La joie de vivre | L’angoisse de mourir

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Je me suis promenée en bord de mer et ai regardé la mer claquer sur la digue de Lazare. J’ai souffert de la goutte avec l’oncle Chanteau et j’ai grommelé de ses cris de douleurs avec la bonne, Véronique. J’ai assisté Pauline lorsqu’elle faisait l’aumône aux pauvres du village et Lazare dans ses délires musicaux, botaniques ou architecturaux. J’ai assisté à deux agonies, dont celle d’un chien, et à un accouchement terrifiant. Nous allons donc parler de la mort, de la mort et de la…mer. Retrouvons La joie de vivre ensemble…

Pauline à la plage

Pauline Quenu est la petite fille que l’on a déjà pu croiser dans Le ventre de Paris. Elle est la fille de Lisa Quenu, la tenancière de la charcuterie. Ses parents sont morts à la pauvre petite. Elle a dix ans quand elle quitte Paris avec sa tante pour se retrouver dans une maison un peu miteuse en bord de mer. Le père et la mère Chanteau deviennent ses tuteurs légaux. Ils sont en charge de préserver son héritage (là votre radar à zoleries devrait se mettre à clignoter sévèrement) et de l’éduquer. Elle est très proche de son cousin Lazare auprès duquel elle grandit.

On pourrait presque croire que tout va bien se passer. Mais non. Les Chanteau vivent chichement et avoir cette somme d’argent énormissime cachée dans le tiroir d’une commode brûle les doigts de la mère Chanteau, qui est toujours en train de tirer sur les ficelles de sa bourse pour payer le boulanger. Et puis Lazare est un jeune homme qui a des crises de mégalomanies lors desquelles il monte des projets super ambitieux et super casse-gueule dont il n’a pas le premier sous vaillant pour les financer :

  • au début ça commence gentiment, il est musicien et veut écrire une symphonie sur la mort. Il ne la finira jamais.
  • ensuite il se met en tête de transformer les algues pour en tirer certaines propriétés et revendre le produit dans le commerce. Il construit une usine en bord de mer avec plein de matos de chimiste pour se rendre compte que le matériel ne fonctionne pas comme il faut. Il laisse tomber.
  • La mer monte et mange la terre à Bonneville où se passe l’action. Il se met en tête de la stopper (!!!) et construit une sorte de digue qui … ne fonctionne pas du tout passé la première grosse marée. Il va s’entêter longtemps avec cette lubie croyant toujours l’emporter. S’il arrive à vaincre la mer, il arrivera bien à vaincre la mort.

La nuit tombait du ciel livide, où les bourrasques fouettaient le galop échevelé des nuages. On ne distinguait plus, au fond du chaos croissant des ténèbres, que la pâleur du flot qui montait. C’était une écume blanche toujours élargie, une succession de nappes se déroulant, inondant les champs de varechs, recouvrant les dalles rocheuses, dans un glissement doux et berceur, dont l’approche semblait une caresse. Mais, au loin, , la clameur des vagues avait grandit, des crêtes énormes moutonnaient, et un crépuscule de mort pesait, au pied des falaises, sur Bonneville désert, calfeutré derrière ses portes, tandis que les barques, abandonnées en haut des galets, gisaient comme des cadavres de grands poissons échoués. La pluie noyait le village d’un brouillard fumeux, seule l’église se découpait encore nettement, dans un coin blême des nuées.

Tout cela, avec l’argent de Pauline. Pauline qui donne sans compter, se désintéresse même de cet argent sauf quand il s’agit de le redistribuer aux pauvres du coin, comme une Robin des Bois qu’elle n’est pas, vu qu’elle se fait gentiment dépouiller sans arriver à sauver personne.

Mais Pauline ne donne pas que son argent. Elle donne aussi de sa personne. Une fois assez grande, elle pourrait trouver 1000 façons de se tirer de ce guêpier surtout avec l’aide du Docteur Cazenove qui, en personnage positif, a bien compris ce qui se passait. Toujours il y aura une excuse pour qu’elle reste. De la maladie de Chanteau (il a la goutte), à son amour pour Lazare, à l’enfant qu’il aura non pas avec elle mais avec une autre et pour lequel elle se dévoue. Mais surtout sa force d’inertie et sa passivité qui font que jamais elle ne va parvenir à prendre la décision qui pourrait la sauver. C’est extrêmement triste. Et en même temps l’est-elle, elle ?

