Les meurtres de Molly Southbourne | Horreur corporelle

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Les meurtres de Molly Southbourne est une novella écrite par Tade Thompson et publiée en 2019 dans la collection Une Heure Lumière. Je poursuis mon rattrapage de lecture de la collection avec cette 18ème publication, la seconde de l’année 4. En commençant ce texte, je ne savais pas trop dans quoi je mettais les pieds, il s’avère qu’il est allé rejoindre direct ma short list d’UHL préférés

Quand le sang régit ta vie

Si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bats-toi.
Ne saigne pas.
Si tu saignes, une compresse, du feu, du détergent.
Si tu trouves un trou, va chercher tes parents.

La vie de Molly aurait pu être celle d’une petite fille normale, si ce n’était cette maladie étrange qui régit son quotidien de façon très éprouvante et violente. Elle doit apprendre à se battre alors qu’elle n’est qu’une enfant. Si elle ne suit pas ces règles, elle risque d’y laisser la vie.

Ce qui frappe en premier lieu quand on lit Les meurtres de Molly Southbourne, c’est l’efficacité et la concision du style. C’est direct, assez clinique. Avec pour effet d’une part d’amplifier le malaise et d’autre part de rendre le livre inlâchable. Heureusement, il est court, il se lit d’une traite.

Menstruations & rapport au corps

On est dans le registre du thriller horrifique, au rythme rapide. A ce stade, on en a déjà pour son argent. Mais ce qui m’a azimutée c’est l‘immensité du sous-texte. Bien évidemment, on peut y voir une métaphore de la maladie en général, sous un emballage horrifique qui permet d’en accentuer les caractéristiques. D’ailleurs Molly cache son affection aux yeux des autres derrière l’hémophilie, qui a la même solution pour des conséquences bien différentes : ne pas saigner. Difficile quand on est une femme bien sûr.

Quand on commence le livre, Molly est enfant, mais dès qu’on comprend la teneur de son problème, la question est immédiate : comment elle va faire quand elle aura ses règles ? Le double sens du mot « règles » en français, forcément involontaire puisque le texte a été écrit en anglais, rend l’ensemble encore plus prégnant. Je m’en suis rendue compte en relisant la citation ci-dessous qui, sortie de son contexte, peut indifféremment parler des unes ou des autres et fonctionner comme tel (en l’occurrence on parle bien des règles-rules) :

Les prisons se construisent avec les pierres de la Loi. Blake. Molly pense être dans une prison construite avec ses règles.

Cet aparté menstruel me permet de continuer à dérouler mon propos. De la maladie on peut dériver sur tout type de conflit qui peut opposer un individu et son corps. De ce que le corps nous impose dans ses limitations, dans ses manifestations qu’elles soient normales ou liées à une maladie ou un état modifié.

Les règles sont un très bon exemple en ce qui me concerne : une manifestation physique pénible dans ses arrangements avec le quotidien (avez-vous déjà monté à cheval avec une serviette hygiénique ?), douloureuse (j’ai des visions de mon moi ado collée au radiateur de ma chambre pour tenter de gérer des sueurs froides incontrôlables en attendant que l’Ibuprofen fasse son office) et à l’utilité contestable, que je me suis empressée de contrôler avec la pilule dès que j’ai pu. 

Mais aussi de ce qu’on impose à nos corps : le non respect des signaux qu’il nous envoie (perso je suis la spécialiste de cette technique, générant mes cohortes de « mollys » – métaphoriques bien sûr – en conséquence) ou ce qu’on lui inflige comme souffrances plus ou moins violentes, souvent pour des raisons sociétales (la question de l’épilation est brièvement évoquée dans la novella).

A mesure qu’elle découpe des cadavres sur la table d’autopsie, elle se rend compte que la vie n’a aucun sens.

De l’impermanence de l’identité

On peut aller plus loin en évoquant la question de l’identité. Parce que Les meurtres de Molly Southbourne est aussi une novella d’apprentissage. Tade Thompson donne le ton avec une fausse citation en épigraphe, par un auteur fictif dont il se sert occasionnellement dans ses textes, Theophilus Roshodan :

A chaque échec, à chaque insulte, à chaque blessure de la psyché, nous sommes recréés. Ce nouveau soi, nous devons le combattre chaque jour ou affronter l’extinction de l’esprit.

