Le pays sans lune | Décrocher la Lune

Le pays sans lune est un roman de fantasy one-shot écrit par Simon Jimenez. Publié en 2023 en français aux éditions Nouveaux Millénaires, il a été traduit par Patrick Dechesne. Je vous donne rendez-vous dans le théâtre inversé pour suivre la folle équipée de Keema et Jun à travers le Vieux Pays, en compagnie d’une déesse parcheminée très puissante, une créature tortuesque  nommée Malfaçon et un oiseau violet.

Contexte narratif

Une divinité millénaire retenue prisonnière par l’Empereur s’échappe du Palais, à l’aide de Jun, fils de la Première Terreur, l’un des trois redoutables fils de l’Empereur. Le pays raconte l’histoire de cette fuite et des derniers jours de l’Empire de la Lune. En chemin, Jun fera des rencontres et plus particulièrement celle de Keema à qui il manque un bras ce qui en fait une sorte de paria.

L’histoire nous est contée au travers des souvenirs d’un homme qui, me semble-t-il, n’est jamais nommé. Il vit dans le même monde mais beaucoup plus tard (technologiquement plus proche de nous). C’est la guerre dans son pays. Il se souvient des histoires que lui racontait sa « lola« . En particulier de celle-ci, qui implique une lance et qui ressemble à la lance au-dessus de la cheminée de la maison familiale. 

Le théâtre inversé auquel on accède par les rêves permet de lier les mondes et les époques, un lieu onirique où se racontent les histoires.

« Cette histoire est pour toi », a-t-elle dit.
[…]
« Alors, laisse faire le corps qui rêve. »

La réhabilitation des lectures obligatoires

J’ai lu ce roman car il est nominé pour le Prix Planète SF 2023. Autant vous dire qu’il aurait eu bien peu de chance de tomber entre mes mains si ce n’était. J’envisageais plutôt de découvrir Simon Jimenez avec Cantique pour les étoiles sorti il y a deux ans, tout simplement car il s’agit de science-fiction.

Je lis peu de fantasy car j’en suis lassée. Notez que je n’en ai pas lu tant que ça au final, mais les tropes fantasystes  ont un peu tendance à me sauter au visage. Alors je sélectionne beaucoup ce que je lis dans ce genre. Le dernier en date qui a su remporter mon adhésion sans limite ? Le cycle de la Tour de Garde, de Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian (chronique du premier tome). Ici ce n’est pas ma sélection mais il faut avouer que mes co-jurés ont fait preuve d’un goût certain (pas comme avec La nuit du faune qui fut un supplice à lire)(oh on me souffle dans l’oreillette que c’était le choix des votes, l’honneur est sauf). J’ai donc beaucoup aimé ce livre et , trêve de blablas, je vais vous dire pourquoi.

Un procédé narratif original

Commençons par le mode narratif, tout à fait original. Le texte est écrit à la deuxième personne du singulier. Ce « tu » est l’homme non nommé qui se souvient. Je dirais qu’il se parle à lui-même.

Tu te souviens de ta lola, en train de fumer. Tu te souviens de l’odeur de son tabac séché, qui ressemblait au foin après l’orage. Le doux froissement du papier à rouler. Le frottement de l’allumette, qu’elle grattait parfois contre la peau de lézard de sa jambe, pour t’impressionner. Tu te souviens de ce rituel.
(incipit)

Le style est très prenant mais mon manque de connaissances m’empêchent de la qualifier. Mais en bref, c’est bien écrit. Parfois des phrases sont surlignées en gras et écrites à la première personne. Ce sont les pensées des personnages dont il est question à ce moment. Il s’agit donc d’une première personne constamment évolutive puisqu’on rencontre beaucoup de personnages.

Il faut avouer qu’au début j’ai dû m’accrocher. D’ailleurs, j’ai dû m’y reprendre à deux fois pour parvenir à m’immerger dans le roman. Mais au final le procédé devient naturel et on se laisse emporter par le récit.

Les gens dansaient pour la terre, et la terre riait, se gonflait et offrait des récoltes toujours plus abondantes. Nous l’appelions de Rameau Bat la Terre. Ils dansaient pour les rivières et les poissons,  et les poissons sautaient dans les filets tendus. Le Printemps Remplit nos Paniers. Ils dansaient pour que le ciel apporte la pluie pour l’herbe et le tonnerre quand le feu était nécessaire. […]

Une histoire classique mais prenante

Le Pays sans lune est avant tout le récit d’un périple avec des rebondissements, des rencontres positives ou négatives. Un voyage qui rapproche des êtres qui ne se connaissaient pas et qui éloigne des proches. Un voyage dangereux qui change la donne. Un voyage pour découvrir ce qui fait le Pays sans lune et surtout ce qui le défait. Une thématique classique de la fantasy, somme toute. Mais l’emballage narratif et le worldbuilding ont suffit à donner de l’ampleur à ce récit qui se révèle prenant et bourré d’enjeux.

L’histoire est aussi soutenue par des personnages très forts. Keema et Jun bien sûr au premier chef. La déesse. La première Terreur. La deuxième Terreur (brr, encore pire que la Première). Malfaçon la tortue, Araya la commandante de la Porte du Tigre. Tous n’en sortiront pas vivants. Certains personnages ont une destinée particulièrement poignante, je pense à celle de Malfaçon qui m’a crevé le cœur ou à celle d’Araya non moins émouvante.

Des gens sont morts pour que nous puissions vivre. D autres ont souffert pour que nous puissions prospérer. C est ainsi que va le monde. Croire le contraire, c’est ne jamais grandir.

Si le début du Pays sans Lune (plus particulièrement la partie « Avant » s’avère ardu de part le style et la complexité du worldbuilding, il vaut clairement la peine de s’accrocher. Quand le chariot est lancé, on ne peut plus l’arrêter (pas même une porte fermée) et on se retrouve au final avec un roman très rythmé, très fin dans son rapport aux personnages, originalement écrit et dans ses enjeux. Un récit qui fait la part belle aux histoires qui passent le temps et ça, ça me parle.

Informations éditoriales

Roman écrit par Simon Jimenez. Publié initialement en 2022. 2023 pour la publication française. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Dechesne Titre original : The Spear Cuts Through Water . Illustration de couverture : création Studio J’ai Lu d’après Shutterstock / Mykhailo Skop, kyuandzo. 458 pages en numérique.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Lorhkan et les mauvais genres, Reflets de mes lectures, La grande bibliothèque d’Anudar, Quoi de neuf sur ma pile, RSF blog, ou signalez-vous en commentaire.

23 commentaires sur « Le pays sans lune | Décrocher la Lune »

  1. On était à deux doigts d’avoir « Viser la lune ne lui fait pas peur » en titre, heureusement que c’était trop long.
    Lorhkan m’avait déjà convaincu que c’était un livre à part qui méritait le coup d’oeil, tu le confirmes. Je note de m’accrocher au début, en le sachant ça devrait bien se passer.

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