Un titre bien choisi

L’objectif de Zola, dans ce roman, est de nous opposer la joie de vivre de Pauline à l’angoisse de mourir de Lazare.

  • Pauline qui a pourtant toutes les raisons du monde de se laisser abattre : elle se fait voler son argent, renonce à Lazare pour qu’il épouse Louise alors qu’elle lui était promise, passe ses journées à s’occuper d’un vieillard décati dont le corps n’est que souffrance et j’en passe… Pourtant, malgré ses souffrances, elle se satisfait de cette existence.
  • Lazare quant à lui fait une fixation sur la mort. Il cite Schopenhauer sans n’y rien comprendre, pleurniche sur son existence, ne parvient jamais à être heureux de sa situation alors que bon au final il n’est pas vraiment à plaindre. Son attitude est exacerbée par la lente agonie de sa mère et son décès.

Depuis quelque temps, il s’étonnait également par une nouvelle manie. Dans la certitude de sa fin prochaine, il ne sortait pas d’une pièce, ne fermait pas un livre, ne se servait pas d’un objet, sans croire que c’était son dernier acte, qu’il ne reverrait jamais l’objet, ni le livre, ni la pièce ; et il avait alors contracté l’habitude d’un éternel adieu aux choses, un besoin maladif de reprendre les chises, de les voir encore.

Cela ne veut pas dire que les deux sont imperméables et se figent dans leur comportement, tout au moins au départ. Pauline est capable de désespoir et d’une grande jalousie qui la met en rage ; Lazare quant à lui vit des états de transcendance intellectuelle qui le rendrait lumineux s’il n’était pas aussi ridicule. Cette perméabilité se retrouve dans les différents membres de la famille. La mère Chanteau est plutôt comme son fils, éternelle insatisfaite ; le père malgré ses souffrances physiques reste du côté joyeux de la force et c’est dans sa bouche que Zola mettra ces mots :

« Faut-il être bête pour se tuer. »

Quant à Véronique, la bonne, eh bien, elle surprendra tout le monde par un twist assez fou.

Cette opposition se retrouvera jusque chez les animaux de la famille. Mathieu le chien et la chatte Minouche (excusez ce manque d’originalité flagrant, visiblement en ce temps-là on n’avait aucune originalité dans l’attribution des noms aux animaux). Mathieu est un gros chien bon vivant, revenant toujours auprès de ses maîtres même quand il se fait jeter violemment. Zola lui offrira une agonie affreuse, horrible, j’ai eu les larmes aux yeux, pour la première fois depuis le début de ces relectures. Quant à la chatte, son dédain flagrant pour toute forme d’existence impropre à satisfaire son estomac est visible jusque dans son indifférence totale de la noyade ses petits à chaque fois qu’il en apparaît.

A ce vacarme, une petite chatte blanche, l’air délicat, parut aussi sur le seuil ; mais devant la cour boueuse, sa queue eut un léger tremblement de dégoût, et elle s’assit proprement, en haut des marches, pour voir.

Il y a beaucoup de noirceur dans ce roman, c’est sans doute le roman de la saga des Rougon-Macquart le plus dépressif. J’explique un peu plus bas pourquoi. Si le titre La joie de vivre est excellent, c’est parce qu’il transpire l’ironie par toutes ses pages. L’ironie de Zola a toujours été proverbiale mais on peut dire qu’on tient ici la quintessence de son art. Les relations se disloquent, les existences sont médiocres, et, au final, nous pauvre lecteur, on ne sait sur quel pied danser : faut-il se satisfaire de ce que l’on a ? Faut-il mettre fin à ses jours pour en terminer avec tout ça ? Faut-il vivre dans l’insatisfaction ? Ou accepter son sort avec fatalité ? Une chose est sûre, ce roman n’est pas optimiste : à aucun moment Zola ne nous présente un personnage qui parvient à décider pour lui même de ce que sera sa destinée et à la prendre pleinement en main.