Voilà qui a, de nouveau, une résonnance très forte avec ma propre identité. Je parle souvent de mon « moi du passé » comme d’une entité différente de moi. Souvent j’ai l’impression que j’ai tellement changé que le moi de telle époque et mon moi actuel ne sont plus les mêmes. Mindblowing vu la teneur du texte.

Une explication science-fictive est donné dans la dernière partie de la novella. Elle est assez peu développée, voire même dispensable, mais je suppose que cela promet des développements intéressants pour la suite, puisque qu’un deuxième volet est déjà sorti, La survie de Molly Southbourne, et que 2 autres semblent prévus. Je suis vraiment très curieuse de ce que cela peut donner, même si la novella tient très bien toute seule.

En fin de volume, une passionnante interview de l’auteur donne des informations sur ses intentions, sur sa façon de percevoir le genre horrifique en général et le « body horror » en particulier (dont Molly Southbourne peut se revendiquer).

Les meurtres de Molly Southborne est un thriller horrifique au style clinique et concis qui se lit d’une traite. Mais c’est aussi un texte qui propose de nombreux sous-textes et interprétations sur le rapport au corps et le rapport à l’identité et d’autres choses encore selon votre perspective personnelle, certainement. Dans tous les cas, ce texte m’a complètement mindblowée et prise aux tripes tant il vient titiller des questions pertinentes pour moi.

Informations éditoriales

Novella écrite par Tade Thompson. Publié pour la première fois en 2017. 2019 pour la traduction française dans la collection Une Heure Lumière aux éditions Le Bélial’. Titre original : The Murders of Molly Southbourne. Traduit par Jean-Daniel Brèque. Illustration de couverture par Aurélien Police. 126 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : La bibliothèque d’Aelinel, L’épaule d’Orion, Quoi de neuf sur ma pile ?, Sometimes a book, Le culte d’Apophis, Au pays des cave trolls, L’ours inculte, Les notes d’Anouchka, Lorhkan et les mauvais genres, Chut maman lit, Les lectures de Xapur, Le chien critique, Les critiques de yuyine, Le bibliocosme, Albédo, Ombre bones, Le monde d’Elhyandra, Touchez mon blog monseigneur, L’imaginareum de Symphonie, Les chroniques du chroniqueur, Nevertwhere, Les lectures du maki, 233°C, Navigatrice de l’imaginaire, ou signalez-vous en commentaire.

34 commentaires sur « Les meurtres de Molly Southbourne | Horreur corporelle »

  1. Belle chronique. Ça a certainement une résonnance encore plus grande en tant que lectrice, tout en ayant des implications universelles. Et en étant effectivement très efficace, même moi je l’ai dévoré, alors qu’à « thriller horrifique » je ne faisais pas le fier. 😅

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      1. Ce n’était pas grave, mais merci pour l’ajout. ^^
        Ah mais oui pour ton commentaire chez moi, j’ai oublié de le mentionner : tu vois que tu n’es pas si en retard finalement, pas sur tout en tout cas. =P

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  2. Génial! Il a l’air super ce bouquin, il faudra que je le cherche en VO un jour.
    « avez-vous déjà monté à cheval avec une serviette hygiénique ? » –> Oui, hélas 😅

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  3. J’ai adoré aussi et je trouve ton analyse très pertinente, notamment sur le rapport au corps. Le sous-texte de la suite est un peu moins développé selon moi mais ça reste une bonne nouvelle 🙂

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  4. Ah mais elle est trOp bien ta chronique. Mais bien vu le métatexte avec à l’appui cette citation si bien choisie pour en révéler la portée. Elle me saute aux yeux maintenants.
    (punaise j’ai envie de le relire là, voilà)

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      1. Non, celle avec « Molly pense être dans une prison construite avec ses règles » : pouf le métatexte qui explose dans mon cerveau ^^ Très bon, très bon!

        (pourquoi j’ai mis un s à maintenant??? pt’être j’en ai vécu plusieurs…ahah)

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