L’homme qui mit fin à l’histoire | Ken Liu

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Impressions.

L’homme qui mit fin à l’histoire est une novella écrite par Ken Liu. Publiée dans la collection Une Heure Lumière aux éditions Le Bélial’, elle a été traduite par Pierre-Paul Durastanti. Avec ce texte, nous plongeons dans le passé et plus particulièrement dans celui de l’Unité 731, une très sombre période de l’histoire sino-japonaise.

Un documentaire

Chaque nuit, quand on sort admirer les étoiles, on baigne dans la lumière, mais aussi dans le temps.
(presqu’)Incipit.

Le titre complet de cette novella est : L’homme qui mit fin à l’histoire : un documentaire. Il est important de le souligner car cela s’en ressent dans l’écriture évidemment. Il s’agit donc de la retranscription d’interviews de personnes parlant face à la caméra. Pour nous le faire figurer, chaque chapitre (ou devrais-je dire chaque scène ?) est chapeauté par le nom de la personne qui relate ses souvenirs et impressions et une remise en contexte. Par exemple :

l'homme qui mit fin à l'histoire documentaire

La technique est astucieuse et fonctionne parfaitement. On s’imagine très bien regarder un documentaire. Ce n’est bien évidemment pas un choix anodin. Ce format, qui plus est le fait qu’il s’agisse d’un faux documentaire traitant d’un sujet bien réel, lui, est important pour renforcer les thématiques abordées.

Devoir de mémoire

La novella porte entre autre sur le problème délicat de la preuve. Ken Liu imagine un procédé qui permet de retourner dans le passé. Mais une seule et unique fois, pour une seule et unique personne. Comment fonder la preuve sur un seul et unique témoignage ? Voilà qui m’a évoqué le très bon Contact de Robert Zemeckis (1997).

On a maintenant atteint la fin de l’histoire. Nous avons, ma femme et moi, écartés les récits effectués a posteriori en offrant à tous l’occasion de voir le passé de ses propres yeux. A la place des souvenirs, nous disposons de preuves irréfutables. Au lieu d’exploiter les morts, il faut dévisager les agonisants. J’ai vu ces crimes de mes propres yeux. Et cela, vous ne pouvez pas le nier.

Pour couronner le tout, l’auteur s’attaque à un pan de l’Histoire japonaise qui a été occultée pendant de nombreuses années et qu’il est facile de prendre pour une théorie du complot tellement les faits sont effroyables et incroyables.  L’Unité 731 était une unité de recherche japonaise située dans le nord de la Chine et qui effectuait des expérimentations sur des prisonniers. Autant vous dire que certains témoignages de la novella sont durs à lire. Les Chinois n’en furent pas les seules victimes mais ils payèrent un lourd tribut.

Deux de mes amis ont amputé un homme de ses bras afin de les rattacher inversés. J’ai assisté à leur procédure, sans y participer. Je ne voyais pas l’intérêt de l’expérience.

Ken Liu fait preuve d’une extrême finesse en associant fond et forme pour aborder la question du devoir de mémoire.  Il multiplie les points de vue, du négationniste primaire au professeur d’Histoire émérite, en passant par monsieur-madame tout le monde qui ne veut pas remuer le passé ou encore des descendants de victime. Il nous laisse ensuite avec nos questions et notre propre opinion. Il n’essaie pas de réduire l’humanité a une masse indivisible qui devrait penser et agir de concert.

La vérité n’a rien d’une fleur délicate et ne souffre pas du déni : elle ne meurt qu’à partir du moment où on étouffe les vrais histoires.

L’homme qui mit fin à l’Histoire : un documentaire est une novella d’une extrême finesse qui se sert de sa forme (le format documentaire) pour soutenir son sujet (un questionnement panoramique sur le devoir de mémoire, prenant appui sur l’Unité 731). L’auteur mise sur l’intelligence du lecteur pour se faire sa propre opinion et c’est très appréciable.

Informations éditoriales.

Novella écrite par Ken Liu. 6ème texte de la collection Une Heure Lumière (Le Bélial’) publié en 2016. Traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti. Titre original : The Man Who Ended History : A Documentary. Illustration de couverture par Aurélien Police. 107 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Lorhkan et les mauvais genres, Nevertwhere, L’épaule d’Orion, Blog-o-livre, Albédo, L’ours inculte, Les lectures de Shaya, Le chien critique, Les critiques de Yuyine, Welcome to Nebalia, Les lectures de Xapur, Un papillon dans la Lune, Les Chroniques du chroniqueur, 233°C, Quoi de neuf sur ma pile, Le Bibliocosme, Les lectures du Maki, Au pays des caves trolls, Navigatrice de l’imaginaire, ou signalez-vous en commentaire.

The maki project

25 commentaires sur « L’homme qui mit fin à l’histoire | Ken Liu »

  1. Je connaissais un peu de cette histoire sino-japonaise (il fait que je retrouve un film qui en parle aussi) et les « complicités » externes qu’il y a eu dans ces expérimentations. C’est assez fascinant de voir l’évolution du japon de Meiji qui aboutit petit à petit à une sanglante dictature militaire. Je m’égare…mais cet ouvrage m’intéresse au moment où je suis hésitant sur le devenir de ma PaL.

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  2. Le terme de documentaire est en effet important, tant cette novella est quasiment un essai plus qu’un « vrai » récit de SF. Et pour le coup ce n’est pas un reproche, tant ça semble être exactement ce qu’il faut pour traiter le sujet. Vraiment du bel ouvrage de la part de Ken Liu.

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    1. Certes mais je trouve aussi que ça rentre en concordance avec la thématique de la preuve. C’est un documentaire, mais un documentaire fictif, qui parle de faits réels. Et dedans il y a une sérieuse interrogation sur la technique utilisée, qui, il faut le dire, n’est pas du tout à l’épreuve de la méthode scientifique puisque d’une part elle ne peut pas être reproduite, d’autre part l’observation est fait par une seule personne qui n’est même pas une scientifique. Bref c’est le genre de concordance/mise en abyme que j’adore. C’est d’une finesse ! (un peu le contraire de cadavre exquis tiens :p)

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  3. Un texte très réussi et marquant, oui. Ken Lieu est décidément un écrivan à suivre. (Même si, dans le recueil que j’ai lu, j’ai préféré The Paper Menagerie, que j’ai trouvée encore plus réussie et marquante, dans un genre tout à fait différent. Je dirais même « dans un genre si différent qu’il prouve bien que l’auteur est à suivre ». C’est le grand écart ces deux textes. C’est d’autant plus frappant quand tu les lis dans le même volume.)

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    1. Oui. Il faudrait d’ailleurs que je relise la ménagerie de papier (le recueil) je l’avais lu un peu vite je pense, il ne m’en reste pas grand chose.

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  4. Ta chronique me donne envie de la relire, je crois que j’étais passée un peu à côté à l’époque où je l’ai lue, je ne me souviens que de scènes assez atroces au final (avec des bras gelés…) qui ont du coup un peu occulté le reste…

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  5. Beaucoup aimé ce texte aussi. Bel exercice sur un sujet très difficile, l’auteur touche vraiment bien du doigt les questions de mémoire et d’histoire. Je crois que c’est des rares livres à m’avoir fait pleuré dernièrement.

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  6. J’ai appris l’existence de cette unité 731 en lisant cette novella. Sujet percutant. Heureusement qu’il existe de tels auteurs pour rappeler certains évènements, aussi horribles soient ils.
    Je relirai du Ken Liu, c’est certain.

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