Dans la maison rêvée | A la manière d’un titre

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La Maison rêvée à la manière d’une introduction.

Dans la maison rêvée n’est pas un roman mais une autobiographie, doublée d’une expérimentation littéraire. Il a été écrit par Carmen Maria Machado et publié en français à l’occasion de la rentrée littéraire 2021 par les éditions Christian Bourgois. Il a été -brillamment – traduit par Hélène Cohen. J’ai été conquise et je vous dis pourquoi. Ne restez pas sur le pas de la porte et entrez avec moi dans la maison rêvée.

La Maison rêvée à la manière de Carmen Maria Machado

Comme je le disais en introduction, Dans la maison rêvée n’est pas un roman. Carmen Maria Machado y raconte un bout de sa vie. Un bout de sa vie avec une femme, qui n’est jamais nommée, une femme qu’elle aimait. Et qui, deux années durant, a entrepris de la détruire psychologiquement. Dans la maison rêvée, parfois métaphorique, parfois non, toujours ironique.

Mais Dans la maison rêvée n’est pas qu’une autobiographie. Il est également une expérimentation littéraire. L’autrice y utilise une grammaire narrative singulière. Les chapitres sont très courts et sont toujours racontés « à la manière de« : un genre littéraire, un procédé stylistique, un trope littéraire ou cinématographique… Parfois à la première personne, souvent à la seconde.

Cette construction déstructurée peut être vue comme le reflet de la destruction psychologique qu’a subi Machado. L’illustration de couverture le suggère d’ailleurs déjà, avant même que l’on ait ouvert le livre. Machado n’est pas dupe non plus d’ailleurs :

Chaque récit que tu écris vole en éclats, soumis à une contrainte, un rêve jouissif et oulipien – des listes et des synopsis d’épisodes de télévision, dont l’un commence par la fin. Tu as l’impression d’enchainer les idées comme on sauterait du coq à l’âne tout en cherchant une ligne directrice. Tu sais que si tu les fracasses, les repositionnes, les effeuilles, si tu démontes leurs mécanismes, tu auras accès à leurs vérités comme jamais auparavant. Nous avons tant  à gagner à inverser la Gestalt. Fais quelques pas en arrière, ouvre les yeux. Observe.
[La maison rêvée à la manière d’un exercice de style. p.132]

Cette construction déstructurée est aussi une façon de lancer 1000 lectures possibles de cet ouvrage, tant il est référencé, tant il part dans tous les sens, tant il est riche d’enseignements. J’en ai aussi tiré des réflexions qui n’avaient rien à voir avec les violences conjugales, ni les LGBT+, ni la littérature et ses genres. Quelque chose qui ressemble à la Maison rêvée à la manière de la vie, l’univers et le reste.

La Maison rêvée à la manière d’un besoin

Le texte commence par 4 épigraphes qui sont toutes très éclairantes. La première dit ceci : 

Si vous avez besoin de ce livre, il est pour vous.

Pourquoi ai-je besoin de ce livre ? Pas tant pour le sujet, mais parce que depuis quelques temps j’aime découvrir d’autres voix. Des voix qui ont des choses à dire qui n’ont pas déjà été dites 1000 fois. Des voix qui ont des choses à dire, sur un autre ton, un autre mode que ceux que l’on a déjà entendus 1000 fois. Des voix que je n’entendais pas avant. Non pas parce qu’elles n’avaient rien à dire ni même parce qu’elles ne disaient rien. Mais parce que je n’écoutais pas. Voilà pourquoi j’ai besoin de ce livre.

La Maison rêvée à la manière d’un soutien indéfectible

Dans la maison rêvée parle de violence conjugale dans un couple lesbien. L’autrice a dépouillé la littérature à ce sujet pour se rendre compte qu’il était tabou, invisible ou invisibilisé – ça ne le fait pas trop dans l’imaginaire collectif lgbt+ de se faire du mal entre soi – et pourtant bien présent, en cherchant bien. Le livre en est d’autant plus nécessaire qu’il décortique un sujet que l’on pourrait croire rare parce qu’on en parle pas.  Si vous êtes LGBT+, vous pourriez avoir besoin de ce livre.

Je pénètre dans l’archive qui établit que la maltraitance conjugale entre des partenaires partageant une identité de genre est une chose non seulement possible mais courante, et qu’elle peut ressembler à ce qui suit. Je parle dans le silence. Je jette la pierre de mon histoire dans une faille immense, et mesure l’abîme à son minuscule bruit.
[La maison rêvée à la manière d’un prologue. p.19]

Dans la maison rêvée décrit chaotiquement mais néanmoins méthodiquement les mécanismes d’une relation d’emprise dans laquelle une personne va en manipuler une autre pour la détruire totalement, la faire croire anormale, folle et seule pour se l’approprier. Cela dépasse l’identité sexuelle. Si vous n’êtes pas LGBT+, vous pourriez avoir besoin de ce livre.

