
J’ai lu La légende dorée avec ferveur, j’ai brodé la mitre de l’évêque avec du fil d’or et contemplé le jardin depuis le balcon de ma chambre. J’ai rêvé au prince charmant et il est apparu, j’ai rêvé d’un miracle et il s’est produit. J’ai rêvé que la réalité disparaissait et c’est moi qui ai disparu. Pour ce seizième tome des Rougon-Macquart, Zola s’est mis en tête de ne pas faire du Zola. Je ne suis pas très convaincue et je vous dis pourquoi.
Le manifeste des Cinq
Rappelons-nous de l’excessive violence de La Terre. Rappelons-nous que jamais Zola n’avait été aussi loin malgré sa propension à franchir allègrement les limites de la bienséance de ce 19ème siècle. Ce n’est pas la première fois mais la publication de La Terre a suscité des commentaires outragés de ses contemporains. Dont, ce qu’on appelle le Manifeste des Cinq rédigé par 5 trouble-fêtes que sont Paul Bonnetain, Joseph-Henri Rosny (oui le même que celui de La guerre du feu), Lucien Descaves (j’ai une anecdote perso au sujet de celui-ci je vous la raconte en fin de billet), Paul Marguerite et Gustave Guiches (avec un G pas un Q, je vous ai à l’œil 👀). Ils lui reprochent la grossièreté de son roman et dénonce son incapacité à s’intéresser des sujets qui ne sont pas bassement matériels.
Sur ces entrefaites, Zola leur lance un « Challenge accepted ! » et se met à ses recherches pour ce qui sera son prochain roman : Le rêve. Bon effectivement plus immatériel que ça tu meurs. Il écrit texto : « Je voudrais faire un livre qu’on n’attende pas de moi. »
Angélique la Sainte Nitouche
L’intrigue tourne autour d’Angélique, dont on apprendra plus tard qu’elle est la fille de Sidonie Macquart (on aime bien Sidonie Macquart, on en parlait dans ma chronique de La Curée). Le couple Hubert la trouve transie de froid au pied de la cathédrale de Saint Agnès à côté de laquelle ils vivent. Ils sont brodeurs. Ils sont choupichou. Ils adoptent la petite.
Pendant le rude hiver de 1860, l’Oise gela, de grandes neiges couvrirent les plaines de basse Picardie ; et il en vint surtout une bourrasque du nord-est, qui ensevelit presque Beaumont, le jour de la Noël.
(Incipit)
Ici je vous fais une parenthèse pour vous parler des Hubert. Hubert et Hubertine se sont mariés contre l’avis de la mère d’Hubertine, qui leur bat froid jusque dans sa tombe. Soumis à une forme de malédiction, ils sont incapables d’avoir un enfant après en avoir perdu un. C’est le grand malheur d’Hubertine. Tellement qu’elle en regretterait presque de s’être enfuie avec Hubert. Elle le lui reproche souvent d’ailleurs. Elle est la figure de la soumission à l’autorité, à l’obéissance car elle pense que les passions rendent malheureux. Son mari, lui, est à l’opposé : il est pour l’amour, le vrai et pense qu’il doit surmonter les obstacles. Il est assez soumis à sa femme donc il finit toujours par se ranger à son avis.
Peu à peu, Hubertine prit sur elle de l’autorité. Elle était faite pour cette éducation, avec la bonhommie de son âme, son grand air fort et doux, sa raison droite, d’un parfait équilibre. Elle lui enseignait le renoncement et l’obéissance, qu’elle opposait à la passion et à l’orgueil. Obéir c’était vivre.
Donc les Hubert adoptent Angélique et l’éduquent. Hubertine trouve le moyen de ne pas la mettre à l’école, je ne sais plus sous quel prétexte et donc la gamine a pour seul enseignement la lecture d’une bondieuserie : La légende dorée. Un livre qui a été écrit en latin au 13ème siècle et qu’elle dit dans une édition du 15è en ancien français. L’ouvrage parle des saints, de miracles et de tortures. Angélique grandit dans l’idée que les miracles existent, que le rêve est plus tangible que la réalité, qu’il suffit de rêver très fort quelque chose pour qu’il devienne vrai.
Seule, la Légende la passionnait, la tenait penchée le front entre les mains, prise toute, au point de ne plus vivre de la vie quotidienne, sans conscience du temps, regardant monter, du fond de l’inconnu, le grand épanouissement du rêve.
