Ou ce que vous voudrez | Shakespeare in love

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Ou ce que vous voudrez est un roman de Jo Walton. Traduit par Florence Dolisi, il a été publié chez Lunes d’Encre en septembre 2022. On part à Florence (pas Dolisi du coup), entre temps présent et Renaissance, entre réalité et fiction, à la recherche de l’immortalité. Suivez-moi..

De Florence à Thalia

Sylvia Harrison est une écrivaine à succès. Sur le déclin de sa vie, elle part s’installer à Florence pour écrire un dernier livre qui se passera à Thalia, ville jumelle imaginaire de Florence coincée à l’époque de la Renaissance. Ce livre lui est inspiré par son ami imaginaire qui vit près de la brume de sa créativité et qui a incarné nombre de personnages dans ses romans. Ce personnage est une voix, celle qui s’adresse au lecteur, qui n’a pas de nom si ce n’est ceux des personnages qu’il incarne et que nous appelerons le narrateur

J’ai été trop de choses pour les compter. J’ai été un dragon que chevauche un enfant. J’ai été savant, guerrier, amoureux et voleur. J’ai été le rêve et me rêveur. J’ai été une divinité. J’ai été près du verger battu par le vent et du rivage impétueux. J’ai été gardien de l’eau limpide. Je suis sage, mais parfois téméraire.

Ce narrateur a très conscience qu’après la mort de Sylvia, il disparaitra. Il ne se satisfait pas de l’immortalité potentielle que l’autrice lui offre via les personnages de ses livres, il veut s’incarner, il veut vivre pour toujours. Il a un plan et le roman que l’on tient entre nos mains lui servira à l’exécuter. 

De Sylvia Harrison à Jo Walton

Donc il nous raconte toutes sortes de choses dans ce livre. Déjà l’univers imaginé par Sylvia. Un monde de fantasy qui s’appelle Illyrie (qui est aussi le nom d’une province de la Rome antique et du royaume fictif de La nuit des rois) et qui ressemble à une version fantasmée de l’Europe de la Renaissance. L’intrigue se passe à Thalia, qui ressemble beaucoup à Florence (d’ailleurs Thalia n’est pas choisi pour rien) et met en scène des personnages des pièces de Shakespeare, La nuit des rois (ou Ce que vous voudrez) & La tempête principalement. 

Ensuite, la vie de Sylvia, dans le présent à Florence. Elle visite des musées, écrit dans un petit appartement, mange des gelatis au Perchè No ! et de l’osso bucco au Teatro del Sale. Jo Walton précise dans les remerciements que tous les endroits cités sont réels. 

La vie de Sylvia c’est aussi son passé. Donc notre narrateur nous la raconte aussi. Un passé dont il fait partie aussi mais pas tout le temps. Un passé douloureux, presque une autre vie qui s’est conclue par un avortement et une séparation, pour arriver à renaître et s’ouvrir au métier d’écrivain.

Le roman de Jo Walton, de Sylvia Harrison, on ne sait plus bien à quel sauce on est mangé (avec ou sans tomate, telle est la question) est multiplement référencé. Je vous parlais de Shakespeare mais ça c’est l’autoroute. Il y a plein de petits chemins de traverse. Par exemple, je me souviens d’un passage dans lequel l’autrice nous parle de la Peste Noire du Moyen Age et en vient, de bien sûr, à citer Chroniques des années noires. Sinon ça va de La divine comédie aux Quatre filles du Docteur March, de Brunelleschi à Michel-Ange.

Comparées à l’histoire, les oeuvres de fiction présentent le gros avantage de se terminer de façon satisfaisante pour le lecteur. L’histoire avec un grand H est truffée de culs-de-sa et d’intrigues avortées. Les écrivains qui s’y intéressent ressentn immédiatement le besoin de tirer sur ces bouts qui dépassent, puis de les entremêler savamment.

De la réalité à la fiction

C’est ce que fait ce livre, ce qu’est ce livre. Un pont entre la réalité et la fiction, un pont à étages entre notre réalité, celle de Sylvia (son passé et son présent), son roman, qui est aussi celui qu’on tient entre nos mains, la littérature en générale et Shakespeare en particulier, la Renaissance réelle de Florence et celle fictionnelle de Thalia. Est-ce que j’en oublie ? Plein plein plein et je suis à peu près sûre d’être passé à côté de plein de trucs. J’ai fait pas mal de recherches sur Internet en lisant. Parce que voyez-vous, j’ai des connaissances très scolaires de Shakespeare (suffisamment pour sentir l’anguille sous la roche, pas forcément pour la débusquer) et je n’y connais strictement rien à Florence.

Ce roman est foisonnant, ultra référencé. Je suis pas loin de penser que c’est le bouquin le plus ambitieux de Jo Walton (en fait je le pense tout à fait). Ou ce que vous voudrez est donc un pont entre la réalité et la fiction, les réalités et les fictions. Mais ce n’est pas tout. C’est aussi un roman qui parle de l‘acte créatif d’écriture, le back office de l’écrivain en quelque sorte. Je me suis demandée à quel point Jo Walton avait mis d’elle-même dans ce roman. 

Dans le cas où le bassin apophatique de la roseraie ne vous intriguerais pas le moins du monde, où vous n’auriez même pas envie de savoir si on peut nager dans ce bassin rempli de nénuphars, où vous ne voudriez même pas jeter un coup d’oeil aux bouquins posés sur le rebord de la fenêtre et parcourir leurs titres…
Dans ce cas vous n’êtes pas mon lecteur, vous n’êtes pas ma lectrice, vous n’êtes aucune des lecteurs que je m’imagine avoir. Arrêtez sur-le-champ, avant qu’il soit trop tard. Proposez une autre lecture à votre enveloppe charnelle, en vous réjouissant de votre solidité, de votre réalité et de celle du monde que vous habitez : lisez quelque chose qui vous plaira davantage, ou occupez-vous des tuyaux et des chaudières qui cognent et sifflent dans vos vies à vous.  

