Des nouvelles de Bifrost #110 | Ken Liu, Ian R. MacLeod, Olivier Caruso, Alastair Reynolds

Ce 110 ème Bifrost publié en avril2023 par les éditions du Bélial propose un dossier sur Alastair Reynolds. Je m’intéresserai dans les présentes impressions aux 4 nouvelles qui ouvrent la revue, à savoir : Idoles de Ken Liu, Bien-aimé de Ian R. Macleod, L’avertissement d’Olivier Caruso et Bleu Zima d’Alastair Reynolds..  C’est parti…

Idoles de Ken Liu

Les idoles sont des entités numériques construites à partir de données personnelles, tout ce à quoi on pourra avoir accès pour reproduire une version numérique de la personne en question. Il est possible d’interagir et d’avoir une relation suivie avec elle. Cette technologie, au départ cantonnée aux célébrités qui veulent offrir une part d’intimité, être plus proches de leurs fans, a à présent envahi toutes les sphères de la société. Dans ce cadre-là, on suit un couple.

L’homme a grandi sans son père et quand il l’a retrouvé, il était mort. A partir des données que la famille de son père a partagé avec lui, il a construit une idole avec qui il converse tous les vendredis.

La femme est avocate. Les idoles sont omniprésentes dans les procès. On conçoit des idoles des prétendants jurés pour les écarter ou les sélectionner. Mais surtout, on s’en sert pour trouver les faiblesses de ses adversaires.

Ce texte est d’une grande finesse et d’une grande précision, dans la description des personnages et de leurs émotions mais aussi dans la description de cette technologie et ses usages dans la société. Il est très réaliste. Je veux dire, on pourrait réellement croire que ce monde existe, qu’il pourrait être notre futur, une extrapolation poussée de la puissance des algorithmes.

Je n’ai jamais rencontré mon père, et il n’y a aucun risque que ça change.

Parution initiale en 2020. Traduit de l’américain par Pierre-Paul Durastanti. Titre original : Idols.

Bien-aimé de Ian R. Macleod

24 heures dans la vie d’une prostituée qui gagne sa vie en échangeant son corps avec celui de ses clients. Parfois le client veut qu’elle le frappe alors qu’il est dans son corps à elle.

C’est over malsain cette nouvelle et quelle claque. En tout juste 9 pages, le texte m’a complètement chamboulée. C’est sordide et triste.

Le texte est écrit à la deuxième personne du singulier, vu par les yeux de la femme. Ca fait tellement sens par rapport à l’échange de corps. Pendant ces 9 pages, on est elle et sa douleur et en même temps extérieur. Je n’ai pas compris par contre pourquoi les phrases de fin de paragraphe n’ont pas de point.

Il existe un endroit pareil dans toutes les villes. Plus loin que tous les autres endroits, avec ses longues rues étirées entre nulle-part. La nuit y règne pour l’essentiel : des lambeaux d’obscurité assombrissent les venelles même en plein midi. C’est pourtant là que tu gagnes et joues ta vie.
(incipit)

Parution initiale en 1990. Traduit de l’anglais par Michelle Charrier. Titre original : Well-Loved.

L’avertissement d’Olivier Caruso

Dans une société de contrôle, les gens qui ont une haute potentialité de commettre un meurtre (comment fait-on pour le savoir ? Encore un coup des algorithmes) reçoivent des versements d’argent tant qu’ils ne passent pas à l’acte. Giorno reçoit l’Avertissement fatidique. Il ne comprend pas pourquoi : il n’a pas du tout le profil ni la moindre intention de tuer qui que se soit. Alors il se met à paniquer et à paranoïser (en même temps, il y a de quoi).

Clémentine, quant à elle, cherche à maximiser son potentiel psychopathique pour recevoir le dit Avertissement et surtout l’argent qui l’accompagne.

Olivier Caruso offre un texte glaçant qui explore les effets d’une technologie algorithmique de contrôle social des individus, essentiellement pour le pire.

