La crue | Se jeter à l’eau

La crue est le premier tome de la saga Blackwater. Cette série de 6 romans est sortie en 1983 aux US, à raison d’un tome par mois. Il a fallu attendre 2022 pour le voir traduit en français (par Yoko Latour) chez Monsieur Toussaint Louverture. L’éditeur a fait le choix de respecter la publication feuilletonnante puisque les six tomes sont en train de paraitre à raison d’un toutes les deux semaines (le monde va plus vite qu’il y a 40 ans). A l’heure où le tome 3 vient tout juste de sortir, je vous propose ma chronique du premier tome, histoire de voir ce que donne cette grande saga familiale et fantastique.

Contexte éditorial

C’est long. Si ça ne vous intéresse pas, passez au titre suivant.

Vais-je répéter ce que j’ai dit dans l’intro ? Quit lit les intros ? Allez, je récapépète. Les six volumes de Blackwater sont parus en anglais à raison d’un tome par mois en 1983. C’est vieux, j’avais un an. Je suis vieille. Il était dans l’intention de l’auteur de proposer une saga feuilletonnante « commerciale ». Je préfère le terme populaire, même s’il peut avoir une connotation péjorative aussi. Je n’en mets pas.

Monsieur Toussaint Louverture a respecté cette façon de publier les romans, ce que je trouve une très bonne idée. Ce n’est pas si courant, c’est rafraichissant (un peu comme l’eau de la Blackwater, mais en moins boueux). Je pense par ailleurs que cela contribue amplement au succès commercial que le roman connait actuellement sur les étals des librairies.

Ca et les couvertures. Je parle rarement des couvertures dans mes chroniques parce que, à dire vrai, je pense que vous vous en fichez royalement que j’ai trouvé telle ou telle couverture belle ou moche et cela ne dit rien du tout du contenu du bouquin. Mais ici la couverture devient un objet marketing et le phénomène est intéressant à observer. Pour ma part, je récolte rarement autant de likes et de réactions pour mes photos d’acquisitions. Bien joué, Monsieur Toussaint Louverture.

Sachons pour finir que l’auteur est également le scénariste des films Beetlejuice et L’étrange Noël de Mister Jack et que Stephen King s’est inspiré de la publication en feuilleton de Blackwater pour sa propre saga feuilletonnante « La ligne verte ». Il en parle même dans la préface (j’ai vérifié). Ce qui est dingue c’est que j’ai lu La ligne verte dans son édition en feuilleton en français (mais j’ai tout acheté d’un coup), en Librio. Je les ai encore (ça vaut combien ? C’est collector non ?)(j’ai vérifié : ça ne vaut rien). Je suis vieille.

Ok ok, parlons du contenu du livre…

Perdido, Alabama

Nous sommes en 1919. La petite ville de Perdido, Alabama, vit principalement de ses scieries (wink wink Twin Peaks). Mais les rivières Perdido et Blackwater ont salement noyé la ville en sortant de leur lit. Oscar Caskey dont la famille possède une des scieries de la ville et son homme à tout faire, Bray Sugarwhite, trouvent une jeune femme  dans une chambre de l’unique hôtel de la ville.

Cette femme s’appelle Elinor Dammert et affirme être restée 4 jours dans cette chambre d’hôtel. Comment a-t-elle fait pour survivre ? C’est une question vite évacuée, la jeune femme trouvant rapidement sa place dans la petite société de la ville. Dès le prologue, on sent que quelque chose n’est pas net avec cette femme et l’histoire va au fur et à mesure nous dévoiler d’autres phénomènes étranges et effrayants.

A l’issue du prologue, on a droit à des petits arbres généalogiques et une carte de la ville. Ce n’est pas anodin car la famille et les lieux qui l’environnent sont des éléments centraux. Ce n’est pas anodin non plus car les arbres généalogiques et la carte évoluent d’un titre à l’autre. J’ai regardé au début de La digue (qui comporte aussi un résumé). Je n’ai pas osé le faire pour La maison, mais on va supposer qu’il en est de même.

L’écriture est imagée et ne se perd pas en détails. Une petit touche d’humour s’insinue dans le propos. Des phrases comme :  « Elle effectuait ces achats avec un enthousiasme digne d’un condamné à mort forcé de choisir la corde pour se faire pendre » . Ou encore des dialogues, parsemés de piques que se lancent les personnages ou d’allusions à peine voilées. C’est très plaisant à lire.

-Tu étais censée tout découvrir, assena sa mère.
-Tu ne vois pas, Sister ? dit Caroline DeBordenave, secouant lentement la tête.
-Voir quoi ?
-Qu’il y a quelque chose d’étrange.
-Quelque chose qui ne va pas du tout, ajouta Manda.
-Non, je ne vois pas !
-Eh bien, tu devrais, intervint Mar-Love. Regarde ses cheveux ! Tu as déjà vu des cheveux de cette couleur ? On les croirait teints par la Perdido … Voilà ce que je vois, moi ! »

Saga familiale

Blackwater est une saga familiale, s’étalant sur une cinquantaine d’années. On s’intéresse plus particulièrement à la famille Caskey. Plus particulièrement à la famille de James (James, Genevieve et Grace), à Oscar et sa mère, Mary-Love, et Sister, sa sœur.

On va assister à un jeu de manipulation principalement entre Mary-Love et Elinor, qui s’intègre très bien dans la dynamique familiale, qui luttent chacune pour soit garder soit prendre le pouvoir. Les hommes là-dedans sont bien gentils et se laissent manipuler par l’une ou l’autre.

En réalité, chaque femme recensée à Perdido obtenait ce qu’elle voulait.

