cheveux bruns, comme elle. Une pilosité modérée. Il y a de bons espoirs pour qu’il ait des facultés d’apprentissage rapide. Un petit génie. Sa taille à l’âge adulte est estimée à un mètre quatre-vingt-douze. Elle a beau chercher, fouiller au fond d’elle-même pour trouver l’affection, pour trouver le désir de cet enfant.
Mais le seule réponse qui lui parvient… c’est le silence.

En bref, Fragile/s est un thriller dystopique très page turner, au style caractéristique. Dans cette France dirigée par un gouvernement fasciste qui n’hésite pas à en venir à des extrémités insupportables pour réarmer la démographie nationale, l’histoire de Tiphaine est à la fois oppressante et glaçante.

Informations éditoriales

Roman écrit par Nicolas Martin. Publié Au Diable Vauvert. Illustration de couverture par Olivier Fontvieille. 427 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Le chien critique, Les lectures du maki, Le bibliocosme, ou signalez-vous en commentaire.

13 commentaires sur « Fragile/s | Nicolas Martin »

  1. Tes extraits viennent confirmer ce que je soupçonnais : je pense que j’adorerais l’écriture de Nicolas Martin. Le seul problème c’est que je n’ai pas du tout envie de lire ce livre, y’a absolument rien qui me parle niveau histoire/univers. Mais je ne désespère pas de lire l’auteur un jour. 😅

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  2. C’est vraiment un roman dystopique qui séduira un large public. Tout est maquetté dans ce sens avec une véritable efficacité et un rythme assez soutenu.
    Je retiendrai surtout l’approche du handicap au sein de ce roman, non pas comme sujet principal, mais comme faisant parti de la société. Une parfaite inclusion qui ouvre les esprits. Et rien que pour cela ce livre est à lire.

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  3. Merci pour cet éclairage. J’avais bien pris note de ne surtout pas le lire après avoir lu l’avis du Chien critique, et tu confirmes. Mais c’est intéressant d’avoir un deuxième avis (même si vous êtes sensiblement du même avis!).

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