Puis tu as découvert qu’un autre sens d’enlèvement était « ravissement », alors tu as compris. Tu as compris qu’il est important de vivre dans la peur avec un sourire aux lèvres.
[La Maison rêvée à la manière du Grand Enlèvement. p. 172]

Dans la maison rêvée décrit aussi comment les mécanismes de l’incompréhension, du déni, de l’indifférence, devant un phénomène pervers difficilement explicable ou prouvable, rendent la situation encore plus insupportable pour la victime. « Pourquoi tu ne l’as pas quitté.e ? », « Ce n’est pas possible. », « Enfin, tu es adulte, tu n’as qu’à te lever et te casser. », « Tu vas donner une mauvaise image de nous » ne sont pas des réactions appropriées. La première qui l’est, est de dire : « Je te crois. »

Carmen Maria Machado, I believe you.

Quelle valeur donner à une preuve ? Qu’est-ce que cela signifie qu’une chose soit vraie ? Si un arbre tombe dans une forêt et cloue un grive au sol, si celle-ci s’égosille sans que jamais on ne l’entende, produit-elle un son ? Souffre-t-elle ? Qui peut le dire avec certitude ?
[La Maison rêvée à la manière d’une preuve. p. 343]

Je ne peux pas m’empêcher ici de vous proposer une autre citation qui est une variation sur le même thème, pour vous montrer à quel point l’autrice retourne ce qui lui est arrivé dans tous les sens. Ici, elle raconte une visite avec une amie dans une chambre sourde (ça ne s’invente pas). La dernière phrase du chapitre dit ceci, obviously on dépasse le contexte de cette visite : 

Que se passe-t-il quand il n’y a pas d’écho, dans cette crypte souterraine ? Tu frappes dans tes mains, et rien ni personne ne répond.
[La Maison rêvée à la manière d’une chambre anéchoïque. p.357]

La Maison rêvée à la manière d’une conclusion.

J’ai été transportée par la façon dont Carmen Maria Machado aborde avec franchise et sincérité un sujet dont on ne parle pas, les violences conjugales au sein des couples homosexuels, et lui donne une portée psychologique universelle. J’ai été éblouie par son écriture et l’originalité de son expérimentation littéraire qui pousse à repicorer des passages une fois la dernière page tournée. Un livre qui comble un besoin dont je n’avais pas conscience.

Et vous ? Avez-vous besoin de ce livre ? Si oui, il est pour vous.

Informations éditoriales

Autobiographie/mémoires/expérience littéraire écrite par Carmen Maria Machado. Publié pour la première fois en 2019. 2021 pour la publication française aux éditions Christian Bourgois en 2021. Traduit de l’anglais (US)  par Hélène Cohen. Titre original : In The Dream House.  Couverture par Piotr Marcinski / EyeEm. 379 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Charybde 2, ou signalez-vous en commentaire.

27 commentaires sur « Dans la maison rêvée | A la manière d’un titre »

  1. Je ne sais pas si j’ai besoin de ce livre, mais ce qui est certain, c’est que ce livre m’intéresse. En plus du fait que, comme toi, j’apprécie d’avoir une œuvre différente qui se débarrasse de certains carcans, cette thématique de la violence conjugale, a fortiori dans un couple lesbien, me semble importante d’autant plus que taboue. Le livre a l’air aussi fort qu’atypique…

    Aimé par 2 personnes

  2. Mon commentaire à la manière d’un éloge : très belle chronique, dans le fond et dans le forme, ce qui rend, il me semble, parfaitement hommage au livre.
    Mon commentaire à la manière d’un doute : ça fait un peu peur quand même, surtout « tant il est référencé », mais la différence c’est si bien, je te rejoins là-dessus.
    Mon commentaire à la manière d’une note : j’ai lu toutes les citations ; elles sont, peut-être encore plus que d’habitude, très parlantes pour envisager un peu plus ce qu’est ce livre.
    Mon commentaire à la manière d’une contradiction : je ne sais pas si j’ai envie de lire ce livre, mais je sais dans le même temps que j’en ai envie.
    Mon commentaire à la manière d’une contrefaçon : voir mes phrases précédentes.

    Aimé par 1 personne

    1. Mon commentaire à la manière d’un laconisme : Merci. T’inquiète pas ça va bien se passer.

      Mon commentaire à la manière d’une police d’assurance :
      détenteur du contrat : Baroona 233°C
      objet : police d’assurance tous risque de mauvaise lecture
      Nous garantissons à M. 233°C contre tout risque de mauvaise lecture sur le livre Dans la maison rêvée. Ses craintes sont sans fondements, le livre étant super accessible, se lisant très facilement et propice au picorage (les chapitres sont très courts, on peut le lire entre 2 stations de métro ou dans la salle d’attente du dentiste).

      Mon commentaire à la manière d’une reconnaissance sincère : merci pour avoir lu toutes les citations, vraiment 😅

      Aimé par 1 personne

  3. Soit je me dis que j’en ai besoin pour l’expérience stylistique qu’il propose, et c’est forcément extrêmement tentant.
    Soit je me dis que j’en ai besoin pour en découvrir toujours plus sur les violences conjugales d’où qu’elles proviennent.
    Soit je me dis que je n’en ai pas besoin car j’ai déjà donné.

    Bref, je suis à 90% hypée ++. Et tout le monde a raison de souligner la qualité de ton avis.

    Aimé par 1 personne

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