La Fortune des Rougon | Portrait de famille

La fortune des rougon zola couverture
Plus de vingt ans après ma découverte de Zola, je me replonge avec délectation dans le premier opus de la saga des Rougon-Macquart. En compagnie d’Alys, Elessar et Ksidraconis, j’ai arpenté la campagne du sud de la France, comméré dans les rues de Plassans, intrigué dans le salon jaune. Je suis ravie de ma relecture et tenais à vous en faire part.

Le projet de Zola

Dans sa préface, écrite en 1871, Zola commence :
Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’analyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur.
Et de la conclure de cette façon :
Cette oeuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée, l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, et le premier épisode : La Fortune des Rougon, doit s’appeler de son titre scientifique : Les Origines.
Un projet d’une ambition folle, démesurée, qui a conduit aux vingt tomes de la saga des Rougon-Macquart, publiés entre 1871 et 1893 et dont La Fortune des Rougon est le premier tome.

Portrait peu reluisant d’une famille à l’aube du Second Empire

Le premier chapitre de La Fortune des Rougon est un long plan-séquence partant de l’historique et de la description de l' »Aire Saint-Mittre » dans la ville fictive de Plassans jusqu’à prendre part à l’avancée de l’insurrection de décembre 1851, qui a suivi le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte. On suit Miette et Silvère dans une mise en situation prenante qui dégouline d’un idéalisme romantique que l’on sent éphémère.
Elle retira vivement sa pelisse, qu’elle remit ensuite après avoir tournée du côté de la doublure rouge. Alors elle apparut, dans la blanche clarté de la lune, drapée d’un large manteau de pourpre qui lui tombait jusqu’aux pieds. Le capuchon, arrêté sur le bord de son chignon, la coiffait d’une sorte de bonnet phrygien. Elle prit le drapeau, en serra la hampe contre sa poitrine et se tint droite, dans les plis de cette bannière sanglante qui flottait derrière elle. Sa tête d’enfant exaltée, avec ses cheveux crêpus, ses grands yeux humides, ses lèvres entrouvertes par un sourire, eut un élan d’énergique fierté, en se levant à demi vers le ciel. A ce moment, elle fut la vierge Liberté. [Miette. Toute ressemblance avec un certain tableau de Delacroix serait purement fortuite.]
Mais ils ne sont pas les seuls personnages de cette histoire…
Zola profite du second chapitre pour asseoir la généalogie familiale des Rougon (branche légitime) et des Macquart (branche illégitime) descendant d’une seule et même femme, l’aïeule Adelaïde, dite « Tante Dide ». Tout ce petit monde n’est pas joli-joli. L’auteur s’appesantit sur chaque membre de la famille, dressant le portrait et le passé de pas moins de 8 personnes. Et c’est passionnant ! Zola part dans des envolées pseudo-scientifiques qui frisent parfois le ridicule vu de notre regard moderne mais on se prend au jeu de la constitution de cet arbre généalogique haut en couleurs.
Si la nature d’Adelaïde, que la rébellion des nerfs affinait d’une façon exquise, avait combattu et amoindri les lourdeurs sanguines de Rougon, la masse pesante de celui-ci s’était opposée à ce que l’enfant reçu le contrecoup des détraquements de la jeune femme. [on parle ici de Pierre le fils légitime d’Adelaïde]
A partir de ces deux premiers chapitres, on connaîtra la teneur du propos : dresser un portrait peu reluisant d’une famille gangrenée par ses tares et son hérédité sur un fond de politique qui a mené à la constitution du Second Empire.

