Rage | School rage quit

Rage est le premier roman de Stephen King publié sous son pseudonyme, Richard Bachman. Sa première publication américaine date de 1977 , 1990 pour la publication française. Avec une traduction d’Évelyne Châtelain chez Albin Michel. En poche, il est publié chez J’ai Lu trois ans plus tard. C’est dans mon exemplaire J’ai Lu de l’époque que j’ai fait cette relecture. Suivez-moi, la rage au ventre, pour cette relecture d’un roman de jeunesse du maître de l’horreur.

Ça parle de quoi, Rage ?

Rage c’est l’histoire de Charlie Decker, lycéen instable avec, il faut le dire, une vie bien merdique, mais ça on l’apprendra au fur et à mesure. Il narre à la première personne le jour « où [il est] vraiment allé jusqu’au bout ». Ce jour-là, il se fait convoquer dans le bureau du proviseur qui lui annonce qu’il est renvoyé de l’école (il avait un peu cherché).

Il décide soudainement de prendre sa vie en main : il fout le feu à son casier, prend le flingue qui est rangé dedans, tue sa prof d’algèbre et prend sa classe en otage. S’en suivent 200 pages où lui et ses camarades de classe vont échanger sur leurs vies merdiques entre deux séances à l’interphone avec les adultes qui ne servent à rien, là dehors.

Le jour où je suis vraiment allé jusqu’au bout, il faisait drôlement beau ; oui, une belle matinée de mai. Ce qui était super, c’est que j’avais gardé mon petit-déjeuner dans l’estomac et que j’avais vu un écureuil sur la pelouse pendant le cours d’algèbre.
(incipit)

Vie et mort de Rage

Alors qu’il est en dernière année de lycée, Stephen King écrit les 40 premières pages de Rage, alors intitulé Getting It On. On est en 1966. Il achève l’écriture en 1971, échoue à le faire publier à ce moment-là. Il faudra attendre 1977. C’est le premier roman de King à sortir sous le pseudonyme Richard Bachman. Pourquoi un pseudonyme ? A l’époque, il y avait cette croyance qu’on ne pouvait pas publier plusieurs romans d’un même auteur par an, au risque de cannibaliser les ventes. Depuis, le capitalisme a inventé la surproduction, donc les auteurs n’ont plus besoin de pseudonyme. Mais c’est en tout cas ainsi que Richard Bachman est né. Cela a aussi permis à King de publier ses romans ne relevant pas ou peu du genre horrifique

Je savais même pas s’il était chargé avant que le coup parte. Je l’ai visée à la tête. Mme Underwood n’a jamais compris ce qui lui arrivait, j’en suis sûr. Elle est tombée de côté sur son bureau, elle a roulé par terre, et son expression d’attente est restée définitivement imprimée sur son visage.

Le roman, publié par un auteur inconnu avec un effort commercial avoisinant le zéro absolu, vendu à 1$50 en paperback, fût très rapidement relégué aux bacs des drugtores et des gares routières (oui apparemment aux US on vend des livres aux arrêts de bus, mais c’est sans doute parce qu’ils ont plus de bus que de trains). En outre, la critique n’a pas été très tendre avec lui. Il s’est évidemment mieux vendu quand la supercherie du pseudonyme a été dévoilée et que les romans Richard Bachman sont ressortis en étant associé à King. Ce qui se produisit près de 10 ans plus tard, en 1985. Et c’est là que les ennuis commencèrent…

Pour la publication française, le roman doit encore attendre 5 ans avec zéro mention de Stephen King en couverture, ce qui n’a de cesse de m’étonner : ils voulaient en vendre ou bien pas ?

Mais ce roman est plus tristement connu parce que vous aurez beau le chercher dans les étals de votre dealer de livres préféré, vous ne le trouverez pas, à moins qu’il fasse dans la seconde main. Stephen King a en effet décidé de stopper la publication du roman, après qu’il a été retrouvé dans les affaires de plusieurs auteurs de prises d’otages/fusillades dans des lycées, entre 1988 et 1997.

En 2013, King a écrit un essai intitulé Guns qui revient sur le problème des armes à feu aux US. Il y a toute une section dédiée à Rage que j’ai lue et voici comment il s’exprime sur les raisons qui l’ont poussé à retirer Rage de la vente : 

It took more than one slim novel to cause Cox, Pierce, Loukaitis and Carneal to do what they did. These were unhappy boys with deep psychological problems, boys who where bullied at school and bruised at home by parental neglect or outright abuse.

