Le chien du forgeron | On l’appelait Cuchulainn, le chien du forgeron

le chien du forgeron

Le chien du forgeron est un roman écrit par Camille Leboulanger. Publié chez Argyll éditions en 2021, il déconstruit le mythe du héros celte, le Chien du Forgeron, dit Cuchulainn. On part pour la Terre d’Ulaid, au temps du roi Conchobar, là où « les collines de là-bas ont les mêmes couleurs qu’ici ». Je vous touche quelques mots de cette lecture que j’ai beaucoup appréciée.

D’histoire en histoire, en cycles de légendes

Setanta est le fils de Sualtam, bien que sa mère affirme qu’il soit celui du dieu Lug. Dévoré d’ambition dès son plus jeune âge, il n’aura de cesse dans sa vie de devenir « le plus grand des guerriers que cette terre ait porté ». Rebaptisé Cuchulainn aka le Chien du forgeron, en guise de punition pour avoir tué le chien de Chulainn, il se réapproprie ce sobriquet en tuant un sanglier à mains nues. A 7 ans. Ce nom ne le quittera plus. Le mythe est lancé.

L’histoire du chien nous est contée par un narrateur intradiégétique et homodiégétique, c’est-à-dire qu’il est lui-même un personnage de l’histoire qu’il raconte. Un vieux barde qui conte le récit à un auditoire masculin, en s’adressant régulièrement à lui pour faire des commentaires sur la difficulté qu’on aura à le croire. Parce que notre narrateur a un autre son de cloche à nous faire entendre : l’histoire du Chien a de sérieuses parts d’ombre

Vous qui riez, gardez à l’esprit que la vie du Chien dépendit autant de l’humiliation que son épouse infligea à Sualtam que des puissantes colères de son oncle ou du ressentiment de sa mère. Il faut tout ces émotions-là pour faire un homme : la honte, la rage, la rancune. Le Chien incarna fort bien les trois qualités que ces sentiments enfantent. Il fut orgueilleux, irascible et querelleur.

Devenir héros de guerre, mourir, avoir son nom dans les écrits

Ce que Camille Leboulanger nous offre avec Le chien du forgeron c’est une relecture du mythe de Cuchulainn, que dis-je, une déconstruction en règle du mythe examiné par le prisme de la masculinité toxique. L’auteur s’attarde sur comment un environnement patriarcal glorifiant l’honneur et les faits d’armes et asservissant les femmes a créé un Cuchulainn brutal, grossier, alcoolique et arrogant. Les « hauts-faits » du Chien seront ainsi réévalués à l’aune de sa beauferie et de sa violence, dans une société où l’honneur prime sur absolument tout, poussant le personnage dans des retranchements hyper premier degré qui tournent au drame. 

Il y a une forme d’inéctulabilité toute zolienne dans le propos de ce roman. Tant de fois le Chien aurait pu changer de voie, mais aucune leçon n’a pu être apprise. Le héros de guerre est avant tout un homme pathétique et seul, aliéné à sa condition, dans laquelle il s’est jeté à bras-raccourcis.

Le Chien est également problématique dans son rapport aux femmes. Je retiendrai particulièrement la figure d’Emer qui fera l’objet de la convoitise du Chien et dont la situation m’a évoquée celle de Marguerite de Carrouges du Dernier Duel : elle n’en veut absolument pas, déteste cet homme frustre et grossier ; lui a de la merde dans les yeux et ne voit que ce qui l’arrange, tel un Le Gris qui s’imagine être désiré par Marguerite.

L’esprit des hommes ne manque jamais d’invention pour tourner ce qu’il voit à son avantage. S’il est suffisamment fort et obstiné, il peut même faire advenir ce qu’il imagine.

Le chemin de sa destinée était d’entrer dans la légende

Le tour de force de Camille Leboulanger est de nous rendre ce roman passionnant alors même que son personnage principal est détestable. La narration est incroyablement prenante : pas une étape de la vie du Chien n’est ennuyeuse ni ne ménage son suspens et ce, bien qu’on l’on sache dès le départ que rien ne détournera le Chien du destin qu’il s’est choisi.

L’écriture est quant à elle captivante, jouant avec les codes de la tradition orale, avec ce narrateur qui interpelle régulièrement son auditoire mais qui est aussi un personnage secondaire de l’histoire du Chien.

