La maison aux pattes de poulet | « Eteignez les lampions… »

La maison aux pattes de poulet est le premier roman de l’autrice et poétesse américaine GennaRose Nethercott. Il a été publié en français chez Albin Michel Imaginaire début 2024 dans une traduction d‘Anne-Sylvie Homassel. Quel est donc ce roman au titre intrigant ? C’est ce que nous allons découvrir ensemble…

Un héritage sur pattes

Bellatine et Isaac Yaga sont frère et sœur. Ils ne se sont pas vus depuis plusieurs années mais se retrouvent pour aller récupérer l’héritage de leur arrière-grand-mère. La surprise est totale : l’héritage en question n’est autre qu’une maison dotée de pattes de poulet, douée de conscience et capable de se déplacer. Le frère parvient à convaincre sa sœur de monter un spectacle de marionnettes itinérant comme leurs parents au temps de leur enfance sauf qu’ils se déplaceraient grâce à la maison. Les voilà bientôt partis sur les routes des Etats-Unis. Mais qui est cet Ombrelongue qui les pourchasse en semant meurtres et violence sur son passage ?

« Je ne suis plus marionnettiste. » Tu n’arrêtes pas de répéter ça.
-Disons que si je le répète assez, tu finiras peut-être par comprendre ? Ou ta tignasse fait-elle écran ?
-Le cheveu, ma chérie, c’est un miracle du monde moderne. Il peut capter des signaux radio à près de cinquante kilomètres.
-Ah, c’est de la que vient ton idée à la con. Tu dois avoir la tête pleine de bruit blanc.

Entre folklore et histoire

Si cette histoire se passe aux US de nos jours, elle trouve son origine et son inspiration dans le folklore slave et plus particulièrement la figure de Baba Yaga. Baba Yaga est un personnage ambigu racontée aux travers de tas d’histoires souvent contradictoires. En effet, dans les unes, elle est une ravisseuse d’enfants, dans d’autres la gardienne des morts ou alors  prodigue des cadeaux à un héros. Des éléments centraux de son environnement sont l’isba aux pattes de poule et le four dans la maison.  Les contes de Baba Yaga sont mille histoires racontées de mille façons et GennaRose Nethercotte apporte sa pierre à l’édifice en lui donnant une dimension contemporaine puisqu’elle va s’intéresser aux descendants de la sorcière , qui héritent de sa maison livrée par bateau depuis l’Ukraine.

Mais si ce nouvel éclairage de la figure mythique qu’est Baba Yaga occupe une part centrale du récit c’est pour mieux servir le propos du roman. GennaRose Nethercott livre une très belle réflexion sur l’importance du souvenir et de la mémoire.  Elle-même issue de la diaspora juive de Russie qui a fuit les pogroms, elle revient sur cette dramatique période comme une catharsis à un traumatisme transgénérationnel. En passant de la magie du folklore à la violence de la réalité, elle choisit d’incorporer Baba Yaga au récit historique. Elle insiste aussi sur l’importance du récit du quotidien, les « non-évènement[s] sacré[s] », ce qui donne une tonalité intimiste au propos et ne le rend que plus poignant.

Ce n’est pas seulement en lui prenant la vie qu’on tue un peuple, c’est en lui volant son histoire.

Quête d’identité

Il s’agit aussi et avant tout de l’histoire de Bellatine et Isaac. Isaac a la particularité de pouvoir prendre l’apparence et la gestuelle de n’importe qui ce qui est pratique pour animer des spectacles de rue mais aussi se tirer de situations difficiles. Sa vie est faite d’errance et de vols à la tire. Bellatine, quant à elle, a une vie plus rangée. Elle travaille le bois. Elle cherche à cacher son don, ou plutôt une malédiction selon elle, qui lui permet avec ses mains, devenant alors brûlantes, d’animer l’inanimé

Les deux sont bien fucked up. Le premier fuit en prenant l’apparence d’autrui jusqu’à perdre son identité. Elle, essaie d’étouffer son don dérangeant pour mener une vie normale. Les deux échouent lamentablement, rattrapés par le passé familial. A la clé peut-être une meilleure compréhension de leur passé et acceptation de soi. C’est tout l’objet de la quête qui s’impose à eux avec cet héritage qu’ils n’ont pas demandé mais qu’ils s’approprient, avec ses avantages (une maison qui se déplace c’est très pratique) et ses inconvénients (être pourchassé par un psychopathe manipulateur moins).

Si je puis déposer un petit bémol, ce sera pour signaler que la partie centrale se trainait un peu mais comme je me suis accrochée à ce livre comme une moule à son rocher pendant une panne de lecture longue durée, allez savoir si ça vient effectivement du livre ou de moi.

L’histoire telle qu’elle est, ce n’est pas toujours l’histoire telle qu’on voudrait qu’elle soit. Mais ce n’est pas une histoire c’est notre monde. Un enfant mort, c’est un enfant mort. Un massacre, c’est un massacre. Les souvenirs, on doit les raconter. Les mains engendrent des mains. Les mères engendrent des enfants qui à leur tour engendrent des filles. Les générations passent et, soudain, nous oublions. Nos descendants naissent en proie à des désirs qu’ils ne comprennent pas, car ils ont oublié. Leurs mains sont pleines de feu. Leurs jambes brûlent de fuir. Le corps se souvient. L’air aigri se souvient.  Nous ne pouvons pas oublier. Je ne peux pas oublier. Et s’il faut que je me rappelle, vous aussi, j’en fais le serment. Vous aussi.

Montez à bord de la maison aux pattes de poulet pour un étonnant voyage entre Amérique contemporaine et Russie du début du XXè siècle, entre folklore et Histoire, entre théâtre de marionnettes et théâtre de la vie. Un bouquin d’une richesse inimaginable, un récit à tiroirs, qui réconcilie le passé avec le présent, les contes avec la réalité.

« … Que le spectre se lève ! »

Informations éditoriales

Roman écrit par GennaRose Nethercott. Publié initialement en 2022. 2024 pour la publication française. Traduit de l’anglais (US) par Anne-Sylvie Homassel. Titre original : Thislefoot. Illustration de couverture par Anouck Faure. 523 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Le nocher des livres, Weirdaholic, Le bibliocosme, Le pays des cave trollsSometimes a book, L’épaule d’Orion, Les blablas de Tachan, Quoi de neuf sur ma pile ?, Les pipelettes en parlent, Les chroniques de FeyGirl, ou signalez-vous en commentaire.
Une interview sur NPR: In ‘Thistlefoot,’ GennaRose Nethercott explores painful history through folklore

21 commentaires sur « La maison aux pattes de poulet | « Eteignez les lampions… » »

  1. « la partie centrale se trainait un peu » : tu veux dire qu’elle traîne un peu la patte (de poulet) ?

    Je suis content de voir que tu lui as consacré une chronique complète et positive malgré ta lecture mouvementée, ça en rajoute sur sa qualité. Et les citations ont achevé de me convaincre !

    Aimé par 1 personne

      1. J’aime bien ce qui est beau et triste (ne cherche pas à comprendre).
        Le Bifrost est déjà sur ma table de chevet, mais ces quinze derniers jours ont été engorgés par ma vie professionnelle. Ca se calme, là, donc je vais pouvoir m’y mettre ^^

        J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.