Psychologie des personnages, psychologie des foules

Si le propos politique et historique est parfois difficile à appréhender (quoi que j’ai été utilement guidée par des notes de bas de page et par des pages Wikipedia judicieusement sélectionnées), j’ai été carrément happée par l’application naturaliste de Zola à décrire « les gens ».
Il y a les gens en tant que foule, agissant comme un seul homme, retournant sa veste au gré de ses intérêts, violente, jugeante, ou au contraire courageuse, idéaliste, pleine d’espoir et sûr de son bon droit. Zola nous offre des envolées épiques de l’armée des insurgés marchant sur les routes du sud de la France mais aussi des paragraphes sordides sur l’inconstance des habitants de Plassans, guidés par la peur, guettant de derrière leur fenêtre qui sera le vainqueur pour être sûrs de se ranger à son côté. On a aussi un fond de lutte des classes avec les pauvres, les bourgeois et les nobles qui se regardent tous en chiens de faïence.
Hier Rougon était un Brutus, une âme stoïque qui sacrifiait ses affections à la patrie ; aujourd’hui, Rougon n’était plus qu’un vil ambitieux qui passait sur le ventre de son frère et s’en servait comme d’un marchepied pour monter à la fortune.
Il y a aussi les gens en tant qu’individus, mûs par leurs ambitions, caractérisés par leur passé, leur hérédité, leur tempérament. Zola est très fort à ce petit jeu et c’est ce que j’ai préféré dans ma lecture. Les personnages sont nombreux. Si le sujet central est l’ascension sociale du couple Félicité/Pierre Rougon en opposition avec l’idéalisme naïf et libertaire de Silvère et Miette (les vieux cons vs. la jeunesse enthousiaste), les autres membres de la familles sont chacun parfaitement caractérisés. Mais il en va de même pour les personnages secondaires qui gravitent autour d’eux.

Intelligence, paresse et folie

Mes personnages préférés sont assurément la Tante Dide, Félicité Rougon et Antoine Rougon. Ce n’est pas tant de les aimer car il est difficile d’aimer un personnage zolien ( ils sont à peu près tous tarés) mais c’est la façon dont Zola les met en scène, les caractérise, les fait parler. La perverse intelligence de Félicité, la paresse jusqu’au-boutiste d’Antoine, la fuite dans la folie de Tante Dide. Ils peuvent tous être résumés par une expression simple qui les caricature ; et en même temps Zola les enrobe d’une telle épaisseur en les construisant page après page. C’est totalement fascinant.
Au fond elle goûtait des jouissances exquises ; elle le tenait donc enfin ce gros sournois ; elle en jouait comme une chatte joue d’une boule de papier, et il tendait les mains pour qu’elle lui mît les menottes. [Félicité, au sujet de son mari]
Je ne me souviens plus de ce qui me plaisait à l’époque où je m’enfilais les tomes des Rougon-Macquart les uns après les autres. En ce temps là je ne cherchais pas à expliquer ce que j’aimais. Je lisais dans un but simple de plaisir de lecture. Il me plait à penser que ce sont les éléments que je vous explique ici qui ont guidé mon intérêt pour Zola il y a 20 ans. J’aurais encore voulu vous parler de tas de choses sur La Fortune des Rougon mais assurément ce billet devient trop long déjà, de plus je finirais par trop vous en dévoiler.

Informations éditoriales

Publié pour la première fois en 1871. 475 pages pour l’édition Le Livre de Poche Classiques. 311 pages pour l’édition Arvensa (œuvres complètes) en numérique.

Pour aller plus loin

Livre lu en lecture commune en compagnie d’Alys, Elessar et Ksidraconis. Et ce fût très chouette, merci à tous les trois.

17 commentaires sur « La Fortune des Rougon | Portrait de famille »

  1. Ce que je peux te conseiller, Vert, si j'ose m'immiscer, c'est de lire Au Bonheur des Dames, un, parce qu'il est excellent, deux, parce que c'est un des rares de la saga à être un poil optimiste :)(peut-être est-il souhaitable de lire d'abord Pot Bouille qui se passe juste avant)

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  2. Yeah yeah yeah! Belle chronique. Ravie de lire tout ça d'un bloc. Et c'est drôle avec un ton contemporain (« les vieux cons vs la jeunesse enthousiaste »), ça montre bien à quel point c'est moderne. 🙂
    Perso je suis assez gonflée à bloc pour attaquer la suite!

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  3. Il parait que le truc des vieux cons et des jeunes qui n'en font qu'à leur tête, les Grecs anciens s'en plaignaient déjà. On n'a surtout rien inventé :p
    Gonflée à bloc aussi. J'ai acheté La curée ET le ventre de Paris hier :p

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  4. 22 ans! moi ça m'impressionne… Sans compter tous les autres écrits de Zola.

    Je l'ai lu au collège, au lycée Zola, à la fac peut-être. Je crois en avoir lu 4 ou 5 de cette saga des Rougon-Macquart (sans doute les plus étudiés).

    J'ai toujours apprécié. Il faudrait de temps à autre que je me force à relire un de ces auteurs tant aimé plus jeune (Zola, Hugo, Stendhal, etc)

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