Seul, le Chien n’aurait pas été le Chien, pas davantage que je suis moi et que vous êtes vous. Nous ne sommes que ce que les autres ont fait de nous, qu’ils l’aient voulu ou non. Voilà la leçon véritable de l’histoire du Chien, et de toutes les histoires. Je vous la dis maintenant, bien que je sache que, lorsque je toucherai à la fin de mon récit, vous l’aurez tous oubliée. Ses gloires et ses faits d’armes l’éclipseront.

Le chien du forgeron raconte avec brio une autre version du célèbre mythe celte dans laquelle Cuchulainn foire sa vie dans les grandes largeurs en se comportant comme un connard bouffi d’orgueil, à la fois victime tragique et funeste représentant d’une masculinité toxique qui gangrène les rapports entre les êtres. L’ensemble est rendu captivant par la grâce de l’écriture de l’auteur, Camille Leboulanger.

Informations éditoriales

Roman écrit par Camille Leboulanger. Publié aux éditions Argyll en 2021. Illustration de couverture par Xavier Colette. 250 pages.

Pour aller plus loin

Interview de Camille Leboulanger sur Le chien du forgeron et autres sujets. (où l’on apprend entre autre que l’auteur apprécie beaucoup Zola)
D’autres avis : Cat(s) books and rock’n roll, Le bibliocosme (Boudicca, Dionysos), Lorhkan et les mauvais genres, Au pays des cave trolls, Le nocher des livres, Les chroniques du chroniqueur, Les critiques de Yuyine, Les lectures de Shaya, RSF Blog, ou signalez-vous en commentaire.

27 commentaires sur « Le chien du forgeron | On l’appelait Cuchulainn, le chien du forgeron »

  1. « Rebaptisé Cuchulainn (…), en guise de punition pour avoir tué le chien de Chulainn » : pourtant tout commençait assez bien, ça restait raisonnable comme punition, on a vu pire dans les mythologies. 😅
    J’avais peur avant d’en lire des avis que l’aspect réécriture fonctionne moins bien du fait de ne pas connaître le personnage de base, mais ça a l’air d’être juste un très bon roman. Que je lirai donc sûrement un jour.

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    1. Faut voir comment l’humiliation de cette punition est mise en scène, le degré de raisonnabilité est relatif.
      En fait, je n’en ai pas parlé dans ma chronique, un oubli qui est à mon avis significatif, parce qu’on s’en fiche un peu en effet. Si tu connais tu vas faire les liens avec la « vraie » histoire, mais le roman se tient vraiment très bien tout seul. Et c’est un livre très moderne. Je pense que ça peut te plaire.

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  2. Génial! Je suis ravie que tu aies aimé. Je l’espérais, ça me semblait probable, mais on ne sait jamais…
    Moi aussi, j’ai pensé au Dernier Duel. Le parallèle est vraiment évident.
    Vive Manau!! Je vois cette chanson d’un autre œil (ou bien je l’écoute d’une autre oreille!), maintenant. Et en voulant la réécouter, car diverses phrases de ce billet me l’ont rappelée (j’ai vu, j’ai vu 👀), j’ai tapé « chien du forgeron » dans Deezer et découvert ceci: https://www.deezer.com/fr/album/252046092 Pour l’instant, ça ne me semble pas hyper adapté au roman, mais ce n’est pas désagréable à écouter!

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        1. Bein, le premier morceau était bizarre dans le contexte du roman, mais pas désagréable, et puis l’ensemble n’était pas très long, ça valait le coup d’écouter jusqu’au bout. Et je pense que c’est le même état d’esprit qui me pousse à lire un livre jusqu’au bout, même si je n’accroche pas. ^^ (Enfin, hier soir, j’ai aussi tenté Féminazgul, dont Yuyine a parlé dans une chronique, et je n’ai tenu que deux morceaux, vu que ce n’est pas du tout mon genre de musique. Donc je ne m’obstine quand même pas quand je déteste. ^^)

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  3. Ce livre a bénéficié d’une sacrée pub avant et après sa sortie, je l’ai vu partout sur les R.S.
    Je pense que je le lirai à sa sortie en poche ou en e-book. Tentée par l’histoire (je ne connais pas le mythe de base), le personnage (même si détestable).
    Encore une fois, merci de ton retour 🙂

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