
Le livre écorné de ma vie est une novella écrite par Lucius Shepard et publiée au Bélial’ dans la collection Une heure Lumière en 2021. Je poursuis mon rattrapage de lecture de la collection avec cette 32ème publication, la cinquième de l’année 6. Une croisière dans les méandres du Mékong et de l’âme d’un écrivain, ça vous dit ?
Contexte narratif
Thomas Cradle, écrivain à succès, tombe au gré de ses recherches sur un homonyme lui aussi écrivain. Il se procure son unique roman pour se rendre compte que cet homme lui ressemble beaucoup physiquement, biographiquement, jusque dans son style littéraire et son éditeur. Quand Cradle retourne voir la fiche Amazon du livre, elle a tout simplement disparu et toute mention du livre est introuvable sur le web.
Le livre s’appelle La forêt de thé et raconte le périple, visiblement autobiographique, de cet homonyme, en Asie du Sud-Est, le long du Mékong pour retrouver la susnommée forêt de thé qui se trouverait au cœur du delta du fleuve. Obsédé par ce texte et son auteur, Cradle décide d’entreprendre le même voyage et suivre les traces de ce double décidément bien mystérieux.
Le voyage a toujours servi mon inspiration, à l’image de quantités d’écrivains, à commencer par mon alter ego, apparemment ; mais plus nous avancions sur la Mékong, plus je prenais conscience de l’uniformité stérile du monde et des divers cultures. Otez-leur leurs oripeaux et vous constaterez que chaque tribu est mue par les mêmes passions, et ce n’est pas seulement vrai pour le temps présent mais aussi, soupçonnais-je, pour les âges passés. Effacez de votre esprit les images des rois, des courtisanes exotiques et des moines maniaques qui peuplent les légendes de l’Asie du Sud-Est, et considérez un bout de terrain suffisamment éloigné des temples et des palais d’Angkor Vat… et vous y trouverez le citoyen planétaire moyen, un enfant dévorant l’équivalent khmer d’un Happy Meal et souhaitant ardemment qu’on invente la télévision.
Mise en abyme autofictionnelle
Entre sexe, drogue et oisiveté, Cradle entreprend son périple dans les méandres du Mékong certes, mais surtout dans les tréfonds de ses identités, guère jolies à regarder. Le voyage est sombre, poisseux comme une eau polluée, une quête initiatique malfaisante.
On s’interroge aussi sur la mise en abyme autofictionnelle créée par l’auteur Lucius Shepard dans ce récit à la première personne racontant le voyage d’un type sur les traces d’un livre qui raconte le voyage d’un autre type mais qui porte le même nom que le premier 🤯. On apprend qui plus est en fin d’ouvrage que Shepard connaissait fort bien l’Asie du Sud-Est et que le texte est bourré d’erreurs géographiques. Comme s’il avait mis en scène une version dévoyée de lui-même et de notre réalité.
Tout à fait le genre de récit qui parle à mon intellect quand il questionne les réalités fictionnelles et réelles par ses mises en abymes et ce qui construit les identités d’un individu par l’analyse de ses aspects les plus obscurs. Un texte étonnant, très cynique. Une plume ciselée, composée de longues tirades de Cradle sur sa vision du monde et sa vision de lui-même.
J’avais conscience d’avoir une personnalité essentiellement avide et égoïste, d’être à la fois violent et lâche, suffisamment courageux pour sauver ma peau si nécessaire mais terrifié par tout ce qui m’entourait, et je m’accommodais fort bien de cette révélation.
Le livre écorné de ma vie est sale et collant. Il sent l’eau fluviale qui a macéré trop longtemps dans son delta. Il a pour protagoniste principal un type détestable qui se démultiplie en autant de versions tout aussi détestables et qui pourrait être la part sombre de l’auteur initial de ce récit cynique et plein d’amertume. J’ai adoré.
Informations éditoriales
Novella écrite par Lucius Shepard. Publiée pour la première fois en 2009. 2021 pour la publication en français au Bélial’. Traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque. Titre original : Dog-eared paperback of my life. Illustration de couverture par Aurélien Police. 139 pages.
Pour aller plus loin
Une Heure Lumière sur le blog.
Lucius Shepard sur le blog : Les attracteurs de Rose Street, Abimagique, Le dragon Griaule, Le calice du dragon.
D’autres avis : 233°C, Nevertwhere, Au pays des cave trolls, Les critiques de Yuyine, L’épaule d’Orion, Quoi de neuf sur ma pile, ou signalez-vous en commentaire.
Belle chronique, mais je ne pense pas que j’aimerais ce genre de lecture. La page de couverture est fascinante. Bonne journée !
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Ca ne te plairait pas en effet je pense. Oui la couverture est magnifique, dans le haut du panier de la collection ^^
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Celui-ci je l’ai
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*sautille de voir cette novella avoir le droit à sa chronique*
Ta conclusion est parfaite.
Je me rends compte qu’il y a un aspect assez ironique (?) dans cette novella : on parle d’un potentiel double de Lucius Shepard alors que c’est un auteur absolument unique.
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Bah c’est Lucius Griaule Cradle Shepard tout de même 😁
Très juste ^^
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Je l’ai dans ma PAL et ce que tu en dis est exactement ce qui me fait reculer. Mais, c’est dommage de laisser un bouquin prendre la poussière sans avoir été ouvert, alors, il faudra bien que je m’immerge dans ces eaux troubles.
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Aïe en effet ça risque de coincer. Après c’est du UHL, ça fait partie du jeu de l’éclectisme d’aller se frotter à des choses potentiellement déplaisantes.
En tout cas, quelque chose qui pourra peut-être t’accrocher c’est l’écriture qui est vraiment superbe.
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Ce livre m’a laissé une impression très dérangeante qui stagne longtemps après dans ma mémoire. Une novella effectivement poisseuse et glauque qui surprend par sa mise en abîme
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C’est exactement ça ^^
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Ca a l’air chouette, mais je suis pas sûre que ça me plaise pour le coup. Même si je le lirai probablement dans le cadre de la collection.
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Bon courage pour la lecture alors ^^
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Je suis moyennement attirée par les choses glauques et dérangeantes… mais bon une fois de temps en temps… sait-on jamais si le bouquin arrive un jour entre mes mains. En tous cas tu en parles bien et ça donne envie malgré son côté un peu rebutant 😅
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J’avais tout oublié au sujet de ce bouquin. Merci pour ce rappel. Typiquement le genre de bouquin que je lirais s’il se mettait sur mon chemin, mais que je n’irais pas chercher, car je n’ai pas trop aimé Griaule.
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Chuuuuut il va t’entendre 🤫😱
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Moi qui croyais que ce blog était bien fréquenté. 🐲
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🤣🤣🤣
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Les mécréants sont partout…
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J’avais beaucoup aimé aussi ce texte bien poisseux, c’est pas franchement ce que je recherche mais avec Shepard ça passe toujours.
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Si j’aime ce que tu en dis et ta manière de dire ce livre, je suis en doute face à mon envie de l’acquérir…
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ha 😅 En même temps c’est du UHL, tu n’as grand chose à perdre ^^
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