Un roman très autobiographique

La joie de vivre est un roman qui aurait dû être publié avant Pot-Bouille. En 1880, Zola en commence l’ébauche mais il n’arrive à rien et le tout est interrompu par le décès de sa mère. Décès que Zola mettra en scène dans le roman, au travers de l’horrible agonie de la mère Chanteau. La mère Chanteau qui sur la fin délire gravement et se met à avoir une attitude paranoïaque envers Pauline, qu’elle accuse de vouloir la tuer. Comportement que Zola reprend trait pour trait de sa mère qui s’en prenait de la sorte à Alexandrine, la femme de Zola, quand elle était à son chevet.

Il aura fallu attendre 1883 pour pour que Zola s’y remette. Ce qui transparaît dans ce roman ce sont sa propre dépression et sa propre peur de la mort. Pauline et Lazare deviennent des projections de ses propres angoisses et désirs.

Zola est un écrivain que l’on peut être tenté de mythifier grâce à son énorme force de travail, son militantisme et ses prises de position risquées qui ne lui vaudront pas que des amis. Mais La joie de vivre nous permet de nous rendre compte que ZOLA EST UN ETRE HUMAIN comme les autres. Il a les pépètes de crever et se remet difficilement du décès de sa mère et celui de Flaubert, datant tous deux de 1880. En tout cas, à moi, ça m’a fait quelque chose.

« Tiens ! criait-elle, tu racontes des bêtises… Nous songerons à mourir lorsque nous serons vieux. »
L’idée de la mort, qu’elle traitait si gaiement, le rendait chaque fois sérieux, le regard fuyant. Il détournait d’ordinaire la conversation, après avoir murmuré :
« On meurt à tout âge. »

Avec La joie de vivre, Zola signe son roman le plus dépressif mais aussi le plus autobiographique. Il ne s’agit pas tant ici de dénoncer les travers de son temps que d’explorer sa propre angoisse de mourir et de la mettre à l’épreuve de son propre pessimisme. Une lecture à éviter si vous êtes sous anti-dépresseurs.

Informations éditoriales

Roman publié initialement en 1884. 508 pages pour l’édition Le livre de Poche Classiques. Couverture: Lionel Percy Smythe, Le Blanchissage (1896). La présente édition est complétée d’une préface et d’un dossier.

Pour aller plus loin

Mon billet d’intention de relire les Rougon-Macquart.
La fortune des RougonLa curéeLe ventre de ParisLa conquête de PlassansLa faute de l’abbé MouretSon excellence Eugène RougonL’AssommoirUne page d’amourNanaPot-bouilleAu bonheur des dames. GerminalL’oeuvreLa TerreLe rêveLa bête humaineL’argent. La débâcle. Le docteur Pascal.
Une lecture commune avec Alys. Son billet.
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24 commentaires sur « La joie de vivre | L’angoisse de mourir »

  1. C’est là que je me rends compte que je suis bien tes billets sur Zola : à aucun moment je n’ai cru au premier degré de ce titre.
    Comme d’habitude, merci pour ce billet qui me fait lire par procuration. Et vive l’optimisme. =D

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  2. (Je ne pensais pas avoir le temps de passer ce week-end, mais mon après-midi s’est libérée et je suis ravie. 🙂 )
    Génial. Super billet. Tu as bien résumé le message de l’œuvre et en quoi le titre est pertinent.
    J’avais complètement raté l’opposition existentielle entre le chien et la chatte….
    Bravo pour « Pauline à la plage » et le « radar à zoleries », c’est BEAU!! Et le « twist final », quelle farceuse cette Véronique. 😀

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  3. Intéressante analyse ! (Je ne serais certainement pas capable d’en écrire autant !) Je ne le lirai probablement pas (en tous cas pas dans un futur proche) mais je saurai au moins de quoi il retourne !

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  4. Rien que le titre me paraît ironique à la lecture de ton billet, tant il se dégage de ce roman une atmosphère plombante.

    Je suis très curieuse de savoir quelle sera ma réaction à la lecture de ce titre là, le rapport à la mort je connais un peu hein (krr krr)

    Très belle analyse (ça me collerait des complexes si je voulais livrer mon ressenti ^^ )

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