Fantastique légèrement horrifique

Le fantastique du récit est clairement porté par Elinor. Elle semble une jeune femme normale mais plusieurs scènes vont montrer que pas du tout. Dès le début du récit, on comprend qu’elle ment sur son passé et sur ces 4 jours passés dans cet hôtel. Mais Elinor sait se rendre indispensable, adorable et serviable et des étranges coincidences et des bizarreries, il ne sera jamais question.

On comprend aussi très rapidement que la nature véritable d’Elinor est liée à l’eau, en particulier au cours d’eau qui traverse la ville, le Perdido, et son affluent, le Blackwater. Elle s’oppose fermement au projet de digue qui émerge dans la communauté de Perdido après que la crue a ravagé la ville.

On comprend qu’elle désire se faire sa place dans cette ville et en particulier dans la famille Caskey sur laquelle elle a mis le grappin. Ce qu’on ne sait pas, c’est pourquoi. Et qui, ou plutôt, qu’est-elle exactement ?

Une telle dépense d’énergie auprès d’une communauté étrangère semblait cacher un but précis – et dans ce cas, quel but mademoiselle Elinor poursuivait-elle?

La crue n’est pas à proprement parler un roman horrifique mais il y a clairement des éléments horrifiques dans ce récit. Dans tous les cas, il y a ici quelques scènes violentes mais qui, si elles sont percutantes, ne sont pas gratuitement graphiques. Le surnaturel est bien présent mais il n’en fait pas des caisses.

La crue est un très bon premier tome de cette saga familiale et fantastique qui s’annonce très prenante. Dans une ambiance début de 20ème siècle dans une petite ville de l’Alabama, on y fait la connaissance de la famille Caskey et surtout de l’inquiétante Elinor, dont les intentions et les origines sont aussi troubles que les eaux de la Blackwater. Des jeux de pouvoir se mettent en place, en particulier entre les femmes. Le surnaturel s’invite rapidement dans le récit distillant une angoisse subtile au fil des pages. L’ensemble donne diablement envie de se jeter sur la suite.

A l’heure de la publication de cette chronique, les trois premiers volumes de Blackwater sont déjà sortis. Rendez-vous le 19 mai pour le quatrième.

Informations éditoriales

Roman écrit par Michael McDowell. Tome 1/6 de la série Blackwater. Publié pour la première fois en 1983. 2022 pour la publication française. Traduit de l’anglais (US) par Yoko Lacour avec la participation d’Hélène Charrier. Titre original : The Flood. Illustration de couverture par Pedro Oyarbide. 260 pages.

Pour aller plus loin

D’autres avis : Les lectures de Mariejuliet, Lorhkan et les mauvais genres, L’ours inculte, Quoi de neuf sur ma pile, Le nocher des livres, Les chroniques de Feygirl, 233°C, ou signalez-vous en commentaire.

37 commentaires sur « La crue | Se jeter à l’eau »

  1. Je suis clairement plus enthousiasmée par le contexte de publication que par le récit en lui-même perso… Et non tu n’es pas vieille, j’ai un an de plus que toi XD

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  2. J’ai adoré aussi ! Le côté feuilleton est vraiment agréable, on retrouve cet engouement partagé autour d’un récit qui se dévoile petit à petit sur une courte période (finalement, c’est presque un genre de lecture commune à grande échelle…). J’aime beaucoup le fait que l’auteur nous montre clairement dès le début qui est Elinor, tout en nous laissant sciemment dans le flou le plus obscur : j’ai déjà très hâte d’avoir le fin mot de l’histoire !

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  3. Je suis un peu déconnectée des actualités livresques ces temps ci 😦 mais j’ai été intriguée par tes tweets ! C’est original cette publication en feuilleton. Ah si je lisais plus vite… Je suis un peu dans un creux niveau lecture :-/ en tous cas je note, c’est tentant même si le fantastique n’est pas forcément ce que je préfère 🙂

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  4. « Je suis vieille » –> Tu penses à ton âge en ce moment, c’est ça? 👀
    J’ai déjà lu l’avis de Lorhkan. Tu confirmes que ça a l’air chouette!
    Vive les feuilletons!

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  5. « Qui lit les intros ? » : 🙋‍♂️
    C’est vraiment un projet sympa dans son ensemble. Même si je ne sais pas si « sympa » est le mot pour cette publication rapprochée qui va faire augmenter un certain nombre de PàL (ou décaler des plannings de lecture). Tu as trouvé quand et comment tu allais lire tout ça toi d’ailleurs ? 😇

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  6. Oui, bon, en fait, commencer à te suivre va juste servir à faire grandir ma PaL métaphysique (livres que je lirai un jour peut-être, la PaL physique étant eux que je lirai un jour peut-être mais que j’ai déjà en ma possession).

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  7. Ca fait envie, le côté feuilleton et la beauté des livres ne peut qu’attirer l’oeil. Peut-être que je finirais par me jeter à l’eau moi aussi 😁

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  8. Je ne m’attendais pas à aimer autant ce premier tome. Très visuel, les moments fantastiques marquent particulièrement, surtout qu’ils sont rares au milieu de cette histoire familiale. J’ai particulièrement aimé le fait de ne pas réussir à me positionner concernant Elinor, ne pas savoir si elle est foncièrement mauvaise pour Perdido ou bonne avec des actes certes affreux mais nécessaires.

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    1. Intéressant ce que tu dis. Dans tous les cas la nature d’Elinor est résolument manipulatoire, et violente dans certaines circonstances, j’avoue que pour ma part, même si elle sait se rendre indispensable et aimable, je la perçois de façon négative.

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    1. Ha oui il existe en audio aussi, ça doit être cool. En fait y a moyen de lire ça comme un gros roman en 6 parties. Individuellement les livres ne sont pas très épais. Je ne serais pas étonnée qu’il ressorte en intégrale.

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