Plus loin il rajoute : 

My book did not break Cox, Pierce, Loukaitis and Carneal, or turn them into killers ; they found something in my book that spoke to them because they were already broken. Yet I did see Rage as a possible accelerant, which is why I pulled it from sale. You don’t leave a can of gasoline where a boy with firebug tendencies can lay hands ont it.

Il revient sur son passé au lycée qu’il a vécu comme une souffrance avec son lot d’humiliations, ensuite il conclut :

If that was how it was for me, a more or less regular dude, how must it be for kids like Jeff Cox, Dustin Pierce, Barry Loukaitis or Michael Carneal? Is it really so susprising that they would find a soul brother in the fictional Charlie Decker? But that doesn’t mean we excuse them, or give them blueprints to express their hate and fear. Charlie had to go. 
He was dangerous. And in more ways than one.

Mon opinion à ce sujet c’est que je comprends parfaitement que King, en tant qu’auteur à succès et en tant que personne, ne souhaite pas que son bouquin soit le bidon d’essence qui arrose le passage à l’acte d’adolescents  perturbés et dans ce sens je respecte sa décision. Cependant, il est utile de rappeler que le problème des tueries de masse aux US, ce ne sont ni les jeux vidéos, ni les livres et les films capables d’inspirer la violence (et ils sont nombreux), ni les adolescents gravement perturbés, ni même leurs parents abusifs mais bien la facilité de se procurer une arme à feu

Forme

Le roman est divisé en courts chapitres qui décrivent une action ou un souvenir. Parfois ils sont coupés en plein milieu de l’action avec une phrase un peu choc à la cliffhanger. C’est parfois artificiel, un peu « roman de gare »,  on sent l’auteur qui débute et s’essaie à des trucs qu’il a dû voir ailleurs, pas toujours de façon très heureuse. Dans tous les cas, le roman est rythmé et se lit avec une certaine tension alors même qu’en fait, passé les premières pages, on est confiné dans le huis clos d’une salle de classe où des élèves sont enfermés pour se partager des souvenirs et leur mal-être. Il a un côté thriller indéniable, même si c’est regulierement maladroit.

Rage est écrit à la première personne . On ne quitte jamais le point de vue de Charlie, hormis quelques inserts (lettre, avis médical) à la toute fin, façon Carrie. Il se rappelle des évènements qui l’ont amené à « aller jusqu’au bout » depuis son lieu d’enfermement après les faits. C’est une vraie force du roman. Déjà cela permet d’expliquer les maladresses de façon diégétique, le roman était écrit par un lycéen. Mais ce qui est le plus intéressant, c’est la mise en abyme, Stephen King était effectivement lycéen quand il a commencé à écrire ce livre. C’est sa rage à lui qu’on y trouve, qu’il a pu sublimer en écrivant ce roman.

On trouve par moments dans Rage des punchlines ultra-percutantes qui montrent l’écrivain en devenir comme :

La folie, c’est quand on ne voit plus les coutures qui font tenir les différentes parties du monde ensemble.

Cette lecture devient fascinante quand on s’intéresse de près à l’individu derrière l’auteur. C’est comme ça que j’ai choisi d’aborder cette lecture.

Les thématiques

Avec Rage, nous sommes en plein dans les thématiques de prédilection de l’auteur. Rage peut être vu comme le pendant réaliste et masculin de Carrie.

On voit à quel point l’environnement dans lequel il évolue, les parents abusifs, un système scolaire défaillant, des relations de bullying avec les pairs conduisent Charlie Decker à adopter la voie de la violence. En prenant sa classe en otage, il évince les adultes inopérants. On voit comment Charlie reprend le contrôle au moyen de ses dialogues avec ceux qui tentent de le raisonner via l’interphone. Jusqu’alors balloté comme un fétu de paille par des parents aux méthodes d’éducation incohérente (le père est maltraitant, la mère tantôt permissive tantôt autoritaire) et un système scolaire qui ne fait que souligner son inadéquation à la société. Je ne me rappelle plus de ce que j’ai ressenti quand j’ai lu ce livre quand j’étais ado, mais j’imagine assez un ado lisant ce roman avec une certaine jubilation de voir enfin des injustices vengées, aussi délétère en soit la finalité.

