Le fini des mers | Deux salles deux ambiances

Le fini des mers est une novella écrite par Gardner Dozois. Elle a été publiée en anglais en 1973. Traduite en français par Pierre-Paul Durastanti, elle a été publiée en 2018 dans la collection Une Heure Lumière du Bélial’. Je poursuis mon rattrapage de lecture de la collection avec cette quatorzième publication, la troisième de l’année 3. Quel est le rapport entre une invasion extraterrestre et le quotidien d’un gosse victime d’un système abusif ?

Une invasion extraterrestre

Le fini des mers est l’histoire d’une invasion extraterrestre. Il semble impossible de communiquer avec ces vaisseaux ovoïdes qui stagnent en suspension au-dessus du continent américain, aux US en particulier. Rien n’en sort. Rien ne semble les affecter. Les faits nous sont racontés d’un point de vue omniscient  la troisième personne, doublé d’une pointe de cynisme qui fait mal par où ça passe.

On y voit l’action ou plutôt l’inaction humaine qui a plus ou moins délégué la gestion de cette crise à des Intelligences Artificielles, plus fûtées que les humains qui les ont créées. L’accent est mis sur l’ingérence humaine, politique et médiatique. C’est froid et pessimiste, il n’y a pas grand chose de positif à tirer de cette humanité.

Un jour, ils débarquèrent, comme tout le monde l’avait prévu. Tombés d’un ciel bleu candide par une froide et belle journée de novembre, ils étaient quatre, quatre vaisseaux extraterrestres à la dérive tels les premiers flocons de la neige qui menaçait depuis déjà une semaine.
(Incipit)

Un gosse maltraité

Le fini des mers est l’histoire de Tommy Nolan, un jeune garçon débordant d’imagination, trop pour le monde désenchanté et violent dans lequel il vit.  Il s’invente des histoires et rêvasse sur le chemin de l’école, accordant peu d’attention aux contingences matérielles telles que les horaires. On apprend aussi qu’il voit et parle à des entités visibles uniquement par lui et qu’il appelle les Autres

Tommy n’a sa place nulle part. Ni à l’école ni à la maison, ni même avec ses amis. Il est battu par son père, délaissé par une mère apathique. L’environnement scolaire se révèle également très normalisant, contrôlant et abusif. Il ne semble n’y avoir rien à tirer du monde des adultes, ce qui m’a un peu évoqué Je suis ton ombre de Morgane Caussarieu et la nouvelle Le corps de Stephen King (et son adaptation Stand By me). 

Le récit est toujours à la troisième personne mais l’histoire est racontée de son point de vue. Nous sommes dans un récit qui inspire énormément d’émotions et d’empathie pour la situation de Tommy, de plus en plus isolé.

Tommy Nolan, déjà en retard d’une demi-heure pour l’école, ne se pressait pas. Il flâna le long de la petite route qui escaladait la colline située derrière la vieille scierie et regarda la fumée s’élever des cheminées des maisons en contrebas, traits de peinture noire tracés par un épais pinceau sur le ciel radieux d’un matin clair.

Un Autre lecteur

Les deux récits dont les chapitres se croisent semblent n’avoir pas grand chose en commun si ce n’est cette histoire d’extraterrestre. On pourrait croire à un raté scénaristique. Il n’en est rien. Gardner Dozois se sert de la forme de son récit pour soutenir son propos.

Les deux narrations ont peine à communiquer l’une avec l’autre tant leur ton (cynique vs inspirant l’empathie), leur point de vue (décentré vs centré sur un personnage) et leur sujet (politico-médiatique vs psycho-social) semblent déconnectés. De la même façon que Tommy et le monde des adultes ne parviennent pas à communiquer. De la même façon que le monde des humains et le monde des extraterrestres ne parviennent pas communiquer. 

Le lien entre les deux histoires doit être fait par le lecteur, qui tel un Autre extérieur à ce qui se trame mais seul à saisir les tenants et les aboutissants, ne peut qu’assister, impuissant, à un final d’un pessimisme radical. C’est terrifiant et annihilant. Ca m’a retourné le cerveau.

Dans une alternance de deux récits que tout oppose, Le fini des mers allie la forme et le fond pour nous dire les effets délétères de l’absence de communication et l’impossible compréhension de l’autre qui en découle. L’ensemble est d’un pessimisme qui glace le sang. Un grand texte estampillé Une heure Lumière, à mon humble avis.

Informations éditoriales

Novella écrite par Gardner Dozois. Publiée initialement en 1973, 2018 pour la publication en français dans la collection Une Heure Lumière au Bélial’. Traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti. Illustration de couverture par Aurélien Police. 100 pages.

Pour aller plus loin

Mes chroniques Une Heure Lumière
D’autres avis : L’épaule d’Orion, L’imaginarium électrique, Lorhkan et les mauvais genres, Les lectures de Xapur, Le Culte d’Apophis, 233°C, Nevertwhere, De l’autre côté des livres, Les lectures du maki, La bibliothèque d’Aelinel, RSF Blog, OmbreBones, Au pays des cave trolls, Navigatrice de l’Imaginaire, Sometimes a book, Les critiques de Yuyine, Les chroniques de FeyGirl, ou signalez-vous en commentaire.

31 commentaires sur « Le fini des mers | Deux salles deux ambiances »

  1. Avis fort intéressant. C’est marrant, je n’avais retenu que les vaisseaux ovoïdes des autres billets que j’ai lus – parce que ça me fait penser à Premier contact. 😉

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      1. Oui, je n’ai pas réussi à voir autre chose que ça. Mais à te lire je vois que je n’étais pas si loin de la « vérité » du texte, on pourrait presque dire qu’il a très bien fonctionné sur moi. ^^’

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    1. Mon problème avec L’étrangère c’est qu’on m’avait vendu une histoire d’amour et que je me suis retrouvée dans un récit xénoethnologique complètement sordide. Mais avec le recul, en fait, L’étrangère parle exactement du même sujet, même si en soi le roman est très différent.

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