Elle grandit et se met à rêver au prince charmant, prince charmant qui ressemble davantage à une figure christique à adorer dévotement qu’à un amant. Du coup, un beau garçon poppe dans le jardin de la cathédrale. Elle est fortiche tout de même. S’ensuit un jeu de « Où est Charlie » où le beau jeune homme apparait à divers endroits du jardin et où Angélique le cherche frénétiquement. Ils finissent par se parler – il s’appelle Félicien et dit s’occuper des vitraux de la cathédrale. Une tendre et naïve passion naît entre eux. Ils sont choupichou, un peu neuneus et un peu chiants.
A ce stade vous vous demandez avec justesse si je ne me suis pas trompée sur l’auteur de ce roman. Oui c’est bien Zola qui a écrit cette histoire. Evidemment c’est une tragique histoire d’amour même si on ne peut pas tout à fait dire que ça finit mal. Enfin c’est plus compliqué que ça.
Un peu d’indécence, s’il vous plait
Dans tous les cas, Zola reste d’une décence rare dans ce roman. Tout y est très éthéré. Pas de sexe ou alors si finement allusionné que franchement si vous êtes pas attentifs vous passez à côté. Pas de viol. Pas de harcèlement psychologique. Pas de violence. Il n’y a personne d’intrinsèquement méchant. Chacun des personnages agit en fonction de ses souffrances passées (je pense à Hubertine et à l’évêque ici) qui font qu’en effet ils ne vont pas toujours bien agir mais on ne peut aucunement dire que ce sont des mauvaises personnes en tant telles.
Je répète assez souvent que j’aime Zola quand il est excessif comme dans La conquête de Plassans ou dans L’assommoir. Avec Le rêve, on est entre Une page d’amour et La faute de l’abbé Mouret, deux romans que j’avais moins appréciés, le premier car je le trouvais un peu fade, le second car il se perdait dans du namedropping floral et les bondieuseries.
Cependant, si je n’ai que moyennement apprécié ma lecture, j’apprécie que Le rêve existe car il est intéressant à analyser dans les contrastes qu’il suscite :
- Un contraste extrinsèque : sa sortie post La terre, en réaction aux critiques. Quand on lit Le rêve on ne peut s’empêcher de penser à La Terre, le roman le plus beauf, le plus cru et le plus violent de Zola. C’est assez saisissant et montre la capacité de Zola à se retourner comme une chaussette.
- Un contraste intrinsèque : qui oppose la passion et la raison. Il y a le personnage d’Angélique qui essaie un temps de lutter contre son amour mais surtout le personnage d’Hubertine et de l’évêque.
L’anecdote personnelle
J’avais un truc à vous raconter à propos de Lucien Descaves. En fait je l’ai déjà raconté, dans un billet de blog qui date de 2014. Pour résumer : j’ai en ma possession l’exemplaire dédicacé à Lucien Descaves d’un obscur roman écrit par un auteur qui a sombré dans l’oubli. J’ai updaté le billet en mettant entre autre des photos (pourquoi ne l’avais-je pas fait à l’époque c’est un mystère). Il peut se lire ici : Deux euros chez Boulinier.
Malgré la thématique de l’opposition passion/raison bien menée , Le rêve n’est malheureusement pas un roman très passionnant à lire, au contraire des émotions que sont capables de procurer d’autres titres plus typiques de Zola. Il est cependant intéressant de le replacer dans son contexte de publication, à savoir entre La Terre et La bête humaine pour saisir le grand écart de ton et de sujet.
Informations éditoriales
Roman écrit par Emile Zola. Publié en 1888. 286 pages dans l’édition Livre de Poche Classique. Couverture : tableau de e. Gioga. La présente édition est accompagnée d’une préface et d’un dossier.
Pour aller plus loin
Mon billet d’intention de relire les Rougon-Macquart.
La fortune des Rougon. La curée. Le ventre de Paris. La conquête de Plassans. La faute de l’abbé Mouret. Son excellence Eugène Rougon. L’Assommoir. Une page d’amour. Nana. Pot-bouille. Au bonheur des dames. La joie de vivre. Germinal. L’oeuvre. La Terre. La bête humaine. L’argent. La débâcle. Le docteur Pascal.
Une lecture commune avec Alys (son billet) & Baroona (son billet).
D’autres avis : , signalez-vous en commentaire
« Zola leur lance un « Challenge accepted ! » », « Ils sont choupichou », « un beau garçon poppe dans le jardin », « où est Charlie », « Pas de viol. Pas de harcèlement psychologique. Pas de violence » –> Mais tu t’es surpassée pour cette chronique!!!! 🤩🤩🤩🤩🤩🤩
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J’ai dépensé sans compter 🤗😅
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MOUHAHAHAHAHAHA! 🦖
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🦕
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Soyons clairs : les seuls qui peuvent être appelés « choupichous » sont Hubert et Hubertine (et c’est vrai qu’ils sont choupichous).