Le roman consiste en un échange de souvenirs. Tout d’abord Charlie raconte des faits marquants de sa vie dans ses relations dysfonctionnelles et abusives avec ses parents. Ensuite, il va amener ses camarades de classe à échanger sur leur propre situation, souvent pas plus glorieuse. En fait c’est une sorte de thérapie de groupe sous la contrainte. Il va ainsi retourner toute la classe en sa faveur (moins 1, dont il finit par faire un bouc émissaire, ce que j’ai trouvé éminemment dérangeant).

Les échanges virent parfois à la caricature. On a l’impression d’avoir affaire à un petit manuel « Comment foutre son gosse en l’air en 10 leçons« , ce qui rend l’ensemble peu émotionnant . Mais le procédé est intriguant et la lecture reste utile si vous vous intéressez à l’auteur ou à ce type de thématiques. Sur le même sujet, je trouve cependant le film Elephant (Gus van Sant) beaucoup plus efficace et accessoirement de meilleure qualité. J’en garde d’ailleurs plus de souvenirs.

« Quand on a cinq ans et qu’on a mal quelque part, on crie pour que le monde entier soit au courant. A dix ans, on gémit. Mais dès qu’on arrive à quinze, on commence à grignoter la pomme empoisonnée qui pousse sur votre arbre de douleur personnelle (…). On commence à bouffer ses poings pour étouffer les cris. On saigne à l’intérieur »

Roman de jeunesse imparfait, Rage explore le déraillement d’un adolescent d’une façon parfois caricaturale mais néanmoins percutante. Sa lecture gagne à être replacée dans son contexte, tant de la vie et du parcours littéraire de son auteur, que dans son impact socio-culturel.

Informations éditoriales

Roman écrit par Stephen King. Publié initialement en 1977. 1990 pour la publication française chez Albin Michel. Traduit de l’anglais (US) par Evelyne Châtelain. Titre original : Rage. Illustration de couverture par [non crédité]. 251 pages.

Pour aller plus loin

Mon billet d’intention de relire Stephen King.
Mon avis sur: CarrieSalem. Shining (anciennenouvelle traduction). Danse Macabre.
Références: Podcast le King de l’horreur par Gorian Delpature. Tout sur Stephen King par George Beahm. Stephen King de A à Z par George Beahm. Stephen King: A Complete Exploration of His Work, Life, and Influences par Bev Vincent. Stephen King la bibliographie par Alain Sprauel. Mad Movies Stephen King édition révisée en 2019. Bifrost n°80 spécial Stephen King. Podcast Le roi Stephen.
D’autres avis : signalez-vous en commentaire.

19 commentaires sur « Rage | School rage quit »

  1. Waouhhhhh ! Je suis toujours en admiration devant tes analyses ! Je n’ai lu qu’un seul King dans ma vie, c’est bien sûr Christine ! Bonne journée à toi.

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  2. J’ai commencé ton article en me disant que j’allais enfin savoir pourquoi Stephen King a utilisé un pseudonyme, j’en ai eu pour mon argent. Passionnant billet une nouvelle fois.

    « mais bien la facilité de se procurer une arme à feu » : on connait la position de Stephen King sur ce sujet ?

    Le parallèle avec « Carrie » est frappant. De mon côté ça me fait penser au manga « Evol » qui est une de mes lectures marquantes du moment, il y a ce même déraillement et cette même rage.

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    1. Haha, il y a d’autres choses à raconter au sujet de ce pseudonyme mais ja garde des cartouches pour d’autres romans ^^

      Il l’exprime dans l’essai que je mentionne mais j’avoue n’avoir lu que la partie sur Rage. J’ai pu lire à droite à gauche qu’il militait pour plus de régulation mais aussi qu’il avait lui même une arme chez lui.

      Mmmh intéressant, tu penses que le mangaka a pu s’inspirer de King ? Je ne sais pas à quel point la culture américaine se diffuse au Japon.

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      1. Ce teasing !

        Je ne sais pas. Ce n’est pas impossible mais il n’y a rien qui le laisse particulièrement penser. Mais c’est une bonne question sur l’influence américaine au Japon. Je n’ai pas la réponse. J’ai tendance à penser que c’est bien moindre que par chez nous mais vu l’aura de King, ça ne m’étonnerait pas quil soit bien connu là-bas aussi.