Tadin-tading fait un message sur son portable au moment où il enfonce la clé de la serrure dans la boîte aux lettres.
Giorno se fige. Il sait avant même de voir l’enveloppe. Ses yeux plongent dans l’obscurité que découvre la porte de métal. Il secoue la tête doucement, consciemment, comme si ce petit geste pouvait anéantir le papier.
Il ne comprend pas. Il tente de reprendre son souffle, il n’y arrive pas. Une pointe acide lui brûle l’arrière de la gorge. Ses doigts tremblent.
Il referme le battant. Voilà, bonne idée. Ce qui est dans la boîte noire reste dans la boîte noire.
(incipit)

Bleu Zima d’Alastair Reynolds.

Zima est un grand artiste qui se produit aux quatre coins de la galaxie. Sa particularité ? Le bleu Zima dont il orne toutes ses œuvres, jusqu’à l’obsession. Carrie Clay est journaliste et elle est invitée à interviewer l’artiste

Cette nouvelle remarquable a été adaptée de façon non moins remarquable dans un épisode de la saison 1 de la série Love Death + Robots, que j’avais déjà vu. Je connaissais donc déjà la chute, mais ça ne change rien à la beauté et à l’intérêt de cette nouvelle, d’une grande poésie qui parle du sens de la vie, d’intelligence artificielle, de piscine, de l’obsession d’un artiste avec une très grande humanité .

Au bout d’une semaine, les gens ont commencé à quitter l’île. Les gradins autour de la piscine se sont vidés peu à peu. Les immenses vaisseaux touristiques sont repartis vers l’espace interstellaire. Les passionnés d’arts, commentateurs et critiques, ont fait leurs valises à Venise. Leur déception planait au-dessus du lagon comme un miasme.
(incipit)

Parution initiale en 2005. Traduit de l’anglais par Laurent Queyssi. Titre original : Zima Blue.

Informations éditoriales

Revue publiée en avril 2023 par les éditions Le Bélial’. Illustration de couverture par Manchu. 192 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Les lectures du makiL’épaule d’OrionAu pays des cave trolls, ou signalez-vous en commentaire.

19 commentaires sur « Des nouvelles de Bifrost #110 | Ken Liu, Ian R. MacLeod, Olivier Caruso, Alastair Reynolds »

  1. « on pourrait réellement croire que ce monde existe » : c’est presque étonnant que personne n’ait encore mis ça en place à grande échelle en fait.
    Je suis rarement attiré par les textes d’Olivier Caruso mais je trouve le pitch de « L’Avertissement » vraiment malin.

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        1. Oui, dans un futur proche, je ne sais pas, technologiquement, on est loin du compte tout de même, j’ai l’impression.
          (je ne sais pas pourquoi j’ai mis un ? à la fin de ma phrase sur le texte de Caruso)

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  2. « Parution initiale en 1190 »: Un voyageur temporel, ce Mcleod !
    J’ai vu récemment l’adaptation de Bleu Zima et je sens que j’aurais dû le lire au préalable vu le potentiel émotionnel un peu contenu que j’ai ressenti dans ce court métrage.

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    1. Je n’ai pas répondu à la seconde partie de ton commentaire : je me suis posée la même question que toi à ma lecture, mais l’adaptation étant très bonne, je ne crois pas qu’il faille avoir trop de regret.

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  3. Il y a un thème « algorithme », c’est ça? Tout a l’air de qualité, c’est génial. Et c’est marrant de retrouver un texte adapté dans Love Death + Robots. ^^

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  4. Je crois que c’est la première fois que j’ai lu les 4 nouvelles d’un Bifrost ^^
    Et j’ai les mêmes impressions que toi.
    Bien-aimé est glauque à souhait, comme je ne les aime pas ^^’
    Bleu Zima est vraiment belle, il faudrait que je regarde son adaptation.

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