Ce n’est certainement pas son meilleur, mais au moins ça confirme pourquoi tu lis et aimes Zola. ^^
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Je suis sûre qu’il l’a écrit dans l’espoir qu’on réclame qu’il continue à faire du Zola.
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Pas de sexe et d’indécence dans un Zola ?! Quel choc !
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Sacandale !
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Toujours aussi passionnant de te lire sur Zola, même quand tu n’aimes pas 🤩.
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Haha, merci d’autant que la lecture ne le fut pas vraiment. Bon après je n’irais pas jusqu’à dire que je n’aime pas, ça reste Zola tout de même. Mais il est vrai qu’il est dans le bas de mon échelle d’appréciation zolienne 😅
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Voilà une chronique très enlevée. Un Zola atypique et en plus ça fait du bien de sortir un peu de la SFFF je trouve.
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Oui. Après celui-ci est sans doute celui qui se rapproche le plus d’une forme de merveilleux :p
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Je ne connaissais pas ce Rêve coincé entre la Terre et la Bête Humaine. Un Rêve oubliable si j’en crois ton article caustique et choupinou. Mais diable, le vice serait-il plus inspirant que la vertu ?
😁
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Haha en tout cas chez Zola, pour moi, ça me parait clair. Je ne le lis pas pour voir des licornes péter des arcs-en-ciel et Jésus descendre du ciel sur le traineau du Père Noël 😅
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Bon je n’ai pas encore repris ma lecture de Zola… et te voilà déjà rendue presqu’à la fin! 😉
QUOTE –> »Je répète assez souvent que j’aime Zola quand il est excessif comme dans La conquête de Plassans ou dans L’assommoir. Avec Le rêve, on est entre Une page d’amour et La faute de l’abbé Mouret, deux romans que j’avais moins appréciés, le premier car je le trouvais un peu fade, le second car il se perdait dans du namedropping floral et les bondieuseries. »
On est raccord! J’ai surkiffé plassans (je ne me souviens plus de l’histoire mais je me souviens être en train de le dévorer… j’étais aux études.
Et je me suis arrêtée à Mouret qui me cassait les miches 😉
Du coup j’ai toujours en attente de confirmation d’achat « son excellence Eugène rougon »… j’hésite entre l’édition Garnier-Flammarion (j’avais une passion pour cette collection et je m’étais dit que j’allais prendre tous les zola dans cette collection), et le folio… parce que voilà il est « beau » aussi…
Question total hors sujet du Rêve… mais tu les lis dans quelle édition?
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Son excellence Eugène Rougon est pas fifou non plus mais y a quand même des scènes d’anthologie dedans, dont une scène à consonnance sado-maso dans une écurie, hilarant.
Je les ai tous en édition Le livre de poche ^^ Je ne sais pas du tout ce qu’elles valent chacune d’elle, je suppose que le paratexte est différent.
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Ahah 😉 quel coquin cet émile! 😉
Je ne sais pas trop la différence, mis à part la taille des caractères, le format de l’édition. C’est une question de prise en main (lol enfin de toc de lecteur) je pense 😉
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Je pense que les préfaces, dossiers et les notes ne sont pas les mêmes aussi
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Oui, oui, d’office (je me suis dit que ma reponse n’etait pas complete 😂)
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le prince charmant qui poppe dans le jardin, ça m’a fait sourire 🙂
Un Zola softien et voilà que ton billet frise la rébellion et réclame du trash, du vrai, du pure et dur comme il t’y as habitué.
Vite le prochain!
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Exactement !
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Super l’anecdote sur Descaves, c’est tellement improbable *-*
J’ai lu un peu de la Légende dorée pendant mes études, c’est très drôle au 2e degré mais clairement comme manuel d’éducation on fait mieux (je me suis jamais remise de la vie de St Machinchose qui était tellement pieux qu’il ne tétait sa mère que 2 fois par semaine et qui a fini par porter des caleçons en poil de chèvre xD)
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Holàlà merci pour ce détail de la Légende dorée!! Je suis étonnée que Zola ne l’ait pas repris! 🤣
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Voui.
Excellente l’anecdote. Zola cite des passages c’est rigolo. Vraiment improbable ce bouquin 🤣
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