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    1. Merci ! Tu en es où de ton côté dans tes lectures kingiennes ? Moi j’ai pris du retard, celui-là je l’ai lu fin de l’été, j’ai pas relu Le fléau en décembre comme c’était prévu (j’avais peur d’accumuler les chroniques j’ai préféré skipper), je vais le lire cet été. Ou avant si j’ai besoin de lecture facile, je suis en semi panne de lecture.

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      1. Après en avoir enchainé 2-3 fin 2023, début 2024, j’ai fait une entrave à la chronologie en lisant Duma Key en août/septembre…. parce que je partais en Floride 😉
        Au final j’ai pas beaucoup lu sur place LOOL. (Je l’ai bien aimé mais je l’ai trouvé un peu lent).

        Donc si je me souviens bien, mon prochain est Dead Zone (que j’ai déjà lu, mais récemment -2021-. Sans doute pour ça que je ne me rue pas dans le challenge ;-))
        Han! C’est compliqué parce qu’il y a des nouveaux que je veux lire (Billy Summers), mais aussi cette envie de faire la chronologie… (bon ok, tu vas me dire, « vas à l’envie et te prends pas la tête).

        Le Fléau arrive plus tard dans ma chrono (Je vérifie là, et il est super loin… après la Part des ténèbres). Je l’ai mis dans sa version rééditée, donc début 90.

        Il faudrait quand même que je consigne tout ça sur le blog… histoire de dire que je le maintiens en vie celui là!

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        1. Ha mais trop bien pour Duma Key, trop bonne idée, même si il était pas si bien que ça. Oui tu ferais bien de suivre tes envies, le temps que tu réarrives aux nouveaux dans ta chrono tu pourras les relire XD

          Dead Zone il est trop bien j’aimerais bien le revoir le film aussi, qui m’avait fort marquée, j’ai des images encore très précises en tête alors que je ne l’ai vu qu’une seule fois, je pense ça s’est mixé avec mon souvenir du livre (que je n’ai lu qu’une seule fois aussi à mon souvenir).

          Oui je me rappelle tu m’avais dit pour Le fléau. J’ai choisi l’autre option.

          Mais oui, ça fait des lustres que j’attends un petit billet King chez toi :p

          Au fait, je suis assez deg mais y a plein de vidéos de Gorian Delpature qui ont disparu du site de la RTBF, pas pu réécouter l’épisode sur Rage pour ma chronique 😭😭😭

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  3. Trop bien!! Ça a l’air super intéressant. Bon, moi, ça me donnerait peut-être envie d’essayer de retrouver certains camarades de jeunesse pour leur crever leurs pneus… 😀 Mais c’est rare, de trouver des œuvres qui prennent ces ressentis au sérieux, c’est vraiment une qualité de Stephen King de donner voix à ce genre de chose.

    Lorhkan est en pleine kingmania, et à vous deux, vous me donnez envie de replonger!!

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    1. Haha il y en a quelques uns pour lesquels j’éprouve des sentiments similaires, d’autres et sans doute plus nombreux avec qui j’aurais aimé faire les choses autrement.
      Oui pour ce livre ça fait sa qualité première, mais aussi sans doute la raison pour laquelle il l’a retiré de la vente. C’est sans doute trop brut de décoffrage, avec une absence de morale claire.

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  4. Superbe analyse encore une fois. Le sujet est difficile mais intéressant. J’avais lu il y a quelques années Il faut qu’on parle de Kevin, qui traite aussi des tueries dans un lycée, mais côté parental. Ca accentue le fait qu’effectivement aux USA, le souci c’est la facilité d’avoir des armes à feu.

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  5. Très intéressant ! Bravo pour ce travail, je trouve toujours très intéressant de prendre en compte le contexte de l’écriture.
    En lisant le début, j’ai pensé que c’était quand même un sujet sensible, et cela ne m’a pas surprise qu’il ne soit plus publié. Mais du coup c’est juste le côté réaliste des armes à feu qui fait ça, car il aurait eu un pouvoir surnaturel à la place, ça passait sûrement mieux ^^’

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    1. Je ne sais pas, il y a des tas de livres sur des sujets très sensibles qui sont publiés quand même, il ne faut pas y voir là autre chose qu’une décision individuelle compréhensible.
      Ca aurait été soit très artificiel soit ça aurait été un tout autre livre.

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