De la mortalité à l’immortalité

Parlons du narrateur quelques instants. Il parle à la première personne et s’adresse à nous constamment. Il n’a de nom et de corps (de mots) que lorsqu’il s’incarne dans une des histoires de Sylvia. Elle crée les mondes, lui incarne certains personnages. Il est à la fois personne et plein de personnages de fiction. Il est son ami imaginaire et il ne veut pas mourir quand elle s’éteindra.

Oui parce que donc ce roman parle aussi de la peur de mourir et de la quête de l’immortalité. Dans un processus quelque peu inversé par rapport à Kra de John Crowley, qui est aussi un formidable roman à tiroirs, qui parle des humains mortels et des mythes immortels. 

Le bétail meurt, les proches meurent, les dieuxaussi doivent mourir. Seule la renommée ne meurt pas, quand on parvient à l’acquérir. C’est ce que dit Odin dans l’Edda poétique (j’ai été viking autrefois). Mais comme tout ce que dit Odin, c’est un peu tordu. Qu’est-ce qu’il entend par « renommée » ? Comment doit-on s’y prendre au juste pour l’acquérir ? Et comment cela se traduit-il pour un livre ou un personnage de fiction ?

Ou ce que vous voudrez est de ce genre de livres qui ouvrent les portes et les fenêtres de votre intellect, et aussi le soupirail de la cave. Gare à la tempête dans votre cerveau causée par les courants d’air qui vous transporteront entre réalité et fiction, entre Florence et Thalia, entre Sylvia Harrison et Jo Walton, avec pour seul guide un ami imaginaire qui ne veut pas mourir.

Informations éditoriales

Roman écrit par Jo Walton. Publié pour la première fois en 2020. 2022 pour la parution française chez Denoël Lunes d’Encre. Traduit de l’anglais par Florence Dolisi. Titre original : Or what you will. Illustration de couverture par Aurélien Police. 360 pages.

Pour aller plus loin

Jo Walton sur le blog.
D’autres avis : Nevertwhere, Au pays des cave trolls, Ombre Bones, Le bibliocosme, ou signalez-vous en commentaire.

35 commentaires sur « Ou ce que vous voudrez | Shakespeare in love »

  1. Je n’avais absolument rien lu sur ce livre avant ta chronique. D’ordinaire les livres ultra-référencés me font perdre un peu d’enthousiasme, ce n’est pas particulièrement mon truc. Mais là mon niveau de hype est si haut que ça ne le diminue même pas un peu. Ça a l’air incroyable. Et puis bon, la dernière fois que Jo Walton nous a emmené à Florence, c’était dans « Mes vrais enfants ». Ça donne une certaine confiance en plus d’une envie démultipliée. ^^

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    1. Difficile de parler d’amour de la littérature sans être référencé, faudra faire avec ^^ Mais ça vaut vraiment le coup, c’est vraiment très riche et fin.
      C’est très différent de Mes vrais enfants, plus dans l’intellectuel que l’émotionnel. Mais ça prouve qu’elle sait se renouveller, sans non plus renoncer à ses marottes.

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    1. Je ne suis pas sûre que ce soit gênant. L’histoire fonctionne très bien. Après si tu as zéro intérêt pour Florence et la Renaissance (utilisé dans un contexte de fantasy, il y a de la magie), peut-être que ça te passera au-dessus de la tête. Attends d’autres avis.

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  2. Bon, je n’ai pas compris de quoi ça parle, alors je risque de ne rien piger au bouquin 😅 Bon j’exagère, j’ai saisi les grandes lignes, mais je ne pense pas que ça m’emballerait beaucoup. À voir s’il croise mon chemin un jour. ^^

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  3. Ah !! Il m’attend bien sagement dans ma PAL depuis ce weekend : je sens qu’il ne va pas y rester longtemps ! 😉 Merci pour ce premier retour, ça donne envie !

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  4. Je n’ai rien vu passer sur ce roman avant ta chronique ! Incroyable, quand on sait la qualité des romans de Jo Walton. Je les aime et je compte donc bien lire celui-ci – l’espace disponible dans mon appartement me fait espérer une rapide publication en poche mais, aller, je pense qu’un emprunt ou un achat numérique se fera d’ici-là 😊

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  5. Belle chronique (que je peux enfin lire), tu as été beaucoup plus prolixe que moi (j’ai mis trop de temps à l’écrire 😞).
    C’est vraiment un très beau roman, et je suis assez d’accord avec toi, c’est sans doute son plus ambitieux (par certains côtés je trouve qu’elle se Adapalmerise 😆)
    Bref 😍😍😍😍😍😍😍 (voilà c’est mon avis en résumé)

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    1. Rha je comprends l’attente trop longtemps avant d’écrire, c’est l’enfer. J’essaie de compenser en prenant des notes mais des fois j’en prends très peu. Je le sens mal pour Peut-être les étoiles que je suis en train de lire en free style complet 😅
      Haha c’est pas faux, sur le versant fantasy de la force. J’espère qu’on aura l’occasion de les croiser à la même conf aux Utos, ce sera trop bien (faut que j’épluche le programme, ce we).
      Hâte de